Maurice : le jeu des six familles

Maurice: Dans l’île, on retrouve toujours les mêmes patronymes au pouvoir. À quelques rares exceptions près…

Anerood Jugnauth (au centre), en décembre 2007, en Inde. © AFP

Anerood Jugnauth (au centre), en décembre 2007, en Inde. © AFP

Publié le 28 juin 2012 Lecture : 5 minutes.

Neuf ans qu’il occupait la très honorifique fonction de président de la République dans un pays, Maurice, où le détenteur du pouvoir est le Premier ministre. Certains, surtout à son âge (82 ans), auraient pu y perdre leur faculté à redescendre dans l’arène politique. Ce n’est pas le cas de sir Anerood Jugnauth, communément appelé SAJ. Il y a deux mois, cette figure de la politique mauricienne, qui possède le record de longévité à la primature (treize ans entre 1982 et 1995, puis trois ans de 2000 à 2003), a frappé un grand coup en démissionnant de la présidence. Depuis, il court les meetings de l’opposition (lire encadré), où il se livre à un véritable réquisitoire à l’encontre du gouvernement de Navin Ramgoolam (64 ans).

Cette subite montée d’adrénaline, SAJ la doit peut-être aux ennuis de son fils. Il y a un an, Pravind Jugnauth (50 ans) était l’homme le plus important du gouvernement après Ramgoolam. Il était son ministre des Finances et faisait office de vice-Premier ministre. Mais l’Alliance de l’avenir, que tous deux avaient mise sur pied en 2010 à l’occasion des législatives, n’a pas résisté à un scandale politico-financier mettant en cause des ministres issus du Mouvement socialiste militant (MSM). Depuis la démission collective de ces derniers en août 2011, ils sont dans le viseur de la justice.

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Destin

Anerood Jugnauth, qui a fondé le MSM en 1983 avant de le léguer à son fils vingt ans plus tard, et qui a tout fait pour lui assurer un destin national, « ne pouvait pas rester passif », note un éditorialiste. Il faut dire que la famille, dans cette île, c’est sacré. Surtout en politique… « Le paysage politique mauricien est extrêmement complexe, sauf sur un point : on retrouve toujours les mêmes noms. C’est un peu comme si on jouait au bridge avec un jeu de sept familles », ironise un diplomate européen qui a officié à Port-Louis.

Dans ce jeu vieux de cinquante ans, il y a donc les Jugnauth père et fils, mais aussi l’oncle, Ashok, qui doit son principal fait d’armes en politique à Anerood, son aîné dont il fut le ministre de la Santé de 2000 à 2003.

Il y a les Duval. Le père, Gaëtan (1930-1996), a participé à la création du Parti mauricien social démocrate (PMSD), qui prônait l’adhésion au Royaume-Uni avant l’indépendance, puis il a occupé divers postes ministériels après 1968. Un de ses fils, Xavier-Luc (54 ans), a créé son propre parti qui semblait ne pas devoir échapper à la mainmise familiale, au vu de son appellation : Parti Mauricien Xavier Duval (PMXD). Le fils et le père se sont battus, dans les années 1980, pour savoir lequel des deux garderait le coq comme emblème. Aujourd’hui, le PMXD s’est dissous dans le PMSD, Xavier-Luc en a pris la tête, mais Gaëtan n’est plus là pour le constater.

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Il y a aussi les Boolell (Arvin, le fils, 59 ans, est l’actuel ministre des Affaires étrangères), les Ohsan (Monique Ohsan Bellepeau, 70 ans, fille d’un des fondateurs du Parti travailliste (PTr), a succédé à Jugnauth à la présidence), les Mohamed, où l’on compte pas moins de trois générations de ministres… Et il y a bien sûr les Ramgoolam. Le père et le fils cumulent, à eux deux, trente-trois ans de primature. Seewoosagur, considéré comme le père de la nation, a mené son île à l’indépendance et l’a dirigée sans discontinuer jusqu’en 1982. Il s’est éteint trois ans plus tard, à l’âge de 85 ans. Son fils, Navin, a pris la relève. D’abord au sein du Parti travailliste, que le paternel avait fondé dans les années 1960, puis à la tête du pays (de 1995 à 2000, et depuis 2005). « À la différence de Pravind Jugnauth ou de Xavier-Luc Duval, Navin Ramgoolam a fait son nid tout seul, note l’historien et politologue Jocelyn Chan Low. Seewoosagur ne voulait d’ailleurs pas qu’il s’engage en politique. » L’actuel Premier ministre a tout de même bénéficié de l’aura de son père, reconnaît l’analyste.

Dynasties

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Sur les quatre principaux partis politiques, seul le Mouvement militant mauricien (MMM) n’a pas cédé à la tentation du fils. Une question de temps, peut-être. L’ancien Premier ministre Paul Bérenger (67 ans) affirme qu’il n’a jamais poussé son fils, Emmanuel (33 ans), à s’engager en politique, et encore moins à militer au sein du parti qu’il a cofondé en 1969, mais il reconnaît subir bien des pressions pour l’introniser. « Certains cadres du parti pensent qu’Emmanuel serait le meilleur des successeurs à Paul, indique un proche du MMM. Mais d’autres ne s’y plieront pas. » Comme pour anticiper la polémique, Bérenger ne cesse de clamer que son fils et lui ne « cro[ient] pas dans la politique des dynasties ». Pour autant, il n’est pas de ceux qui la condamnent. « Ce n’est pas un problème », dit-il. Tout juste « une anomalie ».

L’historien Seteeanunb Peerthum n’est pas de cet avis. Pour lui, « les dynasties sont la négation de la démocratie, une insulte à la méritocratie ». Selon Chan Low, la raison d’une telle dérive est à chercher dans l’absence de contre-pouvoirs au sein des formations politiques. « Le fonctionnement interne des partis n’a rien de démocratique, explique-t-il. Les leaders dirigent en autocrates. » Le mal trouve aussi sa source dans le système électoral mauricien, basé sur le communautarisme. « Il n’y a aucune différence programmatique entre les partis, dit-il. On ne débat que sur les représentations. Au fil du temps, le nom est devenu une marque et une garantie de représentation ethnique. Garder le nom, c’est garder l’électorat. »

Tout cela choque les jeunes Mauriciens, estime le politologue, mais bien peu s’en émeuvent. Peut-être attendent-ils que le temps fasse son oeuvre, comme le prédit Paul Bérenger. Après tout, Navin Ramgoolam n’a pas d’enfant, et Pravind Jugnauth, pas de fils…

Mauvais remake?

La démission de Pravind Jugnauth, ministre des Finances jusqu’en août 2011, puis celle de son président de père, sir Anerood Jugnauth, en mars dernier, a sonné le glas de l’Alliance de l’avenir, qui avait brillamment remporté les législatives en mai 2010. Place désormais à Remake 2000 : une alliance MMM-MSM déjà victorieuse il y a douze ans. À l’époque, après leur victoire électorale, les patrons des deux partis (Anerood Jugnauth et Paul Bérenger) s’étaient partagé les postes. « Nous avons passé le même type d’accord », indique aujourd’hui Bérenger. Reste à conquérir le pouvoir par les urnes, et donc à mettre le Premier ministre en minorité à l’Assemblée avant les législatives, prévues en 2015. Pour l’heure, Ramgoolam conserve la majorité, mais sa marge (37 députés contre 32) est faible dans un pays habitué aux alliances de circonstances, miné par la crise économique et secoué par plusieurs scandales politico-financiers.

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