La Chine sur tous les fronts, sous la mer comme au ciel

L’espace, les grands fonds océaniques, la banquise du pôle Nord… Aucune terra incognita n’est plus à l’abri des convoitises des dirigeants chinois.

Jing Haipeng (centre), Liu Wang et Liu Yang dans la capsule Shenzhou-9. © SIPA

Jing Haipeng (centre), Liu Wang et Liu Yang dans la capsule Shenzhou-9. © SIPA

Publié le 28 juin 2012 Lecture : 4 minutes.

Elle a 34 ans, les cheveux courts et un large sourire. Le portrait de Liu Yang s’étale à la une de tous les journaux chinois. Ce major de charme, pilote de chasse au sein de l’escadrille de Wuhan, est la première femme taïkonaute – comme on appelle ici les cosmonautes. Pour ce quatrième vol spatial habité, la propagande du régime s’en est donné à coeur joie : retransmission du départ en direct sur les chaînes de télévision nationales, drapeaux chinois à tous les carrefours et portraits élogieux de cette « fille du ciel dévouée à ses parents et dotée d’un sang-froid incroyable », comme la décrit Le Quotidien du peuple.

Lors de la conférence de presse qui précéda le décollage, elle fut la dernière des trois taïkonautes à prendre la parole. Pour remercier son pays et promettre de faire partager à ses compatriotes « les merveilles de l’espace ». Un vrai conte de fées, doublé d’un bel élan de ferveur patriotique comme les autorités ont l’habitude d’en orchestrer.

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Reste que la mission est importante. La fusée Longue Marche, qui transportait Shenzhou-9, alias le « Divin Vaisseau », a réussi son délicat « rendez-vous de l’espace ». Autrement dit son amarrage à la station Tiangong-1. Jusqu’ici, seuls les États-Unis et la Russie maîtrisaient cette technique. C’est le premier élément d’un Meccano de l’espace qui devrait aboutir à l’horizon 2020 à la mise en place d’une station orbitale concurrente de la Station spatiale internationale, le fameux programme ISS dont la Chine fut exclue par les États-Unis. Belle revanche.

Guerre froide

Faire vivre et travailler en apesanteur des taïkonautes au service des intérêts suprêmes du Parti communiste, et faire ainsi la démonstration du très haut niveau atteint par la science chinoise… On se croirait revenu au temps de la guerre froide. La République populaire a, ces dernières années, multiplié les lancements de satellites militaires et espère, à terme, installer une base permanente sur la Lune. Elle dispose désormais des trois ingrédients qui définissent une puissance spatiale : une gamme de lanceurs, la maîtrise des rendez-vous spatiaux et l’expérience des vols habités de longue durée. Alors que les programmes américain et européen sont frappés par de sévères restrictions budgétaires.

La grande différence avec l’époque de la rivalité Est-Ouest, c’est l’importance prise par les considérations économiques. Le programme spatial, sur lequel l’Armée populaire de libération (APL) a la haute main, mêle en effet guerre des étoiles et chasse aux matières premières. Cette dernière conduit les autorités à se lancer à l’assaut de toutes les terres inexploitées. Ce n’est sans doute pas un hasard du calendrier si, vingt-quatre heures avant le décollage du Divin Vaisseau, un submersible chinois, le Jiaolong (du nom d’un dragon mythique), a réussi à descendre à plus de 7 000 m, établissant du même coup un nouveau record de plongée sous-marine. La Chine est devenue en 2003 le troisième pays à placer un homme sur orbite. Elle intègre aujourd’hui le « club des cinq » puissances capables d’explorer les grands fonds, avec les États-Unis, la Russie, le Japon et la France.

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Dans ce domaine aussi, elle a mis les bouchées doubles pour combler une partie de son retard. Elle fut le cinquième pays à lancer une mission habitée au-delà de 3 500 m de profondeur. En juillet 2011, dans la fosse des Mariannes, un de ses submersibles atteignit 5 057 mètres. Du coup, 70 % des fonds océaniques lui devenaient accessibles… Selon les experts, la mission du Jiaolong est de collecter des échantillons de vie sous-marine et d’étudier les structures géologiques à des fins de prospection minière.

Comme le renforcement de ses capacités militaires, l’appétit de la Chine pour les richesses minérales des grands fonds inquiète ses voisins. L’an dernier, le Jiaolong avait symboliquement planté le drapeau national au fond de la mer de Chine méridionale, dont plusieurs pays se disputent la souveraineté. Un geste ressenti dans la région comme une provocation.

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Dragon des neiges

Troisième étape de cette conquête tous azimuts : les pôles. La Chine bataille dur pour obtenir un siège de membre permanent du Conseil arctique. En 2004, elle a ouvert une base dans les îles Svalbard (Spitzberg), dans l’océan Arctique. Le brise-glace Xuelong (« Dragon des neiges »), qui y est stationné, prépare sa cinquième expédition. Un second navire de 8 000 tonnes, plus puissant, est en cours de construction.

Et le Divin Vaisseau décolla, dans un élan de ferveur patriotique bien orchestré…

Tout ça au nom de la science ? À vrai dire, les Chinois ont des raisons moins désintéressées de se lancer à l’assaut de la terra incognita arctique. Par exemple, l’ouverture d’ici à trente-cinq ans d’une route du Grand Nord qui raccourcira de 6 400 km le trajet Hambourg-Shanghai. Il y a aussi le gaz (30 % des réserves mondiales espérées sont situées sous le pôle Nord), le pétrole et les nodules poly­métalliques (ou nodules de manganèse), ces concrétions rocheuses reposant sur le lit des océans. « Ni le ciel ni la mer ne sont plus une limite », titrait ainsi récemment, sans modestie excessive, le quotidien China Daily.

Pour le Parti communiste chinois, englué dans une série de scandales, il s’agit aussi de tourner la page et de préparer en grande pompe la transition, lors du plénum du mois d’octobre. Tous les caciques étaient d’ailleurs réunis dans la grande salle de contrôle installée sur une base militaire du Sichuan pour applaudir le major Liu et ses deux coéquipiers.

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