Abel Kouvouama : « La sorcellerie est un langage des conflits sociaux »

Entretien avec Abel Kouvouama, professeur franco-congolais d’anthropologie à l’université de Pau, auteur de « Modernité africaine. Figures du politique et du religieux » et de « Sorcellerie, écrits, images », à paraître, aux éditions Paari.

Abel Kouvouama, Professeur franco-congolais d’anthropologie à l’université de Pau. © DR

Abel Kouvouama, Professeur franco-congolais d’anthropologie à l’université de Pau. © DR

Publié le 10 juillet 2012 Lecture : 2 minutes.

Jeune Afrique : Quelle est selon vous l’importance des pratiques occultes dans les milieux du pouvoir ?

Abel Kouvouama : La question sorcellaire a toujours été au coeur des logiques de puissance, et le sacré a toujours côtoyé le pouvoir. Dans l’Afrique traditionnelle, la religion, la politique et le sacré ne sont que des instances qui organisent la relation de l’individu au monde. Dit autrement, la sorcellerie est un langage des conflits sociaux. La question n’est pas d’y croire ou non, cela peut être une mise en scène ou une pratique assumée… Quoi qu’il en soit, ces récits traduisent une tension au sein de la société et interagissent sur les comportements des individus. 

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Quand ces pratiques sont-elles les plus fréquentes ?

Dès lors qu’il y a une lutte pour le pouvoir. Il peut s’agir d’élections, mais je me souviens également des réunions du comité central de l’ancien parti unique au Congo-Brazzaville, les rumeurs de sacrifices humains abondaient. Aujourd’hui, selon les enquêtes que j’ai menées, ces pratiques reposent essentiellement sur des sacrifices d’animaux, ou bien à partir d’ossements humains. Le sacrifice humain est exceptionnel, car la surveillance des organisations de défense des droits de l’homme est très dissuasive. 

Les décideurs politiques sont-ils instigateurs ou victimes ?

Ces pratiques occultes sont plutôt le fait des entourages. Par tactique, le décideur politique laisse faire tant que cela ne va pas à l’encontre de ses intérêts. Il ne faut jamais oublier que les luttes politiques peuvent entraîner des conflits sorcellaires… Et ça, tout le monde le redoute. 

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Au-delà d’une réalité sociologique, pensez-vous que ce recours à la magie parasite le discours politique ?

Bien évidemment. La politique consiste à organiser le vivre-ensemble. Si les acteurs ne sont plus des citoyens actifs mais des agents sous influence, c’est dangereux. Cela dit, si la sorcellerie vise à intimider l’adversaire ou l’électeur, elle ne pèse pas lourd face à un déferlement populaire. Dans les années 1990, les dirigeants et leurs marabouts n’ont rien pu faire contre les Conférences nationales…

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Aujourd’hui, les nouvelles générations cherchent à s’affranchir de ces pratiques, car elles ont conscience que le rapport des forces politiques – ou éventuellement militaires – est beaucoup plus opérant. Les dynamiques occultes ou magiques qui perdurent ne remettent pas en question la modernité africaine.

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Propos recueillis par Philippe Perdrix

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