Rwanda – Anastase Shyaka : « Notre système ne peut être antidémocratique »
Les dossiers sensibles de la transparence de l’administration ou de la liberté de la presse lui ont été confiés. Le directeur général de l’Office rwandais de la gouvernance, Anastase Shyaka, explique ce qui va changer.
Rwanda : l’âge de raison
Réforme des médias, enregistrement des partis politiques, contrôle des services administratifs… La sensibilité des dossiers confiés à Anastase Shyaka le prouve : cet homme de 44 ans jouit d’une grande confiance au sommet de l’État. Universitaire formé en Pologne et ayant enseigné aux États-Unis (grâce à une bourse du département d’État américain), il est le directeur général de l’Office rwandais de la gouvernance (Rwanda Governance Board, RGB), une institution publique créée en septembre 2011. Son objectif est de faire du pays un modèle de bonne gouvernance, au même titre qu’il l’est devenu dans celui du développement. Un véritable défi.
Jeune Afrique : Vous être chargé de la réforme des médias, alors que la liberté de la presse est fréquemment décrite comme très insuffisante au Rwanda. Comment améliorer la situation ?
Anastase Shyaka : Nous menons une série de réformes très ambitieuses, et je dirais même risquées. Par exemple, toutes les administrations seront bientôt obligées de livrer leurs informations non classées à tout citoyen qui en fera la demande. Dans le domaine de la presse, nous allons réformer la loi sur les médias : jusque-là, les titres de presse devaient respecter une périodicité et envoyer une copie de chaque exemplaire au ministère de l’Information. Ce ne sera plus le cas. L’Orinfor [Office rwandais d’information, NDLR], média d’État, va être transformé en média public sur le modèle de la BBC ; son directeur général ne sera plus nommé en Conseil des ministres, mais par un comité indépendant. Enfin, nous allons mettre la régulation des médias entre les mains des journalistes eux-mêmes, avec un organe qu’ils devront mettre en place.
Les délits de presse vont-ils être dépénalisés ?
Nous avons fait le choix de réduire les peines encourues pour ces délits plutôt que d’en faire des infractions civiles, car la plupart de nos médias sont trop faibles pour être capables d’indemniser un plaignant.
L’autocensure et la crainte de se lancer dans un secteur trop sensible n’empêchent-elles pas l’émergence de médias puissants et critiques ?
L’autocensure n’est pas mesurable, mais il est tout à fait possible qu’elle existe. Il faut rappeler le poids du passé : nous avons vu ce que les médias de la haine ont produit. Mais aujourd’hui, les journalistes bien formés, qui restent dans des normes professionnelles, traitent les informations sensibles comme partout ailleurs. Le vrai problème, c’est qu’ils sont peu nombreux.
La loi sur l’idéologie du génocide, jugée très sévère et formulée de façon floue, va-t-elle être réformée ?
Oui. Nous avons rassemblé les doléances de la société civile et des médias, et avons consulté des experts d’autres pays pour nous inspirer de leurs lois. Nous avons transmis des recommandations au gouvernement, qui doit se prononcer.
Lors des élections de 2009, certaines formations d’opposition n’avaient pas pu présenter de candidat, faute d’enregistrement. Le processus va-t-il changer ?
À l’époque, l’enregistrement des partis politiques dépendait du ministère de l’Administration locale, donc du gouvernement. Cette responsabilité nous a été transférée. Sur le fond, en revanche, les critères sont simples à respecter : il suffit d’avoir au moins cinq membres fondateurs du parti dans chacun des 30 districts. Cela ne devrait pas changer.
Le Rwanda est souvent cité en modèle pour son développement, mais en contre-exemple pour son système politique. Que vous inspire ce jugement ?
Que c’est impossible : un système qui assure le développement, la lutte contre la corruption et la redevabilité des gouvernants ne peut pas, dans le même temps, être mauvais en termes de gouvernance. Notre système est peut-être unique, différent, mais pas antidémocratique.
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Propos recueillis par Pierre Boisselet
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