Zéphirin Diabré : « Au Burkina, Wagner ne peut pas entrer dans le schéma de la coopération avec la Russie »
Le bilan du capitaine Traoré à la tête de la transition, les mercenaires de Poutine, les tensions entre Ouagadougou et Paris… L’ex-chef de file de l’opposition et ministre de Roch Marc Christian Kaboré livre son analyse.
L’ACTU VUE PAR – Après sa défaite à la présidentielle de novembre 2020, Zéphirin Diabré était rentré dans le rang, en rejoignant le gouvernement en tant que ministre d’État auprès de la présidence chargé de la Réconciliation de Roch Marc Christian Kaboré. Un poste qu’il a occupé jusqu’au putsch mené par le lieutenant colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, le 24 janvier 2022. Quasiment un an jour pour jour après ce premier coup d’État, et quatre mois après la prise de pouvoir par le capitaine Ibrahim Traoré, « Zeph », comme le surnomment ses affidés, a reçu Jeune Afrique pour évoquer la situation de son pays.
À 64 ans, le président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) qui fut longtemps une figure respectée par la jeunesse et l’intelligentsia burkinabè pour son opposition à Blaise Compaoré, reste l’un des ténors d’une scène politique burkinabè en pleine recomposition. Crise sécuritaire, relations tendues entre Ouagadougou et Paris, rapprochement avec la Russie et soupçons d’un accord à venir avec les mercenaires de Wagner, Zéphirin Diabré dresse, sans concession, le bilan de la gouvernance du capitaine Traoré qui dirige la junte à la tête du pays.
Jeune Afrique : Les relations entre Ouagadougou et Paris ne cessent de se tendre. Comprenez-vous la défiance affichée par le capitaine Traoré et ses partisans vis-à-vis de la France ?
Zéphirin Diabré : Je suis mal placé pour expliquer les motivations du gouvernement. En revanche, les leaders de la société civile qui manifestent contre la France ont expliqué en long et en large leurs griefs. Selon eux, elle est restée dans une posture néo coloniale et sa présence militaire n’apporte pas de résultats escomptés dans la lutte contre le terrorisme.
« Personne ne peut dicter ses choix au Burkina », a affirmé Chrysoula Zacharopoulou, la secrétaire d’État française chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux, lors de sa visite à Ouagadougou, le 10 janvier dernier. Ces déclarations sont-elles à même d’apaiser les tensions ?
Elle a tout à fait raison de dire qu’il appartient aux Burkinabé de faire leurs propres choix. La France a des intérêts et veut garder une certaine influence en Afrique de l’Ouest, comme dans le monde. Notre pays fait face à un certain nombre de problèmes, dont celui du terrorisme, et nous cherchons des solutions. Nous avons, nous aussi, des choses à offrir. C’est à nous, Burkinabè, de savoir exactement ce que nous voulons obtenir de la France, et de savoir ce que nous sommes prêts à donner en retour. Ensuite, chacun formule ses besoins, pose ses conditions et on discute. C’est cela l’essence de la coopération internationale.
Olivia Rouamba, la ministre burkinabè des Affaires étrangères, a demandé le départ de Luc Hallade, l’ambassadeur de France à Ouagadougou. Parallèlement, des voix s’élèvent pour réclamer le départ des militaires français de l’opération Sabre… Comprenez-vous la montée de ce sentiment anti-français ?
Je ne parlerai pas de sentiment anti-français, parce que ce ne sont pas les citoyens français qui sont en cause ici. Ce qui est contesté, c’est la politique des dirigeants français. Et cette contestation n’a pas commencé hier. La France est rattrapée par son histoire et par sa politique. Au moment des indépendances, elle a décidé de partir de l’Afrique francophone tout en conservant une certaine mainmise sur ses anciennes colonies, au contraire du Royaume-Uni qui a coupé le cordon ombilical.
La France peine à se défaire du paternalisme et d’attitudes qui frisent l’arrogance et l’infantilisation
Le problème de Paris vient de cette volonté de préserver son « pré-carré » et de maintenir sa zone d’influence. Cela l’a conduit à toutes sortes d’immixtions dans les affaires politiques africaines, à des compromissions avec des dirigeants peu recommandables, à des interventions militaires pour sauver des dictateurs en péril ou pour installer des alliés… Cela a conduit aussi la France à vouloir conserver un lien monétaire qui apparaît, aux yeux de ses contempteurs, comme une rente…
Même si la France se défend et affirme que certaines choses relèvent de pratiques d’une Françafrique aujourd’hui disparue, son image n’en reste pas moins associée à une forme de néocolonialisme. Et, pour dire vrai, la France peine à se défaire du paternalisme et d’attitudes qui frisent l’arrogance et l’infantilisation de ses partenaires africains.
Regardez comment le président Macron s’est comporté avec son homologue Roch Marc Christian Kaboré, lors de son discours à l’Université, en 2017 ! Pire encore, la France a cette propension à fouiner dans le marigot africain pour tenter d’influencer les choses, notamment sur le plan politique. C’est cela qui lui est reproché à intervalles réguliers.
Ces arguments justifient-ils donc pour vous le retrait des militaires de Sabre et le renvoi de l’ambassadeur ?
La réalité, c’est que la présence militaire française dans nos pays est de plus en plus décriée par des opinions publiques qui ne la comprennent pas et qui doutent de son efficacité dans la lutte contre le terrorisme. Le mystère qui entoure le rôle exact des soldats de l’opération Sabre, ajoutée à quelques maladresses de certains d’entre-eux, n’ont pas arrangé les choses.
Sur la relation avec la France, les opinions africaines évoluent, surtout la jeunesse, et plus vite que ne le perçoivent les élites dirigeantes. Les complexes vis-à-vis de l’ancien colon s’évaporent et le besoin de souveraineté se fait de plus en plus pressant. Et cette évolution intervient dans un contexte de compétition exacerbée entre la France et d’autres puissances, en premier lieu la Russie, soucieuse de se faire une place au soleil en Afrique francophone.
Pensez-vous que, dans sa lutte contre les jihadistes, le Burkina Faso doit effectivement se tourner plus vers la Russie ?
Le terrorisme qui nous frappe, même s’il est affilié à des mouvements extérieurs, se nourrit essentiellement des frustrations locales. Près de 90 % des combattants sont des Burkinabè. La seule option valable pour endiguer le terrorisme, c’est l’engagement des Burkinabè. Tout le reste, y compris l’aide de pays étrangers, ne peut être qu’un complément. C’est aussi, pour nos États sahéliens, savoir se saisir de cette occasion pour bâtir de véritables industries de l’armement.
Faut-il, alors, avoir recours aux mercenaires de Wagner ?
Je fais la différence entre l’État russe et Wagner. La Russie et le Burkina entretiennent des liens de coopération depuis 1967, y compris dans le domaine militaire. Ce que je vois d’intéressant chez les Russes, c’est essentiellement leur armement, qui est robuste, facile à manier… et moins cher. Beaucoup de pays africains s’approvisionnent d’ailleurs chez eux. Même les États-Unis ont acheté à la Russie 7,7 millions de cartouches pour les carabines AK, en 2021.
En revanche, Wagner est un groupe paramilitaire privé, ce n’est donc pas un corps, ni une unité de supplétifs de l’armée russe comme le sont les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) pour l’armée burkinabé. Ils proposent des services rémunérés, ce qui, en droit international, s’apparente à du mercenariat. Une telle organisation ne peut donc pas figurer dans le schéma de la coopération d’État à État entre le Burkina et la Russie. À l’inverse, acquérir des équipements militaires russes ou bénéficier de formations est bénéfique, et ne devrait poser aucun problème.
La solution pour nous n’est pas d’avoir de nouveaux bergers
En Centrafrique, et au Mali voisin, le bilan opérationnel de Wagner est pour le moins mitigé. De même que, pour l’heure, le rapprochement avec Moscou. Qu’est-ce qui explique, malgré cela, l’enthousiasme actuel d’une frange de l’opinion autour de la Russie ?
Je ne connais pas suffisamment la situation dans ces deux pays pour me prononcer. Pour ce qui est de l’euphorie autour de la Russie, seuls ceux qui sont concernés peuvent vous répondre. Personnellement, je trouve cela puéril, par principe. Selon moi, les Burkinabè et les Africains en général doivent enfin comprendre que la solution pour nous n’est pas d’avoir de nouveaux bergers. Nous devons plutôt cesser d’être des moutons qui suivent les autres.
Après cent jours au pouvoir, croyez-vous que le capitaine Ibrahim Traoré soit sur la bonne voie ? Comment jugez-vous sa gouvernance ?
Je me situe stricto sensu sur le terrain de la lutte contre le terrorisme, puisque c’est la raison de l’arrivée des militaires au pouvoir. Et l’on ne peut pas affirmer que la menace a reculé sensiblement en quatre mois. Ni même en un an, si nous remontons au coup d’État de janvier 2022. De nombreux experts vous disent, chiffres à l’appui, que les choses ont même empiré. Devant les étudiants de l’Université de Ouagadougou, le 17 janvier dernier, le capitaine Traoré a reconnu que les attaques ont augmenté depuis son arrivée au pouvoir. C’est une franchise qu’il convient de saluer.
En revanche, une nouvelle stratégie est en train de se mettre en place, avec une réorganisation de l’armée. Des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) sont recrutés massivement [90 000, selon les données officielles] et nos soldats et VDP vont plus à l’offensive.
L’ennemi subit de lourdes pertes face à nos hommes, que je salue et que j’encourage. Je veux profiter de l’occasion pour m’incliner devant la mémoire de ceux qui sont tombés sur le champ d’honneur. Cependant, alors que des victoires sont obtenues sur certains fronts, l’ennemi conquiert de nouveaux territoires où il était jusqu’à présent absent.
Sur ce sujet, personne ne peut souhaiter l’échec du régime actuel, tout comme personne ne souhaitait l’échec des régimes précédents. Parce qu’un fiasco signifierait la fin du Burkina Faso.
L’irruption des militaires dans la sphère politique et au sommet des États au Burkina Faso, mais aussi au Mali et en Guinée soulève un débat véhément entre ceux qui les soutiennent au nom de la lutte contre l’insécurité et ceux qui prônent leur retour immédiat dans les casernes. De quel côté vous situez-vous ?
Pour vaincre le Covid, fallait-il mettre les médecins au pouvoir ? Pour construire plus de routes, faut-il mettre les ingénieurs au pouvoir ? Pour s’assurer que les informations soient vérifiées et largement distribuées, a-t-on besoin de mettre les journalistes au pouvoir ? Non. Vaincre le terrorisme n’a aucun lien avec le fait que le pouvoir soit civil ou militaire. C’est conditionné à la gouvernance, à l’union sacrée des citoyens, civils et militaires, dans un même combat. Dans un pays organisé et bien gouverné, l’armée n’a pas besoin d’être au pouvoir pour gagner une guerre.
L’armée – et le capitaine Traoré en particulier – pointe du doigt la corruption de la classe politique et son incapacité à faire face. Que répondez-vous à ces accusations ?
Les populations ont accueilli le coup d’État du 24 janvier avec un certain soulagement, en pensant que l’arrivée des militaires au sommet de l’État permettrait de vaincre rapidement le terrorisme. Les militaires eux-mêmes ont fait cette promesse, en accusant la classe politique d’être responsable du pourrissement de la situation. Ils ont aussi pris l’engagement de combattre la corruption.
Aujourd’hui, le constat est clair : la situation sécuritaire se détériore. Quant à la supposée incapacité de la classe politique et la nécessité d’avoir recours à l’armée… Je trouve l’argument curieux dans un pays où des militaires, du général Lamizana au capitaine Traoré, ont dirigé l’État pendant plus de 50 ans des 62 années d’indépendance. Notre pays en est à son neuvième coup d’État réussi et, dans six de ces putsch, des militaires ont renversé d’autres militaires.
Lorsqu’il a pris le pouvoir, le président Ibrahim Traoré a dénoncé la corruption au sein de l’armée. Il a même déclaré qu’il y avait des milliardaires en son sein. L’opinion a applaudi. Mais à ce jour, aucun de ces fameux officiers milliardaires n’a été interpellé. Dans le même temps, les révélations qui paraissent dans la presse sur la supposée gabegie opérée par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) dirigé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, renversé par Traoré et ses hommes, laissent vraiment pantois.
Des élections doivent se tenir en 2024, mais les autorités de transition sont très silencieuses sur ce sujet. Cela vous inquiète-t-il ? Où en est le dialogue avec la classe politique ?
La priorité, aujourd’hui, concerne la situation sécuritaire. Si elle ne s’améliore pas, qui peut alors mener une vraie campagne dans le pays ? Et qui aura même l’esprit à aller voter ? Cela dit, comme toute transition finit par des élections, il faut un chronogramme, même indicatif. C’est d’ailleurs un engagement pris auprès de la Cedeao (La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Et les bailleurs de fonds, qui seront forcément sollicités le moment venu, ont besoin de ce calendrier pour se préparer.
Jusqu’ici, il n’y a eu aucune rencontre directe et formelle entre la classe politique et le MPSR 2. Les activités des partis politiques sont d’ailleurs suspendues. Le MPSR a choisi de tenir la classe politique à l’écart de son action. C’est un choix politique. Ce qui me pose problème, c’est l’incohérence du MPSR et de ses chantres qui se plaignent du silence et du manque de soutien des partis politiques, alors même que les activités des partis politiques sont suspendues ! On ne peut pas vouloir une chose et son contraire…
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