Cameroun : René Emmanuel Sadi, successeur de Paul Biya ?

À Yaoundé, beaucoup le voient déjà succéder à Paul Biya, dans un pays où il ne fait pas bon afficher ses ambitions. Évincé de la direction du parti au pouvoir, mais maintenu au gouvernement, René Sadi cultive la discrétion. Portrait d’un homme qui encaisse les coups, mais refuse de livrer bataille.

René Emmanuel Sadi, en janvier 2011. © Nicolas Eyidi

René Emmanuel Sadi, en janvier 2011. © Nicolas Eyidi

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Publié le 20 juin 2012 Lecture : 6 minutes.

S’il devait n’en rester qu’un, ce pourrait être lui : René Emmanuel Sadi, 63 ans. Un à un, les prétendants (réels ou supposés) à la succession du président camerounais Paul Biya ont été écartés, mais lui est resté. Certains ont échoué en prison, pris dans les filets de l’opération anticorruption Épervier, d’autres sont tombés en disgrâce, pas lui. Son secret ? La discrétion. Toujours. En toutes circonstances. Pas question d’afficher ses ambitions, encore moins depuis que Marafa Hamidou Yaya (un autre successeur potentiel) a été arrêté et qu’il se répand dans la presse contre son ancien mentor.

Mais quand Marafa, ce « fils spirituel » naguère si proche du soleil, refuse de mourir sans combattre, René Sadi, le fidèle lieutenant, choisit de ne pas livrer bataille. Les deux hommes ont occupé les mêmes fonctions (en décembre 2011, Sadi a été fait ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation en remplacement de Marafa), mais ils ne se ressemblent pas. Sadi n’est pas homme à partir à l’assaut d’un système auquel il appartient, et c’est à son corps défendant qu’il a parfois été présenté comme un dauphin possible de Paul Biya.

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Au départ, c’est vrai, il a semblé se prendre au jeu, goûtant honneurs et privilèges, ne se déplaçant plus qu’avec une escorte et affichant la satisfaction de celui qui sait qu’il a réussi. Mais c’était avant qu’il ne prenne la mesure des risques encourus. Il n’aura pas, comme Marafa, l’imprudence de briguer ouvertement le palais d’Etoudi. Il n’oubliera pas non plus que, à quelques minutes seulement de son ministère, Titus Edzoa, ancien très proche du chef de l’État, croupit dans un cachot du secrétariat d’État à la Défense (SED).

Cet homme de l’ombre n’a aucune intention de devenir une cible. À Yaoundé, le président exige, sans obtenir de résultats probants, que ses proches se consacrent à la réalisation des grands chantiers du septennat, mais eux ne pensent qu’à la succession du chef, 79 ans. Intrigues et coups bas occupent depuis longtemps l’agenda réel des ministres et assimilés, et, dans la tempête qui gronde, Sadi s’est replié sur lui-même, protégé par une garde rapprochée chargée d’éconduire courtisans et journalistes. Il sait combien le chef exècre ceux qui parlent d’eux plutôt que de lui.

Sa longévité, il la doit aussi à l’influent sultan des Bamouns, qu’il a connu au Caire.

Terrain miné. Licencié en droit de l’université de Yaoundé, diplômé de l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric), le jeune diplomate est d’abord envoyé à l’ambassade du Cameroun en Égypte avant de s’essayer à la politique. Revenu au pays, il devient conseiller (technique puis diplomatique) du président Ahmadou Ahidjo. Quand celui-ci démissionne, en 1982, Sadi parvient à sauver sa tête, jusqu’à la tentative de coup d’État – attribuée à des partisans d’Ahidjo – du 6 avril 1984. Il est alors écarté de la présidence, reversé au ministère des Affaires étrangères, avant de revenir à Etoudi comme conseiller de Paul Biya. « Il n’aurait peut-être pas eu cette carrière s’il n’avait pas été soutenu par Ibrahim Mbombo Njoya », analyse un connaisseur de la politique camerounaise. Sadi et l’influent sultan des Bamouns se sont connus au Caire, où Njoya servait comme ambassadeur en Égypte, et voici Sadi installé pour longtemps.

Tour à tour directeur adjoint du cabinet civil et secrétaire général adjoint de la présidence, Sadi sait que pour survivre sur ce terrain miné il faut calquer ses pas sur ceux du chef de l’État, qu’il accompagne dans presque tous les voyages officiels. Dans la frivolité du microcosme camerounais, les casaniers sont une espèce rare…

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Pas plus que celui de Biya son visage ne trahit d’émotions. La politique, il en est convaincu, ne laisse pas de place aux sentiments. Longtemps, les Camerounais ont ignoré presque tout de cet homme dont on dit qu’il est la plume du président. Dans l’ombre, il cultive l’image du commis honnête et désintéressé. L’un de ses proches en veut pour preuve le fait qu’il « vient de finir de payer les dernières traites de sa maison, dans le quartier de Biyem Assi, à Yaoundé ». On pourrait le croire mondain, avec sa diction et sa courtoisie un peu désuètes. Il n’en est rien. On aperçoit parfois sa silhouette enrobée au Café de Yaoundé, où il aime retrouver ses rares amis, mais il s’en retourne toujours à ses dossiers. Fils d’un infirmier, il a gravi une à une les marches de l’État avec un sens tactique que lui envierait son frère aîné, Jean-Pierre, qui fut plusieurs fois entraîneur des Lions indomptables, la sélection nationale de football.

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Machine à gagner. Le chef l’apprécie, et ça se voit. On le soupçonne vite de préparer Sadi aux plus hautes fonctions. Le 4 avril 2007, il le propulse au poste de secrétaire général du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir). Lui qui n’était même pas membre du bureau politique se retrouve patron « opérationnel » de la machine à gagner. Il se murmure que le chef vieillissant pourrait même lui en confier les rênes, ce qui, en cas de vacance du pouvoir, ferait de Sadi son candidat « naturel » à la présidentielle. À Yaoundé, beaucoup pensent la succession en voie d’être réglée, et, autour du dauphin presque désigné, de nouveaux amis affluent. Les anciens reviennent aussi, à l’instar de la communicante française Patricia Balme, qui soigne ses liens avec lui.

Son visage, comme celui du chef de l’Etat, son mentor, ne trahit aucune émotion.

Les ennemis se font aussi plus nombreux. Son ascension agace. Il ne s’entend plus avec Martin Belinga Eboutou, le directeur du cabinet civil et proche conseiller du président, qui ne manque jamais une occasion de l’égratigner. Rien ne va plus avec Grégoire Owona, son adjoint au secrétariat général du parti, qui le rend responsable des ratés du congrès du RDPC de septembre 2010. Cela ne va pas mieux avec Laurent Esso, qui prend de haut celui qui fut, jusqu’en juin 2009, son adjoint au secrétariat général de la présidence. À l’époque déjà, l’entente n’était pas franchement cordiale. Dans la presse et pendant les meetings du parti, les deux hommes se taclent. Jusqu’à ce jour d’avril 2010 où Esso lui donne du « monsieur le président ». Un faux lapsus vachard dont tout le monde sait, à Yaoundé, ce qu’il pourrait coûter à son destinataire tant il ne fait pas bon avoir des ambitions.

Finalement, en décembre dernier, Sadi est débarqué du RDPC et nommé au poste de Marafa, sans même se voir accorder le rang de ministre d’État. A-t-il été lâché par son patron ou celui-ci a-t-il tenté de le mettre à l’abri en lui confiant un poste moins exposé ? Difficile à dire… Toujours est-il qu’il trébuche d’entrée. Soucieux d’apparaître proche de ses administrateurs, il choisit d’aller installer dans ses fonctions chacun des gouverneurs de région, plutôt que de venir défendre à l’Assemblée nationale le tout premier code électoral du Cameroun.

Le 3 avril, alors que Sadi est encore à Bertoua (Est), c’est Jules Doret Ndongo, son ministre délégué, qui s’y colle, et cela se passe mal. Sadi rentre précipitamment, retire le projet de loi au mépris de la procédure, s’attire les foudres des députés, qui n’aiment pas être ainsi malmenés… Et quand le ministre revient finalement devant les députés, c’est la bronca. Sur les bancs du gouvernement, Jean Nkuété, nouveau patron du RDPC, ne bouge pas. Sadi est seul. Pendu au téléphone, Jacques Fame Ndongo, pilier du système Biya, informe en temps réel un mystérieux interlocuteur. Amendé, le texte finira par être adopté, mais le dauphin a pris un sérieux coup de trique. À Yaoundé, beaucoup veulent y voir un avertissement. 

Ni du Nord ni du Sud, rené Sadi rassure

Même s’il est né à Maroua, dans l’Extrême-Nord, René Sadi est issu de la minorité vutée, originaire du centre du Cameroun. Du coup, dans un pays mosaïque où les équilibres ethniques et régionaux sont complexes, il rassure à la fois le Grand Nord et le Sud, dont est originaire Biya et qui demeure hanté par le fantôme d’Ahmadou Ahidjo. La dispute Biya-Ahidjo a dégénéré en une sanglante tentative de coup d’État en avril 1984, et le fait que les restes du premier président du pays, un musulman du Nord, soient toujours à Dakar montre que la question est sensible. Au Cameroun, beaucoup pensent désormais que choisir le futur président au sein d’une minorité permettrait d’éviter que les Nordistes ne cherchent à se venger de la répression qui a suivi le putsch manqué. Reste que le candidat retenu devra, quoi qu’il arrive, séduire aussi les grands groupes ethnolinguistiques (Bamilékés et anglophones notamment), qui ne veulent plus être tenus à l’écart.

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