Cinéma algérien : chronique d’une longue absence
Universitaire, écrivain, producteur et présentateur pendant vingt ans de l’émission hebdomadaire Télé Ciné Club.
1962-2012 : le vrai bilan de l’Algérie indépendante
Cinquante ans après l’indépendance, le cinéma algérien tente vainement de rappeler qu’il a été à l’avant-garde du combat libérateur. L’enthousiasme des lendemains de cette libération l’avait mené vers des sommets et des prix remportés dans de nombreux festivals prestigieux. Consécration suprême, la Palme d’or obtenue au Festival de Cannes en 1975 par Mohamed Lakhdar-Hamina pour sa magnifique Chronique des années de braise.
Au cours des années suivantes, le cinéma algérien a exprimé avec force le rêve de justice porté par la résistance armée. Grâce à une politique audacieuse de coproduction avec des pays européens, africains et arabes, l’Algérie avait réussi à se placer – avec l’Égypte – en tant que chef de file de l’audiovisuel de qualité dans la région arabe. Les noms de Gillo Pontecorvo, Youssef Chahine, Sembène Ousmane ou Costa-Gavras, entre autres, resteront liés à cette période si riche. Déjà productrice de La nuit a peur du soleil, de Mustapha Badie, en 1965, premier long-métrage totalement algérien, la Radiotélévision algérienne (RTA) a pendant longtemps stimulé la production de films avant-gardistes comme Noua, Les Enfants de novembre, Nahla ou encore La Nouba des femmes du mont Chenoua.
Décennie noire
Après quelques succès notoires, le cinéma a ouvert la voie à des films moins en ligne avec l’unanimisme ambiant. Le rêve a commencé à côtoyer un sentiment d’aliénation grandissant, exprimé pour la première fois en 1971 à travers le chef-d’oeuvre unique de Mohamed Zinet, Tahia ya Didou !. Ce sentiment de désenchantement a culminé en 1976 avec Omar Gatlato, premier film de Merzak Allouache montrant de jeunes Algérois réfugiés dans leur machisme pour échapper aux frustrations ressenties face aux privilèges leur échappant. On les imagine alors venus grossir l’armée de réserve de la vague islamiste qui va secouer l’Algérie à partir des émeutes d’octobre 1988.
La décennie noire du cinéma algérien ira de pair avec la violente confrontation des années 1990. Une à une, les centaines de salles héritées de l’ère coloniale (et malencontreusement confiées aux municipalités) ont fermé leurs portes. Pendant ce temps, les institutions cinématographiques publiques étaient sacrifiées sous les coups conjugués d’un gouvernement iconoclaste et d’une déferlante fondamentaliste qui trouvera davantage son compte sur le marché des DVD piratés que dans l’industrie du film, porteuse de modernité.
Il a fallu attendre le début du millénaire pour voir apparaître de nouveaux talents.
Il a fallu attendre le début du nouveau millénaire pour voir enfin apparaître de nouveaux talents, le plus souvent issus de l’émigration comme Rachid Bouchareb (quatre fois nominé aux Oscars), Amor Hakkar, Nadir Moknèche, Tariq Teguia ou Lyes Salem, plus ou moins mus par une quête d’identité. Ils seront bientôt relayés par de jeunes cinéastes formés sur place. Dans le même temps, le cinéma se féminise et le film d’expression amazighe prend de l’importance.
Cinéma sous perfusion
Au moment où le pays commémore le cinquantenaire de l’indépendance, le cinéma algérien, privé de son public et dépourvu d’infrastructures de production, vit sous perfusion grâce aux aides de l’État. Lequel peine malgré cela à exprimer une réelle volonté politique de le relancer dans tous ses secteurs, si ce n’est par l’octroi de budgets aussi faramineux que ponctuels, libérés au gré des commémorations. Depuis quelques années et en dépit des aides financières publiques, le bilan annuel dépasse péniblement la moyenne de deux ou trois films par an. Ce qui est peu comparé aux vingt films produits annuellement au Maroc voisin.
Par ailleurs, et face à la campagne menée en temps et en heure par les chaînes françaises de télévision pour célébrer l’événement, les différents ministères algériens concernés par la production audiovisuelle (Culture, Communication, Moudjahidine) semblent agir en ordre dispersé. La liste des projets de films retenus par le secteur public national, qui exerce un quasi-monopole, n’a été dévoilée que depuis quelques semaines, et, compte tenu des délais nécessaires pour les mener à terme, on peut imaginer que la plupart ne verront le jour qu’en 2014, à la veille de la prochaine élection présidentielle. Seul Zabana, de Said Ould Khelifa, commencé il y a trois ans, sera prêt pour l’occasion. Maigre consolation pour un cinéma qui découvre que l’argent, seul, est loin de faire le bonheur.
Images et visages. Au coeur de la bataille de Tlmecen, d’Ahmed Bedjaoui, dessins de Denis Martinez, chihab Éditions, Alger, 2012.
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1962-2012 : le vrai bilan de l’Algérie indépendante
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