Joseph Tonda : la sorcellerie, « c’est une quête de rationalité »
Entretien avec Joseph Tsonda, anthropologue, professeur à l’université Omar-Bongo de Libreville, auteur de « Le souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon) », aux éditions Karthala.
Jeune Afrique : Les hommes de pouvoir ont-ils besoin de pratiques occultes pour diriger ?
Joseph Tonda : Dans l’imaginaire collectif, pouvoir et sorcellerie sont synonymes. Le pouvoir signifie un dépassement, une excroissance, voire un déficit. Pour être puissant, il faut posséder un organe de plus, notamment dans le ventre. D’un point de vue organique, on ne peut exercer le pouvoir sans l’existence et la mise en activité de cet organe. Ainsi, un individu peut être le chef de tout le monde.
En recourant à la sorcellerie, le chef cherche-t-il à faire peur ou, simplement, à se conforter dans l’idée qu’il est puissant ?
Si l’on dit qu’il veut uniquement faire peur, cela signifie que ces pratiques n’ont aucune importance. Quand un chef boit du sang humain, comme Sakombi Inongo l’a dit à propos de Mobutu – mais il y en a d’autres -, c’est parce qu’il pense que c’est important pour lui s’il veut commander, dominer. Donc, il y croit.
Est-il avéré que des ministres s’adonnent à la sorcellerie avant chaque remaniement afin de ne pas perdre leur portefeuille ?
C’est avéré et n’importe qui à Libreville peut le confirmer. Depuis quelques mois, il y a des affaires de crimes rituels devant les tribunaux. Il s’agit de députés, de ministres, de sénateurs qui, pour accéder au pouvoir ou le conserver, envoient des mercenaires capturer des gens auxquels ils enlèvent la langue, les mains, les organes génitaux, remis ensuite à des féticheurs qui leur fabriquent des charmes.
Ces pratiques relèvent-elles de l’obscurantisme ou, au contraire, d’une "tradition africaine" ?
Ce n’est pas parce qu’elles relèveraient de nos traditions qu’elles ne seraient pas obscurantistes. Tout ce qui sépare de la moyenne est considéré comme anormal et s’explique par le surnaturel. Les gens sont confrontés à ce qui est obscur et difficilement explicable. Donc, d’une certaine manière, ces pratiques relèvent d’une quête de rationalité.
Peut-on dire d’une telle démarche qu’elle est africaine ou simplement humaine ?
Ce n’est pas africain mais humain. Sauf que l’Afrique vit une mutation accélérée où tout se précipite, notamment les valeurs et le manque de maîtrise sur le destin des individus et des nations.
Y a-t-il sur le continent des hommes de pouvoir qui ne recourent pas à la sorcellerie ?
Il est difficile de l’imaginer. Pour une raison simple : s’ils n’y croient pas eux-mêmes, il y a leur entourage.
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Propos recueillis par Tshitenge Lubabu M.K
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