Pascal Canfin : « Le temps de la « coopé » est révolu »

Le nouveau ministre délégué au Développement, ancien député européen, définit son périmètre d’intervention et les principes directeurs de ses relations avec le continent.

L’ancien journaliste ne possède aucun réseau africain. © Vincent Fournier/J.A.

L’ancien journaliste ne possède aucun réseau africain. © Vincent Fournier/J.A.

Publié le 26 juin 2012 Lecture : 6 minutes.

Rue de la Convention à Paris, les plaques du ministère de la Coopération n’ont pas encore été remplacées par celles du ministère du Développement, et les masques africains sont toujours exposés dans les couloirs. Mais le pedigree et les prérogatives du nouveau ministre, Pascal Canfin, 37 ans, ne ressemblent en rien à ceux de certains de ses prédécesseurs (Michel Roussin, Charles Josselin, Alain Joyandet…). Il n’est pas franc-maçon, ne possède aucun réseau sur le continent, et ne souhaite pas s’immiscer dans les affaires du village franco-africain. Il n’a d’ailleurs pas de « conseiller Afrique ». « Il va falloir vous y habituer », plaisante le nouveau locataire, qui reçoit, décontracté, ses visiteurs en bras de chemise. Son périmètre d’intervention ? L’aide publique, les négociations internationales, les stratégies de développement et une tutelle, partagée avec Bercy et le ministère des Affaires étrangères, qu’il entend bien affirmer sur l’Agence française de développement (AFD). Ancien journaliste, écologiste, parlementaire européen depuis 2009, il entend aussi faire entendre sa voix sur la lutte contre l’évasion fiscale, les questions agricoles, le changement climatique et la conservation de la diversité. En bonne place sur son bureau, le dernier livre de Jean-Michel Severino, Le Temps de l’Afrique.

Jeune Afrique : Pour les écologistes, on attendait plutôt Eva Joly, Yannick Jadot ou Jean-Vincent Placé dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Êtes-vous l’invité-surprise ?

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Pascal Canfin : Au jeu des pronostics, mon nom circulait également. Parlementaire européen ayant travaillé sur les questions financières et de développement, j’ai eu durant la campagne présidentielle des discussions régulières avec Jean-Pierre Jouyet et Michel Sapin [deux très proches amis du président François Hollande, NDLR]. Après, comme pour toute composition de gouvernement, il y a eu des arbitrages : parité hommes-femmes, équilibres régionaux et politiques…

Avez-vous une expérience africaine ?

À titre personnel ou professionnel, je suis allé au Mali, au Cameroun, en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Cela ne fait pas de moi un spécialiste des questions africaines. Mais je connais bien les dimensions financières du développement : aide publique, lutte contre l’évasion fiscale, transferts des migrants… que j’ai portées au Parlement européen. En tant qu’écologiste, j’ai travaillé sur le partage des ressources, et sur les nouveaux modes de production et de consommation. Ces questions feront l’objet de discussions avec les pays émergents et africains lors du sommet sur le développement durable, Rio+20.

Depuis votre entrée en fonction, il y a eu un intense ballet diplomatique africain à Paris : Boni Yayi, Jean Ping, Mahamadou Issoufou, Djibrill Bassolé. Avez-vous été associé à ces visites durant lesquelles on a beaucoup parlé du Mali ?

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Non. Le ministère du Développement n’est plus un sous-ministère des Affaires étrangères comme du temps de la « coopé ». Dans la nouvelle architecture institutionnelle, la politique étrangère est menée exclusivement par le Quai d’Orsay et la présidence de la République. Je participe cependant à la réunion hebdomadaire sur l’Afrique avec la cellule diplomatique de l’Élysée et les Affaires étrangères, et suis, bien sûr, informé de la situation. Mais mon action ne porte que sur les questions de développement. Pour le Sahel, la priorité est la sécurité alimentaire.

Vous ne rencontrerez donc pas, comme vos prédécesseurs, les présidents africains, leurs conseillers, les chefs de gouvernement…

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Non. Il n’y a plus de raisons à cela. Je rencontre les officiels chargés des questions de développement comme récemment le ministre colombien des Finances ou le ministre afghan du Développement.

Depuis votre arrivée, avez-vous reçu des spécialistes, des émissaires, des conseillers officiels ou officieux pour un briefing « françafricain » ?

Non, aucun.

Quels seront vos premiers voyages sur le continent ?

Avec Laurent Fabius, nous réfléchissons à un déplacement au Sahel. Je compte aussi me rendre en Tunisie, au Sénégal, au Ghana et en Afrique du Sud. D’autres voyages sont à l’étude, pour les sommets de l’Union africaine en juillet et de la Francophonie en octobre. J’envisage également un séjour en Afrique de l’Ouest avec le commissaire européen au Développement, Andris Piebalgs.

À propos du sommet de la Francophonie à Kinshasa, quel sera le niveau de représentation de la France ?

Rien n’a encore été décidé.

Dans cette énumération de pays, ceux qui sont cités dans l’affaire des biens mal acquis (BMA) n’apparaissent pas. Hasard ou signal politique ?

Sur ce dossier, comme pour toutes les affaires judiciaires, la position du président de la République est très claire : pas d’immixtion. Pour autant, il n’y a aucune raison de faire de l’ostracisme en sanctionnant quiconque. Donc, je me rendrai également dans ces pays.

Quel a été votre sentiment lorsque les biens accumulés par certaines familles présidentielles ont été révélés ?

Vu le niveau de développement de ces pays, je ne peux pas vous dire que ce n’est pas choquant. Au-delà de mon jugement moral, la justice doit faire son travail.

La France doit-elle aider des pays très mal classés par Transparency International où il n’y a pas d’alternance politique et où les droits de l’homme ne sont pas respectés ?

Doit-on stopper les projets de développement quand nous avons des doutes sur des résultats électoraux ou lorsqu’on soupçonne des atteintes aux droits de l’homme ? Non. Ce serait appliquer la double peine aux populations. Et si sanction il doit y avoir, ce seront dorénavant les États de l’Union européenne qui en décideront, au cas par cas.

Les entreprises françaises devront publier leurs comptes dans les pays où elles opèrent. Elles n’auront pas le choix.

À Strasbourg, vous étiez à la pointe de la lutte contre les paradis fiscaux. Aujourd’hui aux affaires, vous allez devoir passer à la pratique. Cela concerne certains dirigeants africains, mais aussi des entreprises opérant en Afrique…

La transparence financière est un engagement de François Hollande. C’est aussi une volonté européenne. Michel Barnier, le Commissaire chargé du marché intérieur et des services, a proposé une directive afin d’assurer la transparence des comptes des entreprises européennes. Elles devront publier leurs résultats dans chaque pays où elles opèrent. Les États-Unis ont pris cette décision depuis un an.

Total, Bolloré, Air France, Bouygues… vont-ils devoir s’y soumettre ?

Ils n’auront pas le choix. Le directeur des affaires publiques de Total, que j’ai rencontré plusieurs fois, m’a affirmé que cela ne posait pas de problème.

Vous prêterez-vous au jeu de la diplomatie économique comme certains de vos prédécesseurs ?

Je n’ai rien contre le lobbying à partir du moment où il est transparent. Laurent Fabius et moi-même avons la volonté d’exporter le savoir-faire de nos entreprises, notamment dans le domaine des services urbains et de l’énergie renouvelable. Mais il n’y aura plus de mélange des genres.

Le candidat Hollande a promis d’augmenter l’aide publique au développement (APD). Les caisses de l’État sont vides, est-ce possible ?

Les arbitrages budgétaires pour 2013 ne sont pas encore rendus, mais nous voulons à terme atteindre l’objectif des 0,7 % du revenu national brut (RNB). Nous nous sommes également engagés à doubler le financement public des ONG [en 2011, elles ont reçu 40 millions d’euros de l’AFD]. Et puis, ces dernières années, les bailleurs et notamment la France ont surtout délivré des prêts pour défendre leurs intérêts et « doper » les chiffres de l’APD. Cela n’a pas de sens. En augmentant les dons [moins de 300 millions d’euros pour l’AFD en 2011 sur près de 7 milliards d’euros d’activités], on peut cibler les pays et les populations qui ont le plus besoin d’aides. Mais il faut être clair, cela peut également entraîner une diminution de la part de l’APD dans le RNB. Doit-on baisser ce ratio et soutenir en priorité les pays les plus pauvres, ou bien l’augmenter et se rapprocher de 0,7 %, mais en travaillant davantage dans les pays émergents ?

Votre position personnelle ?

Je préfère réduire l’APD et faire plus de dons, là où les besoins sont les plus importants. Je ne suis pas un adepte du fétichisme comptable. 

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Propos recueillis par Pascal Airault et Philippe Perdrix

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