Face à Kaïs Saïed, à quoi joue l’UGTT ?
Absente des manifestations du 14 janvier commémorant la chute de Ben Ali, la puissante centrale syndicale tunisienne poursuit son bras de fer avec les autorités. Qui veillent soigneusement à éviter tout affrontement direct.
Le 14 janvier 2011, la mobilisation de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) avait abouti à une grève générale qui avait accéléré la chute du régime de Ben Ali. Douze ans plus tard, l’UGTT est la grande absente des manifestations qui se sont muées en mouvements protestataires contre le pouvoir, à l’occasion de cette commémoration chère aux Tunisiens mais que le président Kaïs Saïed ne reconnait pas comme étant un temps fort dans la conquête des libertés.
Physiquement, l’UGTT n’a pas battu le pavé de l’avenue Bourguiba mais elle était présente dans tous les esprits. La centrale a fait le choix de ne pas participer aux manifestations pour « éviter les confusions » et les amalgames qui interpréteraient sa présence comme un soutien aux partis qui défilaient dans le centre de Tunis.
Exaspération
Ce souci d’écarter toute ambiguïté n’a pas empêché la centrale de prendre des positions très fermes à l’égard du gouvernement. Après des mois de silence où il a semblé que l’UGTT laissait faire, elle sort aujourd’hui du bois et harangue directement Kaïs Saïed mais aussi les acteurs politiques. Le ton est donné par différentes interventions de ses dirigeants dont son secrétaire général, Noureddine Taboubi qui appelle dans son discours du 14 janvier à « la lutte nationale » et rappelle que « la patrie nous appelle tous ». Pas moins. Celui qui avait été attentif aux bouleversements constitutionnels voulus par Kaïs Saïed le 25 juillet 2021, constate que « ni le régime de l’avant 25-Juillet, ni le populisme excessif du président de la République ne correspondent aux besoins du pays ».
Ce ton exaspère ceux qui estiment que « la centrale impacte la stabilité économique par ses grèves », comme l’assène une mère de famille, excédée par les débrayages répétés dans l’éducation nationale. Pour d’autres, l’UGTT est une vigie du monde du travail mais aussi une égérie politique par sa manière de défendre les droits des travailleurs et de vouloir sauvegarder les fondamentaux du pays. La centrale alerte sur la situation du pays depuis plusieurs mois et n’a cessé d’exhorter le gouvernement « à dire la vérité au peuple », celle de la situation économique et celle relative aux accords avec le Fonds Monétaire International (FMI).
Rôle dans la lutte nationale
Pourtant l’UGTT revient de loin : après s’être mise à l’écart le temps de s’assurer de sa stabilité, menacée par une plainte qui pouvait annuler les résultats du Congrès extraordinaire de juillet 2021, la centrale cherche ses marques par rapport à un gouvernement dont la volonté de coopérer s’amenuise de jour en jour. Le syndicat, qui a joué un rôle clé dans la lutte nationale et participé à la rédaction de la Constitution de 1959 en siégeant à la première assemblée de la Tunisie indépendante, tire sa légitimité de ses prises de position face aux autorités, et de son parcours qui la hisse au rang d’institution nationale.
Récipiendaire du Nobel de la paix en 2015 pour l’initiative du dialogue national qu’elle a mené avec le patronat, l’Ordre des avocats et la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), elle est mise à l’écart par un gouvernement qui ne montre aucune réelle volonté de l’associer ou de la consulter sur le programme de réformes nécessaires pour se conformer aux attendus du FMI.
Puérilité
Cette inertie, ou plutôt le jeu subtil de l’exécutif qui évite les confrontations frontales tout en craignant l’impact d’une grève générale et qui laisse entendre que l’UGTT n’est pas son unique interlocuteur, finissent par agacer en confinant à une certaine puérilité au vu de l’extrême précarité de la Tunisie. Comme elle l’avait fait en 2013 au moment où le pays risquait de basculer dans un conflit interne, l’UGTT s’active pour trouver une base de concertation. Elle éloigne les partis et l’exécutif mais compte rejoindre le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), la LTDH et l’Ordre des avocats, ses anciens partenaires du quartet, pour élargir les discussions à des instances non gouvernementales afin de lancer une initiative de sauvetage citoyenne.
Une tentative de la dernière chance qui ne sera présentée qu’une fois aboutie, par prudence à l’égard d’un exécutif poussé dans ses retranchements mais qui est toujours le bienvenu dans les discussions. Une situation assez singulière où même le risque de grève générale ne fait pas réagir le gouvernement. « Le rôle du pouvoir est aussi d’accepter et de susciter les critiques de l’opposition », commente Sami Tahri, secrétaire général adjoint et porte-parole de la centrale. Ses membres sont unanimes : « L’organisation syndicale est dans son rôle historique, ne craint quiconque et n’accepte les menaces de personne ».
Les harangues semblent ne pas atteindre les autorités. Quant à l’UGTT, elle poursuit ses objectifs et affine sa démarche au coup par coup. Néanmoins, les déclarations des uns et des autres rendent la mise en place d’un nouveau dialogue national plus que houleuse. Une manière sans doute de préparer au refus de toute négociation qui, jusqu’à présent, est la position adoptée par Kaïs Saïed. Une manière aussi d’envisager une autre voie de sortie de crise, ou de définir les outils qui permettraient de s’en approcher.
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