Alger et les islamistes : le chat et les souris
Respectés au cours des premières années de l’indépendance, les fondamentalistes musulmans ont été tour à tour combattus et instrumentalisés par le pouvoir algérien. Qui est allé jusqu’à les associer à la gestion des affaires de l’État.
1962-2012 : le vrai bilan de l’Algérie indépendante
Présentée par le discours officiel comme l’un des piliers du mouvement national, l’Association des oulémas (« savants », dans le sens religieux du terme), fondée à Constantine dans les années 1930 par le théologien Abdelhamid Ben Badis, est considérée comme l’ancêtre de l’islamisme en Algérie.
Le prestige de Ben Badis vaut à son successeur, Bachir el-Ibrahimi, honneur et influence. Contre l’abandon de la revendication de faire appliquer la charia, il réussit à imposer l’article 2 de la Constitution de 1963 – « l’islam est la religion de l’État » -, terrassant ainsi les partisans de la laïcité. Cet article ne sera pas amendé, et encore moins abrogé dans les trois textes fondamentaux qui se succéderont au cours des cinquante années suivantes.
Une influence grandissante
Si Ibrahimi continue de lutter contre l’occidentalisation de la société ou le maintien du français en tant que langue de l’administration, il le fait du bout des lèvres. Trois de ses anciens compagnons se montrent plus radicaux. Abdelatif Soltani, imam de la mosquée Katchaoua, au pied de la Casbah, s’insurge contre les pratiques vestimentaires des Algériennes. Ahmed Sahnoun décrète que les martyrs de la guerre de libération ne sont pas des chahid (martyrs de la guerre sainte), car ils sont morts pour l’édification d’une nation socialiste. Quant à Abdelbaki Sahraoui, il ne pas fait mystère de son ambition de créer un État islamique.
Les trois hommes, qui se réclament des Frères musulmans, fondent une association, El-Qiam (« les valeurs »), que le pouvoir tolère jusqu’en 1966. Cette année-là, Sayed Qotb, éminence grise des Frères musulmans, est exécuté en Égypte. El-Qiam publie un communiqué incendiaire à l’adresse de Nasser, le raïs égyptien. Furieux, Houari Boumédiène dissout El-Qiam, interpelle ses animateurs et les expulse de leur mosquée.
L’islamisme politique entre en hibernation, laissant la place aux forces de gauche, notamment les communistes, devenus des alliés stratégiques du pouvoir. Leur influence grandissante au sein de l’université, berceau de toutes les contestations, finit par inquiéter Boumédiène. Pour équilibrer le rapport des forces, il permet aux islamistes de reprendre leurs activités dans les facultés et instituts supérieurs, et leur laisse quelques mosquées de quartiers.
Violence islamiste
Les manifestations de la violence islamiste débutent au milieu des années 1970. Agressions contre des étudiantes « légèrement habillées », actes de sabotage contre des biens publics… Les islamistes sont utilisés par le pouvoir pour casser les grèves à l’université ou dans les entreprises d’État. Mais l’action armée n’est pas envisagée. Du moins jusqu’à la fin de cette même décennie.
La disparition du président Boumédiène, le 27 décembre 1978, est perçue par les islamistes comme une occasion historique, l’État étant en position de faiblesse. Deux autres événements contribuent à les faire sortir de leur relative léthargie : la révolution islamique de février 1979 en Iran, et l’invasion, dix mois plus tard, de l’Afghanistan par l’Armée rouge. La première prouve qu’une prise du pouvoir pour imposer la charia est possible et la seconde sert d’étincelle au réveil du djihad international. Les islamistes algériens envoient des volontaires en Afghanistan pour qu’ils reviennent, aguerris, accomplir le djihad dans leur pays.
Le premier maquis islamiste armé naît en 1983. Animé par Mustapha Bouyali, son fondateur, le Mouvement islamique armé (MIA, ancêtre des GIA) est traqué quatre années durant et décapité en 1987.
Bras de fer avec le pouvoir
L’instauration du multipartisme, en février 1989, offre l’opportunité d’unifier toutes les mouvances de l’islamisme au sein du Front islamique du salut (FIS). Le programme de celui-ci est effrayant : la démocratie est décrétée kofr (« mécréance »), car « elle envisage la souveraineté du peuple au détriment de celle de Dieu », selon Ali Belhadj.
Le bras de fer avec le pouvoir, notamment avec l’Armée nationale populaire, plonge le pays dans le chaos. Au cours des années 1990, l’État est au bord de la rupture, la République, assaillie par des hordes terroristes particulièrement barbares, est à genoux, et le coût est terrible : entre 150 000 et 200 000 morts, et 20 milliards de dollars (17 milliards d’euros) de dégâts pour l’économie.
En 1997, l’État négocie une paix des braves avec l’Armée islamique du salut (AIS, branche militaire du FIS). En septembre 1999, un référendum entérine la Concorde nationale devenue, en février 2006, la Réconciliation nationale. Les maquis islamistes se dépeuplent, mais les ultras du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) refusent de déposer les armes, font allégeance à Al-Qaïda, poursuivent le combat – principalement en Kabylie – et exportent leur cause dans la bande sahélo-saharienne. Toutefois, l’islamisme armé, s’il a gardé de fortes capacités de nuisance, n’est plus en mesure de menacer la République.
Battus au plan militaire, les islamistes ne se portent pas mieux au plan politique. Portés par une vague de succès électoraux chez leurs voisins, ils perdent pourtant leur bataille d’Alger lors du scrutin législatif du 10 mai dernier, où ils ne décrochent que 68 sièges sur 462 à l’Assemblée populaire nationale.
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