Sénégal – Macky Sall : « Avec moi, tout va changer »
Méthode, relations avec Abdoulaye Wade, ambitions, législatives, audits, crise malienne… Dans sa première grande interview, Macky Sall, le nouveau chef de l’État sénégalais, élu le 25 mars dernier, se dévoile.
Kaolack, le 14 juin. Le nouveau chef de l’État, Macky Sall, réunit son deuxième Conseil des ministres décentralisé, après celui de Saint-Louis. Une première dans l’histoire du pays, l’occasion d’emmener avec lui non pas quelques ministres, comme le font souvent les présidents africains pour démontrer qu’ils se soucient du pays profond, mais tout le gouvernement, dans des conditions de confort parfois spartiates, pour prendre le pouls de cet autre Sénégal, à moins de deux cents kilomètres de la capitale mais à près de quatre heures de route…
Le cortège a quitté Dakar la veille de bon matin, le président – contraint d’utiliser son 4×4 personnel, car Abdoulaye Wade est parti avec plus d’une demi-douzaine de véhicules présidentiels – ayant souhaité faire une halte dans son fief de Fatick, où il n’a pas eu le temps de se rendre depuis son élection, pour transmettre sa charge de maire à son successeur. Il enchaîne les audiences, reçoit notables et représentants de la population, recueille mille et une doléances. Depuis la fin de l’ère Senghor, cette région du Saloum, jadis centre névralgique du commerce de l’arachide et du sel, a été délaissée. Les Sérères, l’ethnie majoritaire dans cette partie du Sénégal, ont beau avoir une réputation d’hommes honnêtes, travailleurs, fidèles et peu portés sur l’argent, leur patience a des limites. Et ils attendent énormément du nouveau président, ce Halpulaar, natif du Sine voisin, qui partage leur culture sérère.
C’est dans le salon de la gouvernance (c’est ainsi qu’on appelle ici le bâtiment qui abrite les services du gouverneur) de Kaolack que Macky Sall nous a reçu pour répondre à nos questions, juste avant le Conseil des ministres programmé à 10 heures. La première grande interview accordée à la presse depuis son élection, le 25 mars dernier : sa conception du pouvoir et sa feuille de route, ce qu’il pense de Wade, les audits qu’il a lancés, les législatives du 1er juillet, les attentes des Sénégalais, les crises malienne et bissau-guinéenne, l’élection de François Hollande ou le procès Habré… Sans préparation aucune (il n’a demandé aucun protocole d’interview) et sans exiger de relire la version finale de l’entretien, le nouveau chef de l’État n’a éludé aucune question. Fidèle à lui-même : toujours zen, affable et décontracté. C’est aussi, son prédécesseur l’a appris à ses dépens, un homme sûr de lui et déterminé. Il faut toujours se méfier de l’eau qui dort…
Jeune Afrique : Trois mois après votre élection à la présidence, dans quel état se trouve le Sénégal ? Conforme au diagnostic, sévère, formulé pendant la campagne électorale ?
Macky Sall : Mes appréhensions ont hélas été confirmées. Mon prédécesseur avait donné le ton, en expliquant durant la campagne que, compte tenu de la gravité de la situation, il serait le seul capable de diriger le Sénégal, précisant même que, s’il ne l’emportait pas, son successeur ne pourrait payer les salaires des fonctionnaires… Dieu merci, nous n’en sommes pas là. Les mesures drastiques que nous avons prises pour juguler l’énorme déficit budgétaire dont nous avons hérité, qui est désormais de 7,4 % du produit intérieur brut (PIB), ainsi que l’aide de nos partenaires nous permettent d’envisager l’avenir plus sereinement. Nous ramènerons ce déficit à 5 % dès 2013 puis à 4 % en 2015.
Comment comptez-vous incarner la rupture promise, vous qui avez tout de même participé, comme ministre puis chef du gouvernement, au régime d’Abdoulaye Wade et compte tenu de votre marge de manoeuvre économique et financière pour le moins étroite ?
La rupture n’est pas qu’un slogan. C’est un comportement, celui que les dirigeants de ce pays doivent adopter. Humilité, sobriété et rigueur doivent régir notre action politique. Je vous assure qu’il s’agit bien là d’une rupture, profonde, avec les pratiques en vigueur sous mon prédécesseur… Avec moi, tout va changer. J’ai renoncé à deux ans de pouvoir, en ramenant le mandat présidentiel de sept à cinq ans et en m’appliquant immédiatement cette mesure, comme je m’y étais engagé. J’ai tenu, pour la première fois dans l’histoire de ce pays, à déclarer publiquement mon patrimoine, malgré les polémiques entretenues à dessein par mes adversaires. Visiblement, il vaut mieux ne rien publier et cacher son patrimoine, cela attire moins de problèmes. À la fin de mon mandat, je ferai le même exercice, et l’on pourra comparer…
Les Sénégalais ont réclamé une gouvernance plus vertueuse, plus éthique. Nous avons l’obligation de rendre des comptes, de réduire le train de vie et les dépenses naguère somptuaires de l’État. J’ai, par exemple, pris la décision de vendre le second avion de la présidence. J’ai aussi trouvé un gouvernement composé de 38 ministres en arrivant, et je l’ai ramené à 25. C’est désormais l’un des plus réduits d’Afrique, et je vous assure qu’il aurait été plus simple pour moi de distribuer plus largement les maroquins. Enfin, j’ai décidé de mettre fin à un certain nombre de projets qui n’ont que très peu d’incidence sur le développement du pays et illustrent un gaspillage de nos ressources dont les Sénégalais ne veulent plus. J’ai supprimé plus de 60 agences et directions nationales dont l’utilité n’était pas avérée. Autant de coupes qui ne réduiront en rien l’efficacité du gouvernement et de l’administration, bien au contraire…
Les Sénégalais souffrent et l’expriment. Ils éprouvent des difficultés à se nourrir, à se loger, à se soigner… Compte tenu de leurs attentes, immenses, ne craignez-vous pas de les décevoir ?
Je suis pleinement conscient de la difficulté de la tâche à laquelle nous sommes confrontés, mais je n’ai pas peur des défis. Il nous faut cependant, pour espérer changer les choses, modifier notre manière de gouverner et élaborer un nouveau paradigme en matière de conception de nos politiques de développement, avec plus d’efficacité. Il n’y a pas de miracle en la matière, seulement du travail, une vision, des compétences mises au service de l’optimisation de nos ressources. Pourquoi Taiwan, la Corée du Sud ou, plus près de nous, la Tunisie, qui étaient comparables au Sénégal au début des années 1960, ont-ils pu parcourir tout ce chemin et pas nous ? Pourquoi devons-nous toujours importer ce que l’on consomme dans nos assiettes ? Pourquoi ne pourrions-nous pas remplir les objectifs que nous nous fixons ? Rien ne sera simple. Il faudra beaucoup de sueur, de volonté, et consentir à certains sacrifices. J’ai pris des engagements durant la campagne et je mettrai tout en oeuvre pour les tenir. Ensuite, les Sénégalais jugeront…
Au sein de la coalition, nous discutons de tous les sujets. Mais, au final, c’est moi qui décide, seul.
Prochaine étape, les élections législatives *, qui se dérouleront le 1er juillet. Qu’en attendez-vous ? Ne craignez-vous pas la revanche du PDS d’Abdoulaye Wade, qui n’a pas l’air de vouloir prendre sa retraite ?
Mon seul objectif est évidemment d’obtenir la majorité au Parlement, ce qui serait la suite logique de la confiance que m’ont témoignée les Sénégalais le 25 mars dernier. Un président sans majorité n’a pas la possibilité de gouverner, et nous nous retrouverions dans une sorte d’impasse. Mes compatriotes le savent…
Comptez-vous revoir la composition du gouvernement à l’issue de ce scrutin ?
Sauf surprise liée aux résultats, il n’y a aucune raison de la changer. J’ai nommé un gouvernement composé de personnalités qui disposent des compétences requises et qui sont issues de la coalition qui m’a porté au pouvoir.
Certains pensent que vous pourriez être prisonnier de cette coalition. D’autant que cet attelage entre libéraux et socialistes paraît bancal…
Je ne suis prisonnier de rien du tout. Je suis à la tête de cette coalition, et c’est moi qui ai été élu par les Sénégalais. Chacun a un rôle à jouer, mais chacun connaît les limites de son rôle. Nous échangeons beaucoup, nous discutons de tous les sujets d’importance, mais au final c’est moi qui décide, seul.
Vous avez lancé une vague d’audits destinés à faire la lumière sur la gestion du pays pendant les années Wade (2000-2012), en précisant toutefois que vous ne souhaitiez pas qu’ils se transforment en chasse aux sorcières. Quel est l’objectif réel et quelles en sont les limites ?
Vous avez bien fait de préciser qu’il ne s’agit pas là de l’audit d’un régime mais de celui d’une gestion. Nous ne sommes pas là pour salir qui que ce soit. Nous nous intéressons donc uniquement aux actes posés, aux chantiers lancés et aux projets mis en oeuvre. Certains de ces audits ont été transmis à la justice lorsque de sérieux doutes existent relatifs à des fautes graves ou à des délits. D’autres ont été lancés par Wade lui-même. La seule chose qui nous intéresse, c’est que les erreurs du passé ne se reproduisent pas. En outre, il me semble logique lorsqu’on arrive au pouvoir de procéder à un état des lieux, sans aucun procès d’intention. Les grands chantiers de Wade, comme entre autres l’aéroport Blaise-Diagne, ont englouti d’énormes ressources. Comment les contrats ont-ils été signés ? Sur quelles bases ? Où en est l’exécution ? Comment l’argent public a-t-il été dépensé ? Autant de questions qu’il nous faut poser pour décider de la marche à suivre. Tout cela n’a rien d’extravagant, c’est même logique.
J’aurais préféré que Wade se mette au service de notre pays plutôt que de son parti, ou de ce qu’il en reste…
Y aura-t-il des personnalités intouchables ? Wade lui-même ou certains de vos proches ?
Personne n’est au-dessus des lois. Le temps de l’impunité est révolu.
Que pensez-vous de la proposition d’Abdoulaye Wade d’étendre la période examinée par ces audits jusqu’à l’indépendance ?
Cela me fait rire… Pourquoi ne l’a-t-il pas fait lorsqu’il est arrivé au pouvoir, en 2000 ? Ah si, j’oubliais, il a lancé des audits dès son élection, contre des dignitaires du Parti socialiste. Leur choix était simple : se convertir au nouveau pouvoir ou la prison. Franchement…
Wade vous a-t-il surpris en quittant le pouvoir et en redevenant chef de l’opposition ?
Oui. Le statut d’ancien chef de l’État impose respect et considération. Mais aussi un certain devoir de réserve. À partir du moment où l’on fait fi de cet équilibre pour s’inscrire dans l’opposition – ce qui n’est pas franchement une sinécure en Afrique, je suis bien placé pour vous en parler -, on s’expose. J’ai toujours respecté son parcours personnel, remarquable au sens propre du terme, et je ne souhaiterais pas qu’il soit traité comme un opposant. Il est d’un certain âge, les temps ont changé et les Sénégalais ont tourné la page. Je me garde de polémiquer avec lui, je n’en ai pas le temps. Ce qui me préoccupe, c’est de conduire le Sénégal à bon port, pas le sort de Wade. Mais il est vrai que j’aurais préféré qu’il mette son expérience au service de notre pays plutôt que de son parti, ou de ce qu’il en reste…
Entretenez-vous des relations depuis votre arrivée à la présidence ?
Depuis la passation des pouvoirs, où tout s’est passé comme si de rien n’était, non, pas directement. Mais si nous devions nous retrouver, disons au hasard de nos agendas respectifs, je n’aurais aucun problème à discuter avec lui.
La seule solution pour l’armée malienne est de coopérer avec la force d’intervention.
Pourriez-vous travailler avec son fils, Karim ?
Je ne souhaite pas personnaliser les débats. Et la question ne se pose même pas.
D’un côté, une jeunesse ouverte sur le monde, dynamique mais exaspérée. De l’autre, le poids des traditions, des castes et des confréries. Comment réconcilier ces deux faces du Sénégal ?
Le Sénégal est un pays à l’alchimie complexe. Le poids des traditions, effectivement, y côtoie l’influence de l’ouverture et de la modernité. Mais nous avons toujours su gérer ces impératifs. Et ce n’était pas simple : l’islam a trouvé chez nous une culture traditionnelle africaine solidement ancrée, avec laquelle il a dû cohabiter. Puis est arrivé le christianisme et, enfin, la colonisation. Une accumulation d’influences parfois contradictoires. Le monde évolue extrêmement rapidement, et avec l’impact des nouvelles technologies, de la révolution informatique ou l’émergence de nouvelles générations, le poids des traditions aura tendance, inévitablement, à diminuer, sans pour autant disparaître. Arrivera alors le temps d’une citoyenneté moderne, beaucoup plus connectée à ce qui se passe ailleurs dans le monde. Ce que définissait, en somme, Senghor quand il parlait d’enracinement et d’ouverture. Une évolution que les Asiatiques, par exemple, ont su mener.
"NTS : nouveau type de Sénégalais" est une expression inventée par les jeunes du mouvement Y’en a marre pour exprimer le besoin de changement des mentalités et des comportements. Selon vous, sur quoi doivent reposer ces changements ? Quel est le portrait-robot, si l’on peut dire, de ces nouveaux Sénégalais ?
Il faut rendre hommage à ce mouvement Y’en a marre, issu des cultures urbaines et du hip-hop, qui s’attache au changement des mentalités, qui s’adresse au chef de l’État comme aux jeunes des banlieues, et qui tente de faire évoluer notre société. Il prône le civisme, le respect du bien commun, la responsabilisation des citoyens, l’intérêt collectif, la solidarité entre les générations, le respect des droits fondamentaux dans un État de droit, etc. Je suis entièrement d’accord avec eux sur ces points, qui ne sont pas des détails et qui peuvent sembler être des évidences. C’est pourtant loin d’être la réalité sénégalaise, alors que nous devrions tendre vers cela. Pour une fois que ce ne sont pas des dirigeants qui assènent ces objectifs…
La crise de votre voisin malien s’enlise : le Nord est toujours aux mains des indépendantistes touaregs du MNLA, des islamistes d’Ansar Eddine et des djihadistes d’Aqmi ; le Sud, lui, entre celles du capitaine putschiste Amadou Haya Sanogo. La perspective d’une intervention militaire, réclamée par la Cedeao, se précise. Êtes-vous pour ou contre ?
Je suis évidemment pour. Ce qui se passe au Nord-Mali dépasse le simple cadre national et menace la stabilité régionale. À la situation que vous avez décrite, j’ajouterais le développement de nombreux trafics, dont celui de la drogue, qui ne fait qu’emmêler un peu plus un écheveau déjà inextricable. L’Union africaine, avec la Cedeao et le Conseil de sécurité, doit de toute urgence voter une résolution d’interposition pour, d’une part, restaurer réellement la légalité républicaine et institutionnelle en sécurisant les autorités de la transition et en leur donnant les moyens de leur mission, et, d’autre part, recouvrer l’intégrité territoriale en reprenant la partie septentrionale du Mali.
Dans le Sud, le maître du jeu semble toujours être le capitaine Sanogo, surtout depuis l’agression dont a été victime le président de la transition, Dioncounda Traoré. Peut-on réellement discuter avec lui ?
Nous avons discuté avec le capitaine Sanogo juste après le coup d’État. Et grâce à la médiation burkinabè, nous avons pu éviter le pire. Aujourd’hui, des autorités de transition ont été nommées et c’est avec elles qu’il faut discuter. Je condamne d’ailleurs de la manière la plus ferme l’agression barbare et sauvage dont a été victime le président Traoré. La seule solution pour l’armée malienne est de coopérer avec la force d’intervention qui sera mise en place, dont elle doit être le coeur.
Le 4 février, l’opposition demande le retrait de la candidature d’Abdoulaye Wade à la présidentielle (de g. à dr. : Alioune Tine, Youssou Ndour, Macky Sall, Moustapha Niasse, Talla Sylla, Amath Dansoko, Idrissa Seck, Cheikh Tidiane Gadio, Tanor Dieng et Cheikh Bamba Dièye). Aujourd’hui, le chef de l’État doit gouverner avec l’ensemble de ces partenaires
(© Iba Diallo/Présidence de la République)
Autre voisin, autre crise, en Guinée-Bissau. Comment, selon vous, en est-on arrivé là ?
Ce pays vit un véritable drame. Depuis son indépendance, il cumule les échecs alors que son potentiel est réel. Premier problème : le poids de son armée, pas franchement composée de militaires, disons, « modernes », mais qui tire cependant sa légitimité de la guerre de libération. Deuxième problème : la drogue et les narcos. À cela s’ajoutent un véritable parti-État pris de convulsions politiques, une Constitution qui ne facilite rien puisqu’elle instaure un bicéphalisme de fait à la tête de l’exécutif et donc des tensions quasi permanentes… L’instabilité est chronique. La Cedeao est cependant là aussi intervenue rapidement et a déployé une force d’interposition, les Angolais sont partis. Je viens de recevoir le président de la transition, Manuel Serifo Nhamadjo. Je lui ai promis que nous ferons tout pour les aider, dans le cadre de la Cedeao. La route est longue. Pour l’instant, il me semble que nous empruntons la bonne voie…
Le procès de l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré, qui vit en exil au Sénégal, confine de plus en plus au serpent de mer. C’est peu dire que votre prédécesseur a peu fait pour qu’il réponde enfin de ses actes devant la justice. Vous avez décidé de créer un groupe de travail chargé d’étudier les modalités de son procès. Certains, notamment parmi les familles des victimes, craignent que l’on perde encore un temps précieux et que, finalement, il ne soit jamais jugé…
Je viens seulement d’arriver, il est donc normal que je me penche d’abord sur ce dossier sensible et tente de comprendre pourquoi nous en sommes encore là. Ce comité est justement chargé de faire toute la lumière sur cette affaire et d’étudier les contraintes qui se posent à nous, sachant que j’exclus d’office son extradition vers la Belgique, qui le réclame. Il n’y a aucune raison valable de ne pas le juger en Afrique, et je rappelle d’ailleurs que c’est l’Union africaine qui a donné mandat au Sénégal d’organiser ce procès. Habré sera jugé ici.
Il n’y a aucune raison de ne pas juger Hissène Habré en Afrique.
Sitôt arrivé à la présidence, vous avez déclaré vouloir redorer le blason de la politique étrangère du Sénégal. Qu’entendez-vous par là ?
En diplomatie, il faut déjà commencer par une bonne gestion de son voisinage immédiat. Le Sénégal est entouré de pays qui traversent des crises importantes, et nous devons restaurer la confiance avec ces voisins. Idem avec la Mauritanie, un pays important pour nous, où je me rendrai sitôt les législatives terminées pour rencontrer le président Abdelaziz. La Gambie, elle, se trouve au sein de notre territoire. Elle partage en grande partie la même langue, les mêmes ethnies, et a une influence naturelle sur la Casamance. C’est en partie pour ces raisons que j’y ai effectué ma première visite officielle. Pour l’instant, même si je suis le petit dernier au sein du club des présidents en exercice, je m’entends bien avec chacun des chefs d’État de la région…
Au contraire de votre prédécesseur Abdoulaye Wade…
[Rires.] Franchement, je ne veux pas parler de mon prédécesseur, et ce qui se passait avant ne m’intéresse pas. Ce qui m’importe, c’est le présent, donc les relations que j’entretiendrai avec mes voisins. Nous sommes tous dépendants les uns des autres. Autant que cela se passe bien, dans l’intérêt de tous.
Vous allez participer, à la mi-juillet, à votre premier sommet de l’Union africaine. Le duel pour la présidence de la Commission entre le Gabonais Jean Ping et la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma a largement perturbé le précédent sommet et semble bloquer l’institution, sans que l’on sache ce qui pourrait advenir à Addis-Abeba. Quelle est votre position ?
La Cedeao s’est déjà exprimée : nous soutenons Jean Ping. Maintenant, cette position doit être clarifiée lors d’un prochain sommet de l’institution régionale, à Yamoussoukro, les 28 et 29 juin prochains. Il n’y a aucune raison que notre position évolue, mais vous comprendrez que j’attendrai l’issue de cette réunion pour me prononcer définitivement et officiellement. Les uns et les autres nous ont approchés. L’essentiel, c’est que l’UA ne soit plus paralysée.
Je ferai tout pour rester le même homme, j’espère que mon entourage m’y aidera…
Le nouveau chef de l’État français, François Hollande, a été élu peu de temps après vous. Les similitudes entre vous sont nombreuses : vous n’étiez pas particulièrement attendus il y a un an de cela, les attentes de vos populations respectives sont très fortes, vous êtes discrets et revendiquez votre « normalité »… Qu’attendez-vous de lui ?
M. Hollande a son style et son caractère. Je regrette que certains confondent humilité avec faiblesse. Il est, je crois, surtout efficace. Son arrivée au pouvoir survient dans un contexte particulier, marqué par deux coups d’État sur le continent, au Mali et en Guinée-Bissau, et par l’émergence d’un terrorisme international que nous peinons à endiguer. La zone sahélienne s’est muée en « Africanistan ». Nous avons échangé à deux reprises depuis son élection, sur les relations bilatérales et sur les risques auxquels est confrontée notre région. Sa démarche est empreinte de respect et l’esprit est nouveau : un véritable partenariat dans lequel chaque partie s’y retrouve.
Le 14 juin à Kaolack, lors de l’entretien
(© Iba Diallo/Présidence de la République).
Quelle est votre principale fierté dans la vie ?
D’avoir su écouter et appliquer l’éducation que mes parents m’ont prodiguée : respecter les autres, ne jamais être envieux, faire preuve d’abnégation, fournir les efforts nécessaires à la réalisation de ses objectifs. Mais j’ajouterai désormais : avoir su ne compter sur personne. Ni papa, ni maman, ni même, et je dirais surtout, sur un quelconque mentor. Ce qui signifie : croire en sa légende personnelle, comme l’a écrit Paulo Coelho dans L’Alchimiste, un ouvrage qui m’a beaucoup marqué. Je sais que le destin joue évidemment dans tout ce qui est arrivé, mais j’ai fait ma part du « job », comme on dit : croire en moi et me donner les moyens d’aller au bout de mes convictions. Et je vous assure que cela n’a jamais été une évidence…
Et votre principal regret ?
Avoir perdu mes parents. Ils n’ont pu être à mes côtés lorsque j’ai accédé à la présidence. On ne peut pas tout avoir dans la vie…
Quel est le personnage historique qui vous a le plus marqué ?
Cela va vous paraître curieux pour un libéral, mais je dirais Mao Zedong. Le monde rural est fondamental, il le sera encore plus demain. Mao l’avait compris. Son abnégation, son engagement et sa persévérance m’ont profondément marqué. Sur un autre plan, le général de Gaulle est une autre référence pour moi. Il a fait un choix difficile, celui d’oser la bataille pour la libération de la France quand tant d’autres de ses collègues de l’état-major français ont capitulé. Un acte héroïque qui aurait pu rester sans lendemain. Mais il a obtenu ce qu’il recherchait, sans jamais cesser d’y croire, alors que les circonstances étaient pour le moins défavorables.
Le pouvoir corrompt, dit l’adage. En êtes-vous conscient et comment comptez-vous l’éviter ?
J’en suis pleinement conscient, dire le contraire serait naïf. J’ai déjà exercé le pouvoir, à des échelons inférieurs certes, et j’ai déjà été confronté aux sirènes de l’argent facile. Mon éducation fait que je suis relativement insensible aux fastes et aux lambris dorés. Mon ego n’a jamais été surdimensionné et, jusqu’à présent, j’ai toujours gardé les pieds sur terre. Je ferai tout pour rester le même homme et j’espère de tout coeur que mon environnement, familial, amical ou professionnel, m’y aidera…
* Entretien réalisé le 14 juin 2012
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Propos recueillis à Kaolack par Marwane Ben Yahmed
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