Je suis algérien comme Kamel Daoud est marocain

Imbroglio autour de la participation du Maroc à la Chan 2023 en Algérie, rupture des relations diplomatiques entre les deux pays, fermeture des frontières terrestres depuis bientôt trois décennies… Les relations entre Rabat et Alger sont toujours aussi tendues. L’unité maghrébine et l’essor économique de la région dépendent pourtant de la fin de leurs querelles.

Des supporteurs marocains et algériens célèbrent ensemble la qualification historique de l’équipe marocaine en demi-finale de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, à l’issue des quarts de finale Maroc-Portugal, le 10 décembre à Doha. © Adil Benayache / SIPA

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  • Amr Abbadi

    Analyste, chercheur en sciences politiques à l’université d’Orléans.

Publié le 14 janvier 2023 Lecture : 4 minutes.

Si le brillant écrivain et journaliste Kamel Daoud, malgré sa fierté d’Algérien, a eu l’audace, en 2018, de transmettre un message de si haute fraternité à la communauté maghrébine à travers sa tribune intitulée « Je suis marocain », pourquoi n’aurais-je pas le même dévouement à l’unité du Maghreb ? Alors oui, je confirme, je suis aussi algérien. Suis-je un traître ou une personne pernicieuse ? Non. Si j’ai osé écrire ce titre, c’est pour donner, du côté marocain, une sage leçon à tout lecteur tenté par l’agitation, le mépris ou la méfiance…

Abjecte rancœur

D’abord, rappelons qu’aux yeux de Sa Majesté le roi Mohammed VI, « le Maroc et l’Algérie sont deux pays jumeaux qui se complètent ». Il l’a redit dans son discours à la nation à l’occasion du vingt-deuxième anniversaire de la Fête du Trône. Et puis, en toute humilité, j’aimerais éclairer, par le biais d’un message lucide et émouvant, quelques esprits scolastiques vivant en plein cœur du Maghreb mais qui nourrissent une abjecte rancœur les uns envers les autres.

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Je voudrais ainsi rappeler que non seulement une histoire commune, mais aussi le sang et une étroite proximité sont à l’origine du lien indéfectible qui lie Algériens et Marocains. Ce rappel s’adresse aux faux dévots qui ont développé une doctrine sociale anti-algérienne fondée sur de fielleuses propagandes. Et je le précise de la manière la plus limpide possible : l’Algérie n’est en aucun cas un pays ennemi. Certes, le différend politique maroco-algérien est une âpre réalité qui empoisonne la vie de la région sur le plan économique. Pour autant, doit-il aller plus loin et se transformer en querelle sociale et sociétale ?

En effet, la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc décidée par Alger le 24 août 2021 n’a fait qu’envenimer les rapports déjà tendus entre les deux pays. Cette fois, elle a même engendré la montée au créneau d’une nouvelle génération de Marocains et d’Algériens qui tente d’impliquer, vaille que vaille, deux peuples voisins partageant de grandes similitudes linguistiques et culturelles dans les querelles politiques opposant leurs deux États.

Ainsi, sur les réseaux sociaux, une certaine jeunesse marocaine s’amuse à publier presque chaque jour des propos dénigrants et diffamatoires  à l’égard des Algériens. Leur excuse est d’ailleurs aberrante : « Les Algériens nous insultent aussi derrière leurs écrans. » Pis, l’outrage, l’ignominie et l’infamie sont si prégnants et si lancinants qu’ils touchent également l’univers du sport. À l’issue de la finale de la Coupe arabe de football 2022, qui avait opposé les Lionceaux de l’Atlas aux Petits Fennecs, une violente bagarre avait éclaté entre les jeunes joueurs des deux équipes, offrant aux yeux du monde des scènes de désolation et de tristes images.

Où sont les élites ?

Alors, devrons-nous transformer cette rupture diplomatique en guerre exécrable ? Cela justifie-t-il la perpétuation des comportements belliqueux, rancuniers, et inamicaux ? Non ! Je m’insurge contre cette fâcheuse et virulente escalade, car j’ai l’intime conviction que les Algériens et les Marocains ne peuvent sombrer dans la haine et la discorde, de même qu’aucun litige ne doit ébranler leur noble fraternité.

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Depuis vingt-huit longues années, la fermeture des frontières terrestres entre le Maroc et l’Algérie non seulement annihile les opportunités commerciales entre les deux pays, mais elle met également à mal les possibilités de communication et d’entente entre les deux peuples. Un véritable gâchis  pour deux États voisins qui disposent d’un fort potentiel de symbiose et de synergie économique et sociale. C’est à se demander où sont les élites des deux camps. Partis politiques, associations et ONG, votre mutisme est embarrassant ! Sociétés civiles, marocaine et algérienne, le changement commence par le bas. Accepter ce statu quo, c’est prendre le risque de disparaître. L’histoire retiendrait que deux pays frères se sont tourné le dos à en mourir pour des inepties.

Les enjeux sont de taille. Pour être à leur hauteur, Algériens et Marocains doivent panser leurs plaies et se concentrer sur leur avenir commun.

Depuis 1994, l’isolement a créé une adversité tumultueuse, les tensions ne font que s’amplifier et l’inanité des négociations n’a toujours pas permis l’émergence d’une solution diplomatique pérenne. Le danger est réel. Il est donc temps d’agir afin de créer les conditions d’un développement durable, lequel passe par une intégration régionale maghrébine tenant compte de nos spécificités politico-sécuritaire, socio-économique et culturelle. Les enjeux sont de taille. Pour être à leur hauteur, Algériens et Marocains doivent panser leurs plaies, transcender inconditionnellement leurs erreurs politiques et se concentrer sur leur avenir commun.

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Enfin, j’espère que la participation ou l’absence du Maroc au Chan 2023, en Algérie, sera l’occasion de stopper la surenchère d’invectives sur les réseaux sociaux et de faire prévaloir le sentiment de fraternité. Déclarer : « Je suis Algérien » ou « Je suis Marocain » n’est ni une insulte ni un acte de trahison. La trahison résiderait plutôt dans le délitement des groupes, l’asthénie de la pensée, l’atonie des élites et la déliquescence politique !

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