Joséphine Baker, ma mère, cette héroïne
Dans « Un château sur la lune », Jean-Claude Bouillon-baker, l’un des fils adoptifs de Joséphine Baker, rend hommage à sa mère, une femme blessée qui s’est dressée contre les préjugés et s’est battue pour élever douze enfants aux origines diverses.
Il est retourné au château de son enfance, les Milandes, dans le Périgord, pour des séances de dédicace. Devant Jean-Claude Bouillon-Baker, des lecteurs d’horizons divers. Une Haïtienne, qui lui confie être dans une démarche d’adoption. Comme pour tisser un lien. Une vieille dame, bouleversée, dit-elle, par l’histoire de Joséphine Baker, la femme, l’artiste, l’idéaliste, décédée en 1975.
C’est bien un portrait intimiste que livre le sixième descendant de cette icône qui ne pouvait pas avoir d’enfant. L’ouvrage s’ouvre sur l’image terrible d’une mère de famille de douze rejetons, accablée, abattue, jetée à la rue dans un dénuement extrême, hurlant sa douleur. Loin de la star mythique qui faisait courir le Tout-Paris, dansant dans la Revue nègre vêtue d’une simple ceinture de bananes. Jean-Claude Bouillon-Baker a tenu à raconter l’histoire de sa mère par la fin, pour mieux éclairer son rêve d’un idéal de tolérance et de fraternité qui s’est heurté au mur de la convoitise et de la cupidité humaine. Il affirme avoir voulu montrer que cette femme célébrée, qui s’est donnée corps et âme à la France, n’hésitant pas à se mettre en danger pendant la Seconde Guerre mondiale, n’a pas toujours été payée en retour.
S’il utilise cette image avilissante, c’est pour mieux revenir sur le parcours d’une femme admirable, avant-gardiste. Un château sur la lune est un hommage à une utopie. « Si vous élevez ensemble dès leur plus jeune âge des enfants d’horizons divers dans la tolérance de leurs différences, ils donneront, plus tard, l’exemple d’une certaine fraternité », répétait à l’envi la danseuse. Mais c’est aussi un livre sur l’enfance qui nous fait découvrir une mère disponible, aimante et sévère. L’auteur se souvient ainsi d’une correction au tisonnier. Son tort : avoir taquiné l’un de ses frères sur ses origines. « Cet épisode, explique l’auteur, traduisait la peur intérieure qu’elle avait de ne pas réussir son expérience de la tribu arc-en-ciel, créée de toutes pièces. Elle redoutait de vous voir renier cette fraternité, et c’est sans doute ce qui a guidé sa main. » « En cela, elle a réussi, affirme l’auteur, puisque son utopie lui a survécu. » Bien que disséminée aux quatre coins du monde, la fratrie a conservé des liens. Originaire de Côte d’Ivoire, son frère Koffi Bouillon s’est établi en Argentine, comme leur père adoptif, où il s’est marié et où il a reçu la visite de son parrain Houphouët-Boigny.
Africanité
Jean-Claude Bouillon-Baker estime que la démarche de sa mère n’était pas nécessairement politique. Son geste venait combler le manque qu’elle éprouvait de ne pas pouvoir avoir d’enfant et atténuait les blessures causées par la ségrégation raciale que cette Américaine d’origine avait vécue dans sa chair. Il revient aussi sur l’activisme de cette femme, qui revendiquait sa part d’africanité. Elle a très tôt parcouru le continent, y a été reçue par les plus hauts responsables, donnant des conférences, notamment au Gabon et au Mali.
L’auteur affirme qu’il lui devait ce livre, écrit, dit-il, en totale communion avec elle : il regardait ses photos et écoutait ses chansons en même temps qu’il écrivait. « J’étais dans l’incantation : j’aurais voulu qu’elle apparaisse. » Et on comprend dès lors la double distance de ce livre, où le narrateur-enfant s’exprime, l’adulte-psychanalyste aussi. Ils se sont définitivement quittés alors qu’il avait 21 ans et était à peine sorti des turbulences de l’adolescence. Il le lui devait également à titre de réparation pour l’insouciance et la cruauté dont il a pu faire preuve. D’où cette conclusion qui scelle définitivement leur attachement : « Et si je ne suis pas son enfant, je suis sûr d’avoir été son fils. »
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