La vérité si je mens
Il paraît que Leïla Trabelsi, l’épouse de l’ex-président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, s’apprête à sortir un livre, sous le titre Ma vérité. Le fameux « du séchoir au pouvoir » risque de se transformer en « du délit à l’écrit ». Encore faut-il que l’ex-première dame de Tunisie sache tenir une plume, mais cela n’est pas un problème, il suffit d’un nègre, et le tour est joué. L’important est plutôt de savoir si les propos de Leïla sont vrais ou faux, s’il s’agit d’un hold-up de plus ou d’un sursaut de conscience, d’une provocation supplémentaire ou d’un mea culpa. De toute façon, quelles que soient la teneur de ces pages et la bonne ou mauvaise foi qui les anime, la tentation qu’on prête aux autorités actuelles de vouloir confisquer le livre paraît aberrante. Non seulement cela rappellerait le réflexe répressif et liberticide de l’ancien régime, mais cette censure laisserait entendre que les Tunisiens ne sont pas mûrs pour s’informer sur leur pays, qu’ils n’ont droit qu’aux rumeurs de Facebook ou aux aveux tronqués.
Que risquent donc les autorités locales en permettant une telle publication ? Un retour sur le règne de Ben Ali ? Et alors ? Qui se sent morveux n’a qu’à se moucher ! Des révélations sur le 14 janvier 2011 ? À la bonne heure ! Nul n’a encore daigné dire aux Tunisiens dans quelles circonstances précises leur destin a changé. Ce serait pourtant la moindre des choses ! Craint-on que Leïla balance quelques caciques de l’ancien régime ? L’actuel devrait en être ravi. Qu’elle s’en prenne aux successeurs de son époux ? Ce serait de bonne guerre. Qu’elle accuse les nouveaux maîtres du pays de délits dont seul Ben Ali détient le secret ? Ils n’auraient qu’à prouver le contraire. Qu’elle mente sans vergogne ? Ce serait l’occasion de rétablir les faits et de livrer l’autre « part de vérité », justement. Qu’elle ait réussi à écrire tout un livre alors que la Constituante peine encore à élaborer ses premiers articles ? C’est la blague qui fait déjà rire toute la Tunisie.
Le contenu de Ma vérité ne risquant pas de provoquer une deuxième révolution, c’est lui faire de la publicité que de l’interdire. Voilà ce que je pense personnellement. Mais je vous livre aussi la réaction d’un copain porté sur l’ironie : « Je ferais partie de l’équipe au pouvoir que je me servirais du bouquin pour détourner l’attention et faire cesser la grogne, au moins pour quelque temps. Il n’y a pas mieux que les petites histoires pour torpiller la grande. Tout le monde s’occuperait à le lire, du gamin au chibani, jusque dans les hameaux reculés. Le bouquin distrairait les soirées de ramadan – qui risquent cet été d’être bien "chaudes" -, quand il ne ferait pas oublier la faim au jeûneur si, par bonheur, il réussit cette année à se payer sa brik à l’oeuf. Les scoops de Leïla rempliraient les colonnes des journaux, qui se départiraient pour une fois de la mauvaise manie qu’ils ont de lister tout ce qui ne va pas : chômage, insécurité, violences salafistes et je ne sais quoi encore, comme si le métier de journaliste se résumait à cela ! Bref, le livre agirait comme un sortilège sur toute l’étendue du territoire. Ce serait la seule fois où Leïla Ben Ali pourrait faire du bien à son pays et occuper les Tunisiens sans intention de les gouverner. »
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