Musique congolaise : Jean-Pierre Bokondji, par la grâce de Jupiter
Créateur de l’afrobeat congolais, le bofenia rock, un mélange de rythmes traditionnels et de groove urbain, l’artiste kinois débute une tournée internationale avant la sortie de son nouvel album.
Il a bien mérité son surnom. C’est avec les rythmes tirés des profondeurs de la vaste République démocratique du Congo (RDC) que ce démiurge fait vibrer le ciel et la terre. Pas de hasard d’ailleurs si son album, qui sortira au second semestre, s’appelle Hôtel Univers. Un clin d’oeil, bien sûr, à cet établissement – dont les murs couleur brique égayent la rue Kilombo, à Lemba, une commune de Kinshasa -, qui abritait jadis les répétitions de son groupe Okwess International. Mais surtout l’occasion pour Jean-Pierre Bokondji, alias Jupiter, de rendre hommage à « la diversité du répertoire musical du Congo, où toutes les musiques du monde ont pris leur source ».
Une diversité que reflète bien cet album « 100 % électrique ». De l’afrobeat façon congolaise, que Jupiter qualifie, pour sa part, de bofenia rock, un mélange de rythmes traditionnels et de groove urbain. Le tout remue. Swingue. Et dérange. Pas de langue de bois, en effet, dans ses treize titres décapants. « Tokolela Congo, tokolela Congo » (« pleurons le Congo »), chante Jupiter dans un morceau dédié à son pays. « À l’époque coloniale, on fouettait nos parents trois fois par jour, mais on leur donnait de la nourriture trois fois par jour. Cinquante ans après l’indépendance, les Congolais ne font qu’un repas par jour, et seulement à 22 heures. Est-ce la faute des Occidentaux ou de nos parents ? Est-on indépendant ou dépendant ? L’Histoire nous jugera… » avertit-il, tout en en appelant à Tshanga Tshungu, le dieu des guérisseurs zebolas, pour rétablir l’harmonie. Même l’amour, chanté dans « Margarita », a des accents rebelles. « Même si tu n’es pas là, je m’en fous… » lance Jupiter à l’indifférente.
Il aura fallu près de vingt ans à ce musicien talentueux pour imposer son bofenia rock sur la scène musicale congolaise, dominée par le très populaire ndombolo. Sur ce chemin plein d’embûches, Jupiter partait toutefois avec deux atouts. D’abord celui d’être le petit-fils d’une guérisseuse célèbre, issue de l’ethnie ekonga, du groupe mongo, dans la province de l’Équateur. Elle l’a initié très jeune aux fameux rythmes zebolas, conçus pour soigner les malades. Autre atout : être né à Lemba, qu’il n’a plus quitté depuis 1983, année de son retour au pays, après une décennie passée à Berlin-Est, où son père était attaché de l’ambassade de l’ex-Zaïre. « C’est le Quartier latin de Kinshasa, la scène révolutionnaire de la musique congolaise. Tout comme Ngaba, Lemba est une commune de recherche musicale. Tous les musiciens qui ont joué autre chose que de la rumba ou du ndombolo, comme Ray Lema ou Lokua Kanza, en sont issus », insiste cet artiste à l’interminable silhouette et aux doigts effilés, qui soufflera ses 49 bougies cette année.
Chiquenaude
C’est dans les matanga (veillées mortuaires) et autres cérémonies sociales qu’il anime dans les années 1980 que Jupiter découvre les multiples sonorités congolaises. Car si Kinshasa a donné naissance à la rumba, cette ville melting-pot concentre aussi une bonne part du patrimoine musical traditionnel national, rapporté des terroirs par ses habitants. Au fil des ans, Jupiter parcourt le pays, se documente sur ses ethnies et leurs rythmes musicaux, très nombreux, mu par une seule idée : « Faire renaître les sons oubliés, à la manière de Franco. Les faire découvrir et, à travers eux, faire connaître le Congo. »
Ce sera chose faite en 1999, quand Okwess (la « nourriture » en kimbunda, une langue de la province du Bandundu), l’orchestre qu’il a créé cinq ans plus tôt, est sélectionné pour représenter la RD Congo au Marché des arts et du spectacle africain (Abidjan). Mais le pays sombre dans la guerre, et des musiciens d’Okwess partent s’établir en Europe. Pas question toutefois pour Jupiter de les suivre.
Il aura fallu près de vingt ans à ce musicien talentueux pour s’imposer face au ndombolo.
En 2004, après une mise en sommeil, Okwess renaît sous l’appellation Okwess International. Au fil des jours, son style s’affine et s’affirme. Et son message se précise, tandis que des Kinois s’enthousiasment enfin pour le bofenia rock. À Lemba, où les habitants écoutent toutes sortes de musiques, plus d’un jeune souhaite que « le général rebelle », son surnom local – une chiquenaude donnée aux rois du ndombolo -, soit le nouvel ambassadeur de la musique congolaise.
En 2005, La Belle Kinoise Production, qui lancera Staff Benda Bilili, dont certains musiciens sont handicapés, le repère. De cette rencontre sort, en 2007, La Danse de Jupiter, un documentaire qui donne de la visibilité à l’artiste. L’orchestre devient alors la coqueluche des espaces branchés, comme Sixième Sens, et des centres culturels étrangers de la capitale congolaise, voire des pays voisins, tandis que diplomates et particuliers se l’arrachent pour animer leurs soirées. En 2012, c’est la cerise sur le gâteau avec une tournée de deux mois en Europe qui démarre fin juin et la sortie d’Hôtel Univers, coproduit par All Other Music, le producteur des Maliens Amadou et Mariam, et La Belle Kinoise Production.
À l’image de ses sonorités multiples, Okwess International regroupe une dizaine de musiciens aux origines diverses, dont la majorité réside à Lemba. Tous connaissent les innombrables galères (manque de boulot, de logement, de moyens de transport, d’eau, d’électricité, etc.) auxquelles sont confrontés les Kinois. Il y a Yende Bongongo, grand percussionniste et voix d’or du groupe, Éric, un des guitaristes, toujours prêt à rire, Shoule Bilomba, Alberto, Richard, Nelly, Da Costa, Zing et les autres… En attendant le grand départ pour l’Europe, ils répètent chez Jupiter, rue Miao, à Lemba Terminus. Une concession facile à trouver. Un long mur gris, un portail bleu sur lequel est peint le portrait de l’artiste, légendé « L’Univers de Jupiter », et une inscription : « Belle Kinoise, Lemba na biso, Okwess International ». On ne peut pas la rater.
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