Algérie : crise de nerfs postélectorale
Directions contestées, guerres de leadership, démissions collectives, opérations de « redressement »… Au lendemain des législatives du 10 mai en algérie, les tensions latentes au sein des partis ont éclaté au grand jour.
Vainqueur et vaincus, anciens et nouveaux, importants et modestes, les partis politiques algériens, à quelques rares exceptions près, traversent depuis les législatives du 10 mai une zone de turbulences. Directions contestées, lignes politiques remises en question, guerres de leadership, démissions collectives, opérations de « redressement », les tensions internes sont légion et essentiellement liées aux deux importantes échéances qui se profilent : les municipales d’octobre 2012, dont les forts enjeux locaux attisent les ambitions et nourrissent les rivalités, et la présidentielle d’avril 2014, avec à la clé un changement générationnel annoncé et la délicate succession d’Abdelaziz Bouteflika.
Le scalp de Belkhadem
Le triomphe électoral du Front de libération nationale (FLN, ancien parti unique) n’a pas prémuni son secrétaire général, Abdelaziz Belkhadem, contre la fronde d’une grande partie de son comité central, laquelle s’est juré de se payer le scalp du ministre d’État et représentant personnel du président. Les contestataires lui reprochent sa gestion chaotique des instances du parti et, dixit un communiqué, un « dangereux glissement idéologique faisant le lit d’une islamisation du FLN en vue d’assouvir ses ambitions présidentielles ».
Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND), a beau avoir réussi à conserver à son parti le statut de deuxième force politique, cela n’a pas empêché le vent de la contestation de souffler au sein d’une formation qui se caractérisait jusque-là par sa cohésion et son centralisme démocratique. Si les « perturbateurs » du conseil national, réuni à Alger le 1er juin, ont été contenus par la gouaille d’Ouyahia, ils affichent leur détermination à déloger le secrétaire général. Emmenée par le maire d’Alger-centre, Tayeb Zitouni, une militante du « féminisme officiel », Nouria Hafsi, et le sénateur Belkacem Ben Hassir, la dissidence a créé un Comité de salut pour le RND. Objectif déclaré : faire capoter l’investiture d’Ahmed Ouyahia pour la présidentielle de 2014.
Parmi les islamistes frondeurs : Amar Ghoul, la star des Frères musulmans.
Autre parti nationaliste dans la tourmente, le Front national algérien (FNA, de Moussa Touati). Mais si les problèmes des deux grands frères – FLN et RND – sont liés à l’échéance de 2014, les soucis du FNA sont plus terre à terre et concernent la gestion de la cagnotte du parti. « Le scrutin du 10 mai nous a laminé », déplore Lamine Osmani, secrétaire national chargé de l’organique. Pourtant, le FNA n’a perdu que 6 sièges, passant de 15 à 9 : « Cette mauvaise performance nous prive de la possibilité de constituer un groupe parlementaire [10 députés au minimum, NDLR] et, par voie de conséquence, consacre la perte d’influence de notre parti au sein de la représentation nationale. » C’est en fait une nette baisse des revenus qui mine le FNA, seule formation à reconnaître qu’elle a négocié la position de tête de liste avec des hommes d’affaires véreux contre la chkara, « le sac », autrement dit, le pot-de-vin.
Divergences tactiques
Défaits contre toute attente, les islamistes ont du mal à s’en remettre. Contestant la régularité du scrutin, ils avaient promis de bloquer les institutions par un mouvement de protestation. Faute de mobilisation populaire, ils ont dû revoir à la baisse leurs ambitions et se contenter d’une perturbation de la session inaugurale de la nouvelle législature. Mais le choix de l’Alliance de l’Algérie verte – Ennahda, El-Islah et les Frères musulmans du Mouvement de la société pour la paix (MSP, de Bouguerra Soltani) – de s’inscrire dans l’opposition est contesté par une partie de l’encadrement, qui déplore la rupture avec l’exécutif après quinze années de participation gouvernementale (le MSP détenait des ministères depuis 1995). La contestation est portée par de grandes figures du mouvement, notamment son vice-président, Hadj Hamou Megharia, et la « star absolue » des Frères musulmans, Amar Ghoul, ministre des Travaux publics sortant, surnommé « Monsieur Autoroute ».
Penauds. Les autres partis islamistes ne sont pas mieux lotis. Abdallah Djaballah, qui avait promis de « casser la baraque », n’a obtenu que 8 sièges sur 462, soit 1,73 % de la représentation nationale. Insuffisant pour être calife. Il a menacé de boycotter la législature, mais ses élus refusent de le suivre. Trois mois après avoir reçu son agrément, le Front pour la justice et le développement (FJD) traverse déjà une mauvaise passe. Quant au Front pour le changement (FC, d’Abdelmadjid Menasra), une dissidence du MSP, il envisage sérieusement de revenir, penaud, dans le giron de la maison mère pour espérer quelques strapontins dans les instances de l’Alliance de l’Algérie verte.
De toutes les crises qui secouent les partis politiques, la plus inattendue est celle que traverse le Front des forces socialistes (FFS).
De toutes les crises qui secouent les partis politiques, la plus inattendue est celle que traverse le Front des forces socialistes (FFS). Plus ancien parti d’opposition (il a été créé en 1963 et n’a été agréé qu’en 1989), réputé pour la constance de ses positions à l’égard du système, dirigé par le charismatique Hocine Aït Ahmed, grande figure du mouvement national, le FFS a du mal à digérer sa première participation à un scrutin législatif, malgré un résultat honorable (27 sièges, ce qui en fait la quatrième force politique du pays). En contestant ouvertement le choix d’abandonner l’option du boycott systématique des institutions, son secrétaire national sortant, Karim Tabbou, a jeté un pavé dans la mare, provoquant une crise interne sans précédent.
Le président-fondateur du FFS, qui vit depuis une vingtaine d’années en exil en Suisse, dirige le parti à travers un secrétaire national, qu’il nomme pour une durée de cinq ans. À la veille des législatives, Aït Ahmed décide de désigner Ali Laskri à la place de Karim Tabbou. Ce dernier ne peut s’attaquer de front à l’icône Aït Ahmed, mais il s’en prend à son successeur, qu’il accuse « d’avoir passé un deal avec le pouvoir ». Dans la foulée, il annonce la création d’un mouvement dissident au sein du FFS et promet un bras de fer pour le prochain congrès, prévu en 2013. Infatigable militant du parti, Messaoud Taarabt déplore, des trémolos dans la voix : « Si le FFS, parti le plus cohérent de la classe politique, est atteint par le syndrome du redressement, c’est que le pays est au plus mal. »
________
Par Cherif Ouazani, envoyé spécial à Alger
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Le livre « Algérie juive » soulève une tempête dans le pays
- Maroc-Algérie : que contiennent les archives sur la frontière promises par Macron ?
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- En Algérie, le ministre Ali Aoun affaibli après l’arrestation de son fils pour cor...
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police