Conseil de coopération du Golfe : enfin l’union politique ?

Les six États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) pourraient se regrouper dans une confédération pour faire face plus efficacement aux dangers qui les menacent et préparer l’avenir.

Arrivée à Riyad de la délégation émiratie, le 14 mai. © Hassan Ammar/AP/SIPA

Arrivée à Riyad de la délégation émiratie, le 14 mai. © Hassan Ammar/AP/SIPA

Publié le 21 juin 2012 Lecture : 5 minutes.

Sous l’impulsion du monarque saoudien, le roi Abdallah Ibn Abdelaziz, les six États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) envisagent de resserrer leurs liens. Un des projets à l’ordre du jour est de transformer l’ensemble régional qu’est le CCG depuis sa création, en mai 1981, en une forme de confédération ou d’union politique. Ce sujet complexe et hautement controversé doit être débattu au plus haut niveau à l’occasion de la réunion du conseil suprême du CCG en décembre prochain, à Riyad. Entre-temps, les six gouvernements accorderont une attention toute particulière à un rapport sur la question préparé par un comité d’experts.

Reste que les objections à une union sont aisément compréhensibles. Chaque État est clairement soucieux de conserver le contrôle de ses finances, ainsi que celui de sa politique extérieure et intérieure, et n’est guère prêt à céder une partie de sa souveraineté. Les projets antérieurs de création d’une monnaie unique et d’une union douanière n’ont jamais vu le jour. Ils ont été mis entre parenthèses, sans être totalement abandonnés. De toute évidence, on a estimé que le temps n’était pas encore venu. Mais aujourd’hui, l’intégration politique revient sur le devant de la scène.   L’ambitieux projet de confédération devait être débattu le 14 mai, lors de la dernière réunion du CCG à Riyad. Mais si l’Arabie saoudite, Bahreïn, le Qatar et le Koweït étaient représentés chacun par son chef d’État, Oman et les Émirats arabes unis ont choisi d’envoyer des délégués, respectivement le vice-Premier ministre et le vice-président (et Premier ministre). À tort ou à raison, des observateurs ont cru voir dans ce choix la volonté des deux pays de différer les discussions sur le projet d’union, voire de les supprimer de l’ordre du jour.

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Grande incertitude

Quelles sont les raisons qui poussent le CCG à envisager l’union ? Quelle est la motivation qui se cache derrière ce projet ? À l’évidence, la conscience que la région est entrée dans une période de grande incertitude et potentiellement dangereuse. Aux yeux des partisans de l’intégration politique – le roi saoudien au premier chef -, l’union donnerait aux pays du Golfe plus de poids sur la scène internationale, ce qui renforcerait leur capacité à se défendre et à préserver leurs intérêts dans un monde hostile. Le danger le plus immédiat pour les riches États du Golfe pourrait bien se trouver à l’intérieur même du monde arabe. Les soulèvements de l’année passée ont causé de sérieux dommages à plusieurs économies de la région, notamment celles de l’Égypte et du Yémen. La Tunisie a vu ses revenus issus du tourisme s’effondrer. La Syrie est en proie à une guerre civile dévastatrice. La Jordanie n’a pas connu de soulèvement, mais elle a un besoin impérieux d’aide. La pauvreté et la surpopulation sont les principaux problèmes de la plupart de ces pays, où une part substantielle de la population lutte pour survivre avec moins de 2 dollars par jour. Par contraste, le revenu moyen par tête des pays du CCG était de 23 317 dollars en 2010, soit près de 64 dollars par jour, pour un PIB cumulé de plus de 1 000 milliards de dollars.

Lassitude américaine

Cette énorme disparité entre riches et pauvres dans le monde arabe est potentiellement la source d’un grand danger. Si une bonne partie de la région sombre dans un chaos postrévolutionnaire et dans la violence, le Golfe n’échappera pas aux contrecoups. Ses États membres aident déjà individuellement leurs voisins arabes plus modestes avec des programmes bilatéraux. Mais il est peut-être temps pour le CCG dans son ensemble de mettre en place une banque arabe pour la recon­struction et le développement consacrée au sauvetage des économies les plus fragiles, sur le modèle de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), qui aida à réanimer l’Europe de l’Est et même la Russie après la chute du communisme et la dissolution de l’empire soviétique.

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L’autre danger potentiel pour les pays du Golfe réside dans l’évolution de la politique américaine. Les États-Unis donnent des signes de lassitude face aux conflits qui agitent le Moyen-Orient, ce qui explique qu’ils rechignent à intervenir militairement en Syrie. Ils se tournent de plus en plus vers l’Asie et le Pacifique afin de contenir les ambitions de la Chine. En conséquence, il serait peut-être mal avisé pour les pays du Golfe de continuer à s’en remettre outre mesure au bouclier américain.

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La priorité de Washington pour l’heure est de protéger Israël, pas les Arabes. La raison en est simple ; alors qu’Israël et ses amis américains pèsent grandement sur les choix de la Maison Blanche, l’influence arabe, elle, décline à mesure que les États-Unis deviennent de moins en moins dépendants des hydrocarbures de la région. La production croissante de pétrole au Brésil, au Canada et à l’intérieur même des États-Unis a modifié la perception qu’ont les Américains de leurs intérêts. Les Arabes ne doivent pas être surpris si, dans les années à venir, les États-Unis réduisent leur présence militaire dans le Golfe. Même aujourd’hui, si quelque chose de tel que la crise du Koweït dans les années 1990 se produisait, les États-Unis seraient-ils prêts à déployer 500 000 hommes ? Après les guerres coûteuses en Irak et en Afghanistan – et dans le difficile climat financier actuel -, les alliés européens n’auront ni la volonté ni les moyens d’intervenir pour protéger un État du Golfe en péril comme ils l’ont fait en 1991.

Instabilité régionale

Aussi longtemps que la question palestinienne ne sera pas résolue, Israël restera une menace majeure pour tous les États arabes, y compris ceux du Golfe. La politique actuelle de l’État hébreu consiste à coloniser la Cisjordanie et à refuser aux Palestiniens l’indépendance, tout en conservant et en renforçant sa domination militaire sur toute la région. En vue d’atteindre ce dernier objectif, Israël et ses amis américains néoconservateurs ont poussé les États-Unis à envahir et à détruire l’Irak, un pays que Tel-Aviv considérait comme un danger en puissance. Israël pousse aujourd’hui l’Amérique à affaiblir et à détruire l’Iran, ainsi que son programme nucléaire, qu’il voit comme une menace potentielle contre son monopole régional des armes atomiques. Or toute attaque militaire d’Israël ou des États-Unis contre l’Iran pourrait avoir des conséquences désastreuses pour le Golfe, car il se retrouverait dans la ligne de tir. Plutôt que de le redouter, les Arabes devraient se réjouir d’un éventuel accord entre Washington et Téhéran sur le nucléaire, puisqu’il ferait disparaître la menace d’une attaque israélienne.

Ce sont là seulement quelques-uns des dangers auxquels les pays du Golfe doivent faire face. La guerre civile de plus en plus destructrice en Syrie, l’aggravation des tensions entre sunnites et chiites, la montée en puissance des Frères musulmans dans la région sont autant de sources d’instabilité qui pourraient affecter la sécurité des États du Golfe. Face à ces formidables défis, le roi Abdallah Ibn Abdelaziz est certainement fondé à penser que les membres du CCG doivent renforcer leurs liens, mettre en commun leurs ressources, coordonner leurs stratégies, rationaliser leur aide en faveur des pays arabes en faillite et améliorer l’efficacité conjointe de leurs forces armées pour présenter au monde un visage fort et uni.

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