1962-2012 : la Passion rwandaise
Une fois n’est pas coutume, le 1er juillet, le petit État célébrera l’anniversaire de son indépendance, en même temps que la victoire du Front patriotique rwandais et le début de la reconstruction du pays qu’il commémore chaque 4 juillet. Sans faste, dans la cohésion et la réflexion.
Rwanda : l’âge de raison
La dernière saison des pluies n’a pas été clémente avec le Rwanda. De mi-avril à début mai, à plusieurs reprises, les rivières se sont changées en torrents, inondant les vallées, sur lesquelles ont déferlé des glissements de terrain provoqués par le ruissellement des eaux. Au moins 17 personnes ont été tuées, plus de 500 habitations détruites, des routes endommagées et des parcelles agricoles dévastées.
Pour faire face, le gouvernement a décrété l’umuganda avant l’heure. C’est ainsi que se nomment les travaux d’intérêt général auxquels tous les Rwandais sont tenus de participer, habituellement une fois par mois. On s’est donc réuni, par village ou par quartier, pour accomplir en commun les tâches qui devaient l’être : travaux de drainage et de stabilisation des sols, avec plantation d’arbres et construction de terrasses, pour limiter les dégâts la prochaine fois. Telle est la réaction du Rwanda face à l’adversité : effort, cohésion et discipline, avec une certaine aversion pour les solutions venues de l’extérieur.
À l’échelle du pays et des défis qu’il a eu à relever, les résultats sont spectaculaires et incontestables. Aucune nation au monde n’a connu pareil développement humain depuis 1990, et ce malgré la guerre civile et le génocide de 1994 qui l’avaient fait plonger dans les tréfonds du classement onusien. Les progrès sont plus impressionnants encore en matière de climat des affaires : le pays est désormais classé 45e au niveau mondial par le rapport « Doing Business » 2012 de la Banque mondiale, ce qui le place à la troisième place du continent, derrière Maurice et l’Afrique du Sud. Conséquence, les investissements étrangers sont devenus le pilier d’une croissance particulièrement élevée (8,8 % en 2011).
"Voir les choses en grand"
Poussés par un leadership politique déterminé, qui incite sans cesse ses concitoyens à « voir les choses en grand » et à faire preuve d’énergie créatrice, les Rwandais sont de plus en plus nombreux à lancer leur propre affaire. Ici, même les petites entreprises semblent saisies d’une irrépressible envie de franchir les frontières. Leurs ambitions sont aiguisées par l’intégration à la très dynamique zone de libre-échange de la Communauté d’Afrique de l’Est. Dans certains secteurs comme celui des nouvelles technologies, dans lequel le pays a massivement investi, Kigali espère même rivaliser, voire dépasser ses grands voisins.
Il lui reste encore bien des problèmes à résoudre, comme sa dépendance à l’aide internationale, toujours très importante (lire p. 70), ou le déficit de son commerce extérieur. En revanche, la réduction de la pauvreté – autre talon d’Achille du « modèle rwandais » des années 2000 – semble résolument enclenchée. Selon le dernier rapport sur les conditions de vie des ménages, mené en 2010-2011 par l’Institut national des statistiques du Rwanda, le taux de pauvreté (calculé sur la base de 118 000 francs rwandais, soit 153 euros, par personne et par an) a reculé de près de douze points depuis 2006, passant de 56,7 % à 44,9 %. Insuffisant pour satisfaire le gouvernement, qui a annoncé une augmentation de 50 % des fonds alloués l’an prochain à sa Stratégie de développement économique et de réduction de la pauvreté.
Au Rwanda, plus encore que dans les autres pays en développement, obtenir des résultats en la matière est une nécessité pour souder la société et s’assurer que les tensions du passé ne réapparaissent jamais. Car la cohésion nationale demeure une préoccupation dans un pays traumatisé par le génocide de 1994. Un baromètre, mis en place en 2010 par la Commission nationale pour l’unité et la réconciliation, doit d’ailleurs permettre de suivre l’évolution des tensions. « Les premiers résultats sont très satisfaisants, cela va dans le bon sens », affirme Pierre Rwanyindo Ruzirabwoba, le directeur de l’Institut de recherche et de dialogue pour la paix (IRDP), qui se penche sur ces questions au travers de groupes de parole et est partenaire de l’opération. La grande catharsis nationale des audiences, en plein air et en public, des présumés génocidaires par les gacaca (tribunaux populaires et traditionnels créés il y a exactement dix ans), qui s’est terminée le 18 juin, y a largement contribué.
Le dernier rapport de l’IRDP, qui doit être publié dans les prochaines semaines, conclut toutefois que, en dépit des progrès, « le conflit ethnique […] cristallisé par le génocide reste au coeur de la vie quotidienne », et que le système politique comporte des faiblesses importantes, telles que « la déconnexion entre l’élu et l’électeur », la « culture d’autocensure » de la société rwandaise, ou encore le fait que les partis politiques peinent à « se prononcer publiquement sur les options politiques prises par les gouvernants ».
C’est notamment pour remédier à ces faiblesses qu’a été créé, en novembre, l’Office rwandais de la gouvernance (Rwanda Governance Board, RGB). En la matière, le petit pays revendique « un rythme de construction et une architecture démocratiques qui [lui] sont propres », ainsi que l’a rappelé le président Paul Kagamé dans Jeune Afrique fin avril (voir J.A. no 2677 du 29 avril au 5 mai 2012). « Nous sommes ouverts à tous les conseils en matière d’évolution démocratique, à condition qu’ils soient de bonne foi, mais nous n’aimons pas les prescriptions, encore moins les ordres », a-t-il ajouté. Lorsque, dans les semaines suivantes, un rapport de la Mission de l’ONU en RD Congo (Monusco) a accusé le Rwanda de soutenir une rébellion chez son grand voisin, Kigali en a fait la démonstration, démentant fermement ces allégations et n’hésitant pas à déclarer son hostilité contre la plus vaste opération internationale de maintien de la paix.
Contrairement à nombre de pays africains, le Rwanda n’a pas non plus convié son ancien colonisateur, la Belgique, aux cérémonies marquant le cinquantenaire de l’indépendance, le 1er juillet. Ses rapports sont restés plus frais encore avec la France, même après le rétablissement des relations diplomatiques, en 2009, après trois ans d’interruption. Le départ d’Alain Juppé – coupable, aux yeux de Kigali, d’avoir soutenu le régime génocidaire – du ministère français des Affaires étrangères après l’élection de François Hollande, le 6 mai, devrait permettre de repartir sur de nouvelles bases. Il est certain, en revanche, que rien ne sera plus jamais comme avant avec Paris. C’est aussi à cela que l’on reconnaît la véritable indépendance.
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Pierre Boisselet, envoyé spécial
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