Raymond Tshibanda : « Hollande à Kinshasa, j’y crois »

Deux grands sujets pour le chef de la diplomatie, en visite à Paris et à Bruxelles, fin juin : la situation dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) et le prochain Sommet de la francophonie dans la capitale congolaise.

Raymond Tshibanda, ministre congolais des Affaires étrangères le 26 juin à Paris. © AFP

Raymond Tshibanda, ministre congolais des Affaires étrangères le 26 juin à Paris. © AFP

Publié le 10 juillet 2012 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : À propos de la situation dans le Nord-Kivu, vous avez récemment évoqué une possible « rupture de la paix » entre la RDC et le Rwanda. N’est-ce pas excessif, et surtout contre-productif ?

Raymond Tshibanda : Je n’ai fait que dresser un constat. D’une simple mutinerie en mars dernier, nous glissons progressivement vers une rupture de la paix, puisque des opérations militaires sont menées dans cette région. Mais nous n’avons jamais dérogé à notre ligne : entretenir un dialogue constant avec les pays de la région, dont le Rwanda. Je me suis rendu à deux reprises à Kigali en trois semaines, et mon homologue est venue à Kinshasa.

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Mais vos propos sonnent comme une accusation lancée contre Kigali…

Les faits sont là. Il y a des preuves de l’implication de certaines personnalités rwandaises dans les événements qui se déroulent dans l’est de notre pays. Ces preuves ont été communiquées aux autorités de Kigali. À elles de démontrer que ce n’est pas vrai.

Tout a commencé en mars, lorsque le pouvoir de Kinshasa a laissé entendre qu’il souhaitait arrêter Bosco Ntaganda, l’ex-chef rebelle intégré dans l’armée congolaise en 2009, poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI). N’aurait-il pas mieux valu le prendre par surprise ?

Pour privilégier la paix dans la région, Kinshasa a décidé de ne pas exécuter précipitamment le mandat d’arrêt de la CPI [il remonte à août 2006, NDLR]. Pendant longtemps, nous n’avons pas été compris. Aujourd’hui, ce qui se passe démontre que nous avions raison. Quant à l’effet de surprise, après le verdict en mars dernier de la CPI contre Thomas Lubanga [un autre chef rebelle condamné pour des crimes de guerre commis en Ituri en 2002 et 2003], c’est la terre entière qui en a appelé à son arrestation.

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Cette récente volonté de l’arrêter, n’est-ce pas pour donner des gages à une communauté internationale irritée par le déroulement des élections en novembre dernier ?

Non. Le président Kabila a été très clair : toute décision concernant Ntaganda répond d’abord aux intérêts de la RD Congo. Dans un premier temps, il n’était pas opportun de l’arrêter. Aujourd’hui, il est devenu un facteur d’instabilité, et il faut mettre fin à son aventure. Cela n’a rien à voir avec des gages à donner à qui que ce soit. Que je sache, la légitimité du président Kabila et des institutions congolaises n’est pas en cause. Et les capitales qui ont exprimé des réserves sur le processus électoral ont admis que cette page était tournée.

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Souhaitez-vous un appui plus important de la Mission de l’ONU ?

Non. Les opérations militaires en cours sont de la responsabilité des FARDC [Forces armées de la RD Congo]. Le mandat actuel nous convient. Nous pensons plutôt que l’évolution de la situation sécuritaire dans le pays et que les progrès dans la construction d’une armée nationale nous inscrivent dans une dynamique de réduction progressive de la composante militaire de la Monusco [Mission des Nations unies pour la stabilisation en RD Congo]. Elle n’a pas vocation à rester éternellement chez nous. Il n’a jamais été dit qu’elle devait devenir une force d’occupation.

 

Raymond Tshibanda et son homologue rwandaise, Louis Mushikiwabo entretienent "un dialogue constant".

 

La faute originelle n’a-t-elle pas été d’intégrer les ex-rebelles du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) au sein des FARDC, en 2009 ?

C’était la meilleure et la seule solution à l’époque pour ramener la paix. Nous avons intégré près de 4 500 éléments du CNDP au sein des FARDC. Au début de sa mutinerie, Bosco Ntaganda n’a été suivi que par 700 d’entre eux, et beaucoup l’ont quitté depuis. Quant à l’opération des FARDC, elle est notamment conduite par d’anciens éléments du CNDP.

Sur la situation dans le Kivu, Kinshasa n’est-il pas contraint par le discours de l’opposition, qui fustige la rwandophilie supposée du président Kabila ? Est-ce que cela ne vous oblige pas à endosser une posture nationaliste exacerbée ?

Nous ne cherchons pas à exacerber un sentiment nationaliste. Il n’y a rien d’excessif dans notre position. Depuis 2009, nous avons rétabli nos relations diplomatiques avec Kigali et nous travaillons ensemble. Les problèmes ont seulement commencé avec cette mutinerie, et nous n’avons pas été les seuls à réagir. L’ONG Human Rights Watch [HRW] et la Monusco doivent-elles également se justifier d’une éventuelle rwandophilie ? Nous prenons seulement nos responsabilités et nous parlons droit dans les yeux à nos amis rwandais. Je ne pense pas que le peuple congolais voie le président Kabila à travers ce prisme rwandophile.

Quel sort réservez-vous à Bosco Ntaganda et au M23 ? Un accord politique, comme en 2009 avec le CNDP ?

Sûrement pas. En 2009, nous avions affaire à un mouvement politico-militaire. Cette fois, nous sommes face à une mutinerie d’hommes qui appartiennent à l’armée congolaise. Cela se réglera sur la base de la discipline militaire. Y a-t-il un agenda politique sur la table de M. Bosco ? Que voulez-vous que l’on négocie avec lui ? Sa non-traduction devant la justice ? Il n’en est pas question. Il a eu sa chance, il n’en aura pas une seconde. Il n’a pas d’avenir au sein des FARDC.

Peut-on envisager son transfert à la CPI ?

Nous verrons le moment venu. Pour l’heure, il faut l’arrêter. Son avenir n’est pas celui d’un homme libre, en tout cas pas en RD Congo.

Parlons à présent du Sommet de la francophonie prévu en octobre prochain à Kinshasa. Vous avez eu un entretien avec Yamina Benguigui, la ministre déléguée à la Francophonie. Avez-vous obtenu une réponse de Paris quant à la venue du président François Hollande ?

Il revient aux pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie [OIF] de répondre à notre invitation comme bon leur semble. Notre souhait est évidemment qu’ils soient représentés au niveau le plus élevé possible, la France comprise… Mais nous sommes encore à plusieurs mois du sommet.

Selon le Quai d’Orsay, la ministre « a rappelé son attachement à ce que des progrès concrets se réalisent d’ici au sommet », notamment dans les domaines des droits de l’homme et de la transparence électorale. Cela ressemble à une liste de conditions…

On ne m’a pas remis une liste de conditions. Je n’ai pas de commentaires ni de réactions à exprimer sur ce communiqué. Je sais ce que nous nous sommes dit, et c’est sur cette base que nous allons continuer à coopérer. L’entretien s’est bien déroulé et offre de bonnes perspectives quant aux relations entre les deux pays.

Mais, en cas d’absence de Hollande ou d’autres dirigeants, ne craignez-vous pas un déplacement ou un report de ce sommet ?

La responsabilité reviendrait à ceux qui auraient décidé de ne pas venir. Ce qui est en cause, c’est la conception de cette organisation. Tous les États se valent. La langue française a peut-être son origine en France, mais elle appartient à tout le monde, et son avenir est davantage dans nos pays qu’en France. Pour l’heure, je n’ai pas de raisons de douter de la participation de la France au niveau que nous souhaitons.

Vous croyez donc à la présence de François Hollande…

J’y travaille. C’est dans l’intérêt de la Francophonie et de nos deux pays.

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