Maroc : le Sahara occidental et le cas Christopher Ross
Jugeant sa méthode « déséquilibrée et partiale », le royaume a retiré le 17 mai sa confiance à l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental. Explications.
Christopher Ross ne retournera pas au Sahara occidental. Ni à Tindouf. Trois ans après sa nomination comme envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental, le diplomate américain ne remettra pas le pied dans le territoire vaste de quelque 260 000 km2 que se disputent le Maroc et le Front Polisario depuis 1976. Ross a même perdu tout espoir de se rendre sur le terrain avant la fin de sa mission depuis que celle-ci a été écourtée par le coup d’éclat de Rabat. Le 17 mai, un communiqué du ministère des Affaires étrangères a annoncé que le Maroc retirait sa confiance à l’émissaire onusien, pointant, de sa part, une « méthode déséquilibrée et partiale ». Sans détailler les raisons de ce désaveu, le communiqué de la diplomatie marocaine mettait en avant « les comportements contrastés de M. Ross [qui] s’écartent des grandes lignes tracées par les négociations au Conseil de sécurité ».
Coup de sang
Dès cette annonce, les communiqués des partis politiques et d’autres associations ont commencé à pleuvoir sur le fil de dépêches de la MAP, l’agence de presse officielle, pour dénoncer la partialité de l’envoyé spécial de Ban Ki-moon et exiger son remplacement. Loin de cette fièvre patriotique, à New York, siège de l’institution, le porte-parole de l’ONU, Martin Nesirky, indique que le secrétaire général maintient « toute sa confiance à Christopher Ross ». Mais le blocage est réel, alors que dans les pays réunis au sein du groupe des « Amis du Sahara occidental » (États-Unis, France, Espagne, Russie et Royaume-Uni) on s’interroge sur les raisons de ce coup de sang de Rabat.
Le blocage est réel, et dans les pays réunis au sein du groupe des "Amis du Sahara occidental", on s’interroge sur les raisons de ce coup de sang de Rabat.
En retirant sa « confiance » à l’envoyé spécial du secrétaire général, le Maroc a pris le risque de se mettre à dos l’administration de l’ONU et de susciter l’incompréhension des États-Unis, un allié précieux. La secrétaire d’État américaine Hillary Clinton l’aurait apparemment fait comprendre à son homologue Saadeddine El Othmani, en marge de la réunion du groupe des « Amis de la Syrie », le 6 juin, à Istanbul.
Surtout que cette décision est intervenue moins d’un mois après la résolution prolongeant d’une année le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso). Première conséquence du retrait de confiance, un porte-parole onusien a indiqué, le 18 mai, que Ross « ne prévoyait pas de voyage [dans la région du Sahara] ». Un revirement par rapport au dernier rapport du secrétaire général sur la situation au Sahara occidental, daté du 5 avril, mais publié dans sa troisième (et dernière) version le 17 du même mois, qui évoquait une visite au Sahara de l’émissaire onusien « en mai ».
Droits de l’homme
Terrorisme : liaisons dangereuses Polisario-Aqmi ?
La diplomatie marocaine estime que ses inquiétudes ne sont pas suffisamment relayées par la Minurso. Le 23 octobre 2011, l’enlèvement de trois humanitaires (deux Espagnols et une Italienne) travaillant dans les camps de réfugiés sahraouis du sud de l’Algérie, à Rabouni, ont ravivé les craintes de Rabat. Le gouvernement marocain met en garde depuis des années contre le risque islamiste, pointant des complicités entre le Polisario et des groupes liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), dans le cadre de la contrebande d’armes, de drogue et de cigarettes. Des accusations sans cesse relayées par la presse marocaine, sans grand retentissement à l’international. Avec l’instabilité grandissante au nord de la Mauritanie et – surtout – au Mali, les diplomates marocains espèrent trouver une oreille plus attentive tant auprès des membres du Conseil de sécurité de l’ONU que parmi les pays de la région, Algérie en tête.
Ce rapport onusien soulignait les difficultés auxquelles s’est heurté son personnel pour rencontrer des Sahraouis. Un vieux sujet de contentieux entre le Maroc et la Minurso, cette dernière restant habituellement discrète sur le sujet. En fait, la pression montait depuis la précédente résolution (no 1979) de l’ONU. En avril 2011, le Conseil de sécurité avait alors demandé que Ban Ki-moon le tienne informé des obstacles rencontrés, quelques mois après les affrontements meurtriers de Gdim Izik, en novembre 2010. À cette occasion, des membres du Conseil (Afrique du Sud, mais aussi Royaume-Uni) avaient même fait pression pour que le mandat de la Minurso soit étendu à la surveillance des droits de l’homme, une demande récurrente du Polisario. La vive opposition de la diplomatie française avait finalement convaincu le secrétaire général de renoncer à cette extension de mandat.
Dans le cadre du présent rapport, Hany Abdelaziz, représentant spécial du secrétaire général et chef de la mission onusienne à Laayoune, a décrit les conditions de travail de la Minurso en pointant les blocages, notamment les positions irréconciliables des deux parties. La première version du rapport, qui a circulé début avril dans les couloirs du bâtiment des Nations unies à New York, semblait globalement sévère à l’égard du Maroc. Y étaient évoqués la « surveillance policière » et le « contrôle minutieux des mouvements » des personnels de la Minurso. Des reproches directs adressés aux autorités marocaines, s’ajoutant au projet de Christopher Ross de créer deux groupes de contact : le premier constitué de Sahraouis, le second comprenant des « sages » maghrébins. Ces deux idées, présentées comme des solutions, n’ont jamais convaincu la partie marocaine.
Si le contenu du rapport était connu des Marocains bien avant son adoption, l’attention a été tournée entièrement vers la résolution du Conseil de sécurité adoptée le 24 avril. Décision routinière, elle reste formellement contraignante, et Rabat est sensible à toute surprise, notamment sur la question des droits de l’homme. Le Maroc ne veut pas d’une « solution imposée aux parties », comme l’avait proposé James Baker, l’un des prédécesseurs de Christopher Ross, en 2003. La diplomatie marocaine a peut-être sous-estimé la tonalité négative du rapport du secrétaire général. En tout cas, elle a reporté sa réaction. C’est ce qui explique la surprise de tous les autres intervenants : Ban Ki-moon, les diplomaties américaine et française.
Et maintenant ?
En retirant sa confiance à Christopher Ross, Rabat s’est donné le temps de l’action.
Le « désaveu » marocain du 17 mai n’en a paru que plus surprenant. En retirant sa confiance à Christopher Ross, Rabat s’est donné le temps de l’action. En off, une source gouvernementale explique que le Maroc a agi à dessein juste après la prolongation du mandat pour un an : « Nous aurons ainsi le temps de rebâtir une nouvelle approche avec le prochain envoyé spécial et de mettre à plat tous les différends. » Reste à savoir si les Marocains ont bluffé pendant de longs mois. Peu probable. Les relations étaient encore au beau fixe en mars lors de la neuvième rencontre informelle, sous la supervision de Ross, et leur « attitude constructive » avait été soulignée.
Les hésitations de la diplomatie marocaine sont en revanche avérées par divers échanges. Alors que Ross préparait sa visite sur le terrain, au début du printemps, Rabat continuait d’avoir des contacts avec ce dernier, lequel a même reçu des assurances de la part du nouveau ministre, Saadeddine El Othmani, quant à sa liberté totale de rencontrer qui il souhaitait, y compris des indépendantistes. Au même moment, un haut cadre du ministère tenait un langage différent à une chancellerie amie. Bref, les intervenants dans ce dossier n’avaient pas tous les mêmes informations.
Pour le journaliste Ali Anouzla, directeur de la publication du site d’information lakome.com et bon connaisseur du dossier du Sahara, « il semblerait que le Maroc ait été un peu vite en besogne en retirant sa confiance à Ross, l’accusant de partialité, sans en apporter la preuve irréfutable ». Selon lui, la volonté d’élargir le mandat de la Minurso aux droits de l’homme ne constitue pas en soi une pièce à charge suffisante contre Ross : « Le refus du Maroc laisse croire qu’il a quelque chose à cacher sur les droits de l’homme, alors que tout le discours officiel de Rabat et sa réputation internationale sont construits sur cette question », rappelle-t-il. Côté marocain, la position est claire : pas de surveillance des droits de l’homme à Laayoune sans un mécanisme similaire à Tindouf.
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