Yeo Moriba, mère de Paul Pogba : « On se ressoude en se parlant »

La Guinéo-Française qui a élevé trois internationaux de football raconte sa vie dans un livre, « Et à la fin, on gagne ». Rencontre avec la colonne centrale du clan Pogba.

Yeo Moriba. © Philippe Matsas/Leextra/Editions Fayard

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Publié le 9 février 2023 Lecture : 8 minutes.

Yeo Moriba est la mère de trois footballeurs internationaux bien connus. Ses deux aînés, les jumeaux Florentin et Mathias, jouent pour le Syli national, comme on surnomme la sélection guinéenne. Le benjamin, Paul, en équipe de France. Mais la courageuse Guinéo-française, dans cet ordre parce que, nous affirme-t-elle, « je suis née en Guinée, puis je suis venue en France », ne se résume pas à son rapport à ses enfants. Son incroyable destin, elle le décrit dans Et à la fin, on gagne. Elle a été la première internationale de la famille, puisqu’elle a évolué en sélection féminine guinéenne. Elle est aussi la nièce de Lansana Beavogui, Premier ministre sous le régime de Sékou Touré. Le destin familial bascule après la mort du président guinéen et le coup d’État qui s’en est suivi, en 1984. Son oncle est emprisonné, puis meurt à son tour, et les amis d’hier détournent le regard. Premières trahisons, premières épreuves, qui se poursuivent en France.

Il faut relever la tête et se battre, croire le changement possible, se garder de désespérer

La jeune femme de 19 ans, tombée amoureuse à distance d’Antoine Pogba, de 30 ans son aîné, le rejoint à Roissy-en-Brie, en France. La relation idyllique, qui a donné naissance aux trois futurs footballeurs, se fissure quand la jeune femme, fidèle à sa promesse, décide d’installer sa mère malade dans leur appartement. Même après le départ de celle-ci, qu’elle adore, la rupture est consommée. Désormais, il l’accuse de vivre à ses crochets. Yeo Moriba raconte ces scènes où son mari mange avec sa nièce, qu’il a recueillie, sous les yeux de ses fils affamés. Elle parvient à fuir le domicile conjugal à l’insu de son mari et multiplie les emplois – caissière, femme de ménage, femme de chambre. « Aux femmes abandonnées ou entravées, qui travaillent dur et ne se plaignent jamais : il faut relever la tête et se battre, croire le changement possible, se garder de désespérer », dédicace Yeo Moriba, qui veut faire de son parcours de battante un exemple.

Tous autour de mon fils veulent croquer, et ont bel appétit

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À travers plusieurs épisodes de sa vie, on peut entrevoir les signes avant-coureurs de l’actualité : Mathias Pogba a été mis en examen et incarcéré pour extorsion en bande organisée après avoir diffusé une vidéo sur les réseaux sociaux où il menaçait de faire des révélations sur son frère Paul. L’ascension jusqu’au sommet, en particulier celle du champion du monde 2018 Paul, n’est pas exempte de convoitises. Les sommes mirobolantes du football font tourner les têtes : « Tous autour de mon fils veulent croquer, et ont bel appétit. » Aux profiteurs, Yeo Moriba oppose les valeurs héritées de sa famille : « Les liens du sang, je ne connais rien de plus important. […] Tout ce que je souhaite, c’est que nous restions ensemble. Le clan Pogba. » Une ode à l’union sacrée d’une sacrée femme.

Jeune Afrique : Pour quelles raisons avez-vous décidé de raconter votre histoire ?

Yeo Moriba : Ce sont mes enfants qui m’ont poussée à écrire ce livre. je l’ai commencé il y a plusieurs mois. La date de sortie a coïncidé avec les événements que vous connaissez. Un pur hasard.

Dans Et à la fin, on gagne, on découvre que vous avez été vous-même footballeuse de haut niveau. Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?

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À l’école, il y avait beaucoup de disciplines sportives féminines, mais pas de section football. Notre entraîneur a dit : « Et pourquoi pas ? » Il a sélectionné quelques femmes et on a commencé à s’entraîner. Au début, on jouait entre nous, puisqu’il n’y avait pas d’autre équipe ! Puis la pratique s’est répandue dans les écoles. J’ai gravi les échelons, des compétitions inter-scolaires jusqu’à la sélection nationale. Mon père, enseignant, était très ouvert sur les choix de ses enfants, il nous encourageait à faire ce qui nous plaisait.

Cette ouverture se retrouve quand vous écrivez : « Chez nous, tout se mélange aisément. Mon père est chrétien, ma mère musulmane »…

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Oui, mon père était aussi ouvert à ce sujet. Il disait à ses enfants : « Si vous choisissez n’importe quelle religion ou si vous voulez être athée, c’est votre problème, moi je n’impose rien. » Dans la religion comme dans le sport, il n’était pas exigeant mais il fallait être correct, respectueux, comme nos coutumes le demandent.

Vous évoquez votre oncle, le Premier ministre guinéen Lansana Beavogui. Quel bilan faites-vous de l’ère Sékou Touré ?

La politique veut que les opposants critiquent toujours les pouvoirs en place. Il y a eu du positif et du négatif. J’étais jeune sous Sékou Touré mais d’après ce qu’on m’a dit, dans tous les quartiers, il y avait un recensement pour que chaque famille reçoive un ravitaillement en fonction du nombre de ses membres. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.

Après la Guinée, vous faites le grand écart, avec une nouvelle vie en banlieue parisienne. Vous dédiez ce livre aux femmes abandonnées. Est-ce la raison pour laquelle vous avez voulu raconter votre histoire ?

Oui. Dans nos familles africaines, on voit des maris qui ont deux, trois, quatre femmes. Les femmes vont travailler et le mari prélève l’argent. Je ne suis pas d’accord. La femme peut aider son mari, surtout s’ils ont des enfants, mais que celui-ci garde l’argent pour lui seul, non. Souvent, la femme se lève tôt, multiplie les trajets, se casse la santé dans un travail usant comme le ménage et elle ne touche aucune rémunération.

Il faut que les femmes se réveillent, qu’elles se battent, qu’elles s’émancipent

Ou alors certaines sont obligées de rester à la maison pour se soumettre à leurs maris. J’ai l’exemple d’une tante, qui était pourtant allée à l’école, dont le mari refusait qu’elle sorte. Dans les deux cas – qu’elle travaille pour le bénéfice de l’homme ou qu’elle reste enfermée chez elle –, il n’y a pas de considération. Il faut que les femmes se réveillent, qu’elles se battent, qu’elles s’émancipent. Nous avons certes nos coutumes, mais il faut que certaines choses évoluent pour bousculer les anciennes mentalités.

 Votre chemin vers l’émancipation a été, lui aussi, douloureux…

Mon mari avait divorcé et il n’avait pas eu d’enfant avec sa première femme. On lui a confié une de ses nièces. Comme auparavant l’adolescente était seule, elle a été jalouse à cause de la présence de nos enfants. Mon mari a commencé à dire que je ne travaillais pas et qu’il fallait que je contribue aussi financièrement au foyer. Ça a été très dur car j’aime mon indépendance, je n’aime pas être soumise et quémander tout le temps.

Vous quittez votre mari et vous cherchez alors un travail ; vous écrivez : « Je passe de femme de ménage à femme de chambre, les postes les moins nobles et les plus ingrats, décidément, semblent avant tout destinés aux jeunes femmes d’origine étrangère. » Un constat cruel ?

Quand je cherchais du travail à l’ANPE (aujourd’hui Pôle Emploi), je voulais faire une formation qui permettrait d’éviter ces métier difficiles. Mais les propositions qu’on me faisait, c’était toujours femme de ménage, femme de chambre, etc. Pour ne pas dépendre de quelqu’un, j’ai été obligée d’accepter ce que je pouvais et quand je n’avais pas d’autre moyen, je faisais appel à la solidarité familiale.

Vous évoquez aussi le racisme, à travers vos fils, qui en ont été victimes dans les stades. Pensez-vous, comme vous l’écrivez, que « pour être vus et considérés, vous devrez toujours faire plus que les autres » ?

Oui, c’est la mentalité que mes enfants ont. Il faut prouver que tu peux faire plus. Si tu ne fais rien, on ne va pas te considérer. Mais si on voit que tu fais plus, le monde entier voit ton travail et il est obligé de te respecter. Mais c’est bien dommage que l’on soit condamné à l’excellence pour exister. Les immigrés venus en France ont travaillé pour arriver là où ils sont, il faut les soutenir, quelles que soient leurs origines, car ils contribuent aussi au développement du pays. Si on continue à les démoraliser, ce n’est bon ni pour eux ni pour la France.

Ce livre porte aussi sur les identités : vous êtes à la fois guinéenne et française, Paul Pogba joue pour les Bleus, Florentin et Mathias pour la Guinée. Considérez-vous que la meilleure réponse contre le racisme, c’est d’afficher fièrement ses identités ?

Exactement. On n’a pas tous les mêmes origines, mais mes enfants sont nés ici, ils ont grandi ici, ils ont la mentalité d’ici, ils sont allés à l’école ici. La fierté de ses origines ne contredit pas l’appartenance nationale.

S’il y avait un match France-Guinée, quelle équipe soutiendriez-vous ?

Je raconte dans mon livre que lors d’un match entre Manchester United, où jouait mon fils Paul, et Saint-Étienne, où jouait mon autre fils Florentin, j’avais porté un maillot aux deux couleurs de Saint-Étienne et de Manchester. Je souhaitais un match nul et ce serait pareil s’il y avait un match France-Guinée.

Avez-vous suivi la récente Coupe du monde ?

Oui, bien sûr. On n’a pas eu de chance. Le début a été un peu dur mais les Bleus se sont réveillés. On est quand même allés en finale. J’ai assisté à la rencontre contre l’Argentine comme supportrice, avec le drapeau. Avec mon fils Paul, on regardait tous les matchs de notre pays.

Lors du transfert de Paul Pogba du Havre à Manchester United, vous vous sentez trahie. Je vous cite : « Avec cet épisode, je prends conscience des enjeux, des sommes misées. Tous autour de mon fils veulent croquer, et ont bel appétit »… La convoitise est-elle inévitable quand on réussit ?

Au début, on ne connaissait pas le monde du foot. Certains agents cherchent à manipuler les parents et les jeunes. Ils viennent avec un discours plein de belles paroles ou bien carrément mensonger. Ils introduisent des clauses dans les contrats avec des compensations financières à leur bénéfice.

Au-delà de la convoitise, il y a la violence. Une femme s’est fait agresser et rançonner parce qu’on l’avait prise pour vous. Est-ce que c’est dur pour vous de ne plus pouvoir vous balader seule dans votre ville ?

J’étais en Afrique et une Congolaise qui, paraît-il, me ressemble s’est fait arracher son sac. Les voleurs ont même voulu la kidnapper. Il a fallu que la femme sorte ses papiers pour prouver qu’elle n’était pas moi. Ça me traumatise. Avec ce qu’il m’est arrivé dernièrement, j’ai même peur de sortir. Cela implique des proches avec qui j’étais tout le temps. Même si mon quartier est calme, je crains qu’il n’y ait quelqu’un caché quelque part. Je suis croyante, je me dis que ce qui est arrivé est la destinée. Mais je fais plus attention aux personnes qui s’approchent.

Dans votre livre, vous parlez de la famille en des termes très forts. Comment se porte aujourd’hui le clan Pogba ?

Ça va. On se pardonne, on est obligés. On se ressoude en se parlant.

Et à la fin, on gagne, de Yeo Moriba avec Clémence de Blasi, Fayard, 210 pages, 19 euros

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