France : Marianne voit la vie en rose

De la présidence de la République à l’Assemblée nationale, en passant par le Sénat, la quasi-totalité des régions, la majorité des départements et celle des grandes villes, le Parti socialiste monopolise presque tous les leviers du pouvoir. Que va-t-il – et que peut-il – en faire ?

Avec sa victoire aux élections législatives, le PS dispose de tous les pouvoirs en France. © J.A

Avec sa victoire aux élections législatives, le PS dispose de tous les pouvoirs en France. © J.A

Publié le 28 juin 2012 Lecture : 4 minutes.

Étrange surenchère sur les plateaux des émissions électorales, où la droite n’en finit pas d’énumérer les pouvoirs de la gauche afin de susciter le soupçon d’un État PS hégémonique et d’un Parlement croupion à ses ordres, et où les dirigeants socialistes promettent au contraire la restauration d’une démocratie parlementaire par le rééquilibrage des institutions. La liste des conquêtes socialistes est, de fait, impressionnante : l’Élysée, Matignon, le Palais-Bourbon, le Sénat, la quasi-totalité des régions, la majorité des départements, sans oublier de nombreuses villes de plus de 100 000 habitants.

Première région économique, notamment pour l’accueil des investissements étrangers, l’Île-de-France bascule à gauche, y compris le fief très sarkozien des Hauts-de-Seine. Même évolution à l’autre bout de la planète, dans les départements et territoires d’outre-mer et jusque parmi les Français de l’étranger, malgré une réforme du scrutin et un découpage territorial accusés de favoriser les candidats de droite. On a plus vite fait d’indiquer ce qui échappe à la gauche : le Conseil constitutionnel, en attendant sa probable réforme ; la majorité des trois cinquièmes nécessaire au Parlement pour éviter les référendums à risque, par exemple sur le vote des immigrés.

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On ne voit cependant pas pourquoi les socialistes, sous prétexte d’une hypermajorité qui les oblige autant qu’elle les renforce, répéteraient les erreurs de l’hyperprésident Sarkozy, qui, a force de monopoliser les pouvoirs, accumula les mécontentements. François Hollande n’a rien à craindre de la nouvelle Assemblée, malgré la semi-déception des écologistes, qui comptaient bien jouer de leur force d’appoint pour peser sur les choix gouvernementaux. Cécile Duflot conseille néanmoins à ses alliés de « faire attention avec tant de pouvoirs entre les mains » et se promet, avec son groupe de dix-sept élus, « d’agir comme cent ». La cuisante défaite de Ségolène Royal, dont on se demande comment elle a pu se fourvoyer en pareil piège, délivre en revanche le chef de l’État des pénibles arbitrages du perchoir.

Gare aux sénateurs

C’est avec le Sénat, une de ses plus flatteuses conquêtes pourtant, que la gauche risque de rencontrer d’inattendus problèmes de cohabitation. Elle n’y dispose que de six voix d’avance, avec un groupe communiste en embuscade et des sénateurs « loyaux mais libres » qui n’entendent pas renoncer à leur mission d’amélioration des lois hors des clivages partisans. Elle en a modifié près de la moitié sous le précédent quinquennat. L’Assemblée, malgré son privilège de « dernier mot », a eu la sagesse de les accepter en seconde lecture. Les négociations avec le nouveau gouvernement s’annoncent épineuses sur les sujets les plus sensibles : le nucléaire, le non-cumul des mandats, la condamnation du génocide arménien censurée par le Conseil constitutionnel… Nicole Borvo Cohen-Seat, la présidente du groupe communiste, ajoute à la liste le traité européen, « qui pourrait ne pas trouver de majorité ».

En se présentant comme un président « normal », Hollande a voulu signifier qu’il dirigerait le pays selon les normes des institutions. C’est sa « rupture ». Il a tout intérêt à laisser agir Jean-Marc Ayrault, son Premier ministre. Il pourra ainsi mieux se consacrer à son vrai domaine de pouvoir, la conduite des affaires étrangères et tout particulièrement la gestion de la crise européenne, où il a souffert jusqu’à l’élection d’un constant handicap de compétence et de confiance par rapport à Sarkozy.

Le premier ministre prétend réduire les déficits publics sans recourir à l’austérité. Défi ou déni?

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Dans les rudes batailles diplomatiques qui l’attendent, il bénéficiera certes du surcroît de légitimité acquis par sa victoire, mais sans que le succès en soit pour autant garanti, malgré l’évolution significative du G20 en faveur de son projet d’aide à la croissance. Si la chancelière allemande Angela Merkel est disposée à des aménagements techniques sur le remboursement des dettes, elle persiste à affirmer que le dilemme rigueur budgétaire/croissance économique est « un faux débat » dont chaque terme est la condition indissociable de l’autre. La France ne sera donc pas dispensée, avant toute concession, de prouver sa volonté d’assainissement budgétaire. Une facture qui n’aura jamais si bien mérité le sobriquet populaire de « douloureuse » : entre 10 et 15 milliards de recettes supplémentaires ou d’économies pour boucler 2012, entre 20 et 25 milliards pour 2013. Avec une prudence en forme de litote – « ce ne sera pas facile » -, le gouvernement se borne à annoncer « des efforts », tout en se hâtant de démentir les premières révélations sur les coupes « drastiques » dans les dépenses de l’État.

Paradoxe

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Telle est la conséquence paradoxale d’une élection présidentielle où adhésion et rejet se confondent ; où les électeurs ont en grand nombre voté Hollande contre Sarkozy, Sarkozy contre Hollande, et Le Pen contre les deux réunis ; et dont les 6 % de votes blancs allaient s’amplifier en 44 % d’abstention aux législatives – presque 1 inscrit sur 2. Ces désabusés n’attendent pas grand-chose de la politique, et certainement pas la rigueur. Ils n’y ont pas été préparés par les assourdissants silences de la campagne sur ses véritables enjeux. Leurs suffrages, comme leur abstention, montrent qu’ils n’en veulent pas.

Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, ne s’y trompe pas quand il craint que, « faute d’une démocratie apaisée », on ait « la rupture et les violences dans l’ensemble du pays ». Beaucoup de ceux qui ont voté socialiste ont surtout voté social en faveur du candidat qui leur paraissait le plus capable de garantir les protections de l’État providence. C’est pour les rassurer qu’Ayrault et Pierre Moscovici, son ministre des Finances, ne cessent de répéter que les promesses de réduction des déficits publics faites à l’Europe seront tenues sans recours à l’austérité, grâce à une politique de justice qui, affirment-ils, permettra d’épargner non seulement les bas revenus mais aussi les classes moyennes.

Défi ou déni ? Gageure en tout cas, et qui ne date pas de notre monarchie présidentielle. « En matière d’administration, observait déjà Louis XIV, toute réforme est odieuse. »

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