Mali : opération remobilisation pour l’armée

Au cours des dernières semaines, l’armée malienne a fait davantage parler d’elle pour son implication dans le coup d’État du 21 mars que pour sa capacité à reprendre le Nord. Peut-elle aujourd’hui se ressaisir ?

Soldats au camp de Kati, le QG des putschistes. © Emmanuel Daou Bakary pour J.A.

Soldats au camp de Kati, le QG des putschistes. © Emmanuel Daou Bakary pour J.A.

Publié le 20 juin 2012 Lecture : 9 minutes.

Qui peut sauver le Mali ?
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Qui peut sauver le Mali ?

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Après avoir renversé, le 21 mars, un président démocratiquement élu quelques jours avant la fin de son deuxième et ultime mandat, l’armée malienne n’en finit pas de se singulariser. Mise en déroute dans l’immensité saharienne, elle semble pour l’instant incapable de reprendre l’offensive pour restaurer l’intégrité et l’unité territoriale. De janvier à mars, les Touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), composé alors de 600 hommes, ont dans un premier temps avancé sans entraves. Et aujourd’hui, les « assaillants » – composés également du mouvement islamiste Ansar Eddine et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) – contrôlent les trois grandes régions du Nord : Tombouctou, Kidal et Gao. Grâce au pillage des arsenaux libyens et à une meilleure connaissance du terrain, rebelles et djihadistes disposent à présent d’une puissance de feu supérieure à celle des loyalistes, empêtrés dans l’imbroglio politico-tragique de Bamako.

La chute de Kadhafi, ce déséquilibre sur le terrain et la chronique bamakoise n’expliquent pas à eux seuls cette « défaite éclair ». Comment une institution considérée au début des années 1990 comme l’une des plus puissantes en Afrique subsaharienne a-t-elle pu subir une telle débâcle ? Pour les uns, il n’y a pas de doute. En rompant brutalement la chaîne de commandement, les officiers subalternes du 21 mars, dirigés par le capitaine Amadou Haya Sanogo, sont les premiers responsables de cette « humiliation suprême ». En s’en prenant au chef des armées, le président Amadou Toumani Touré, les putschistes seraient les fossoyeurs de la Grande Muette. En exacerbant les fractures entre un état-major déconnecté des casernes et accusé de corruption et la troupe envoyée au casse-pipe face aux rebelles, ils auraient fini de semer le désordre. La « guerre des bérets », le 30 avril, entre les commandos-parachutistes dirigés par le lieutenant-colonel Abidine Guindo, resté fidèle à ATT, et les éléments de l’armée de terre régnant en maître au camp de Kati a de ce point de vue révélé au grand jour ce profond malaise.

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Déroute

Mais pour le colonel Séga Sissoko, directeur général du musée des Armées et historien de l’institution militaire, le mal est plus ancien. « Cette déroute est le résultat d’un long processus de délitement entamé lors de la révolution démocratique de mars 1991. Soulevant la méfiance du nouveau pouvoir politique, l’armée a été progressivement dévitalisée. Le népotisme et la corruption, jadis phénomènes proscrits dans les casernes et mess d’officiers, ont atteint le commandement », énumère le colonel. Avant d’ajouter : « Le coup de grâce a été donné avec le pacte de paix avec la rébellion touarègue, en avril 1992. » L’une des dispositions de l’accord prévoyait l’intégration des combattants rebelles dans l’armée, le plus souvent comme officiers. « L’ennemi d’hier est devenu frère d’armes sans que la confiance soit totalement restaurée », estime notre militaire. « Cette situation a fortement dégradé l’image de la hiérarchie aux yeux de la troupe », conclut-il.

Rebelles et djihadistes disposent d’une puissance de feu supérieure à celle des loyalistes.

D’autres estiment que l’armée souffre aussi des purges, entamées sous le règne du général Moussa Traoré (1968-1991), ayant emporté par vagues successives des officiers de renom : le colonel Sékou Traoré, chef d’état-major dans les années 1960, le capitaine Diby Sylla Diarra, qui avait défait la rébellion touarègue de 1963, ou encore le lieutenant-colonel Kissima Doukara, ministre de la Défense de 1970 à 1978. « Ce fut le Houari Boumédiène malien », selon Séga Sissoko, pour avoir été l’artisan de la modernisation de l’armée malienne, avant de tomber en disgrâce, d’être relégué dans le Nord et de mourir en détention dans d’atroces conditions. « Un brillant officier soulève toujours la méfiance, relève un ex-commandant d’une unité opérationnelle à Kidal. On tente alors de le casser, de le neutraliser en l’éloignant de ses hommes. C’est ainsi que l’armée a été amputée de ses meilleurs éléments et que son commandement a peu à peu échu à de médiocres éléments sans envergure ni vision stratégique. »

Affairisme

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Le colonel Séga Sissoko relève un autre phénomène qui a contribué à la déliquescence de l’armée malienne : sa paupérisation. « Il est faux de croire que la cinquantaine de généraux baigne dans l’opulence. Ils ne sont pas tous tombés dans l’affairisme. Après trente années de carrière, un sous-officier touche un peu plus de 50 000 F CFA [76 euros, NDLR] et un général de brigade touche à peine sept fois plus, 350 000 F CFA », explique-t-il. Ces revenus modestes ont été accompagnés par d’anémiques budgets. « Lors de la deuxième guerre Mali-Burkina Faso, il a suffi à Moussa Traoré d’envoyer deux Mig-21 au-dessus de Ouagadougou pour que le capitaine Thomas Sankara comprenne qu’il n’avait aucun intérêt à une quelconque offensive, se souvient un ancien pilote de chasse reconverti dans le privé. Tout cela a bien changé. Depuis les années 1990, les budgets ont été revus à la baisse. Faute de carburant, les vols d’entraînement ou de reconnaissance ont été progressivement supprimés. Les appareils laissés sur le tarmac se sont détériorés, et les aptitudes de nos pilotes ont été gravement entamées. » Membre de l’état-major de l’armée de terre sous Moussa Traoré, cet ancien colonel des blindés déplore la négligence qui a touché de plein fouet les capacités opérationnelles. « Depuis plus de quinze ans, pas une seule pièce de rechange pour les chars d’assaut T-55 et T-34 [de fabrication russe, NDLR] n’a été achetée. Nos magasins de maintenance se sont vidés. En 2010, à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance, nos blindés inutilisables ont défilé sur des porte-chars ! » rumine-t-il.

Les ressources humaines laissent également à désirer. Depuis qu’il a été renversé, le général Moussa Traoré répète à ses visiteurs du soir qu’en mars 1991 il y avait un millier d’officiers et de sous-officiers en formation à l’étranger. « À leur retour, ils ont été totalement ignorés par le système Adema [du nom du parti politique] », dénonce un opposant de toujours.

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Dysfonctionnements, indiscipline, combativité sujette à caution, sous-équipement chronique… Le colonel Idrissa Traoré, directeur de l’information et des relations publiques de l’armée (Dirpa), ne dément pas ces lacunes. Mais il est persuadé que cette armée peut « retrouver sa cohésion et gagner la guerre de la réunification du pays ». Comment ? « Qu’on leur donne les moyens et les équipements adéquats, et vous verrez que la combativité et le patriotisme de nos soldats vous surprendront », assurait dans Jeune Afrique le capitaine Sanogo.

Reconquête

Depuis le camp de Kati, cette stratégie de reconquête repose sur trois officiers de valeur : les colonels Alhaji Ag Gamou, Didier Dakouo et Ould Meïdou. Un Touareg, un Kounta (Arabe malien) et un Sudiste, une diversité ethnique de l’armée incarnée par ce trio de choc. Sous le règne d’ATT, ces hommes dirigeaient les trois fronts face à la rébellion touarègue. À Kidal pour le premier, à Gao pour le deuxième et à Tombouctou pour le troisième.

Par un hasard du calendrier, le colonel Ould Meïdou (50 ans) était à Kati lors de la mutinerie qui s’est transformée en coup d’État, en mars dernier. Une opération qu’il n’a ni dénoncée ni soutenue. Après la chute de Tombouctou, il s’est réfugié à Nema, en Mauritanie, pour reconstituer son bataillon. S’il n’a jamais fait allégeance au capitaine Sanogo, il a juré fidélité à la République, reste en contact permanent avec le chef d’état-major, et se dit capable de rassembler 1 000 hommes.

Mission "Objectif Nord"

Le colonel Didier Dakouo (à droite sur la photo) se trouve à Sévaré, dans la région de Mopti, avec 2000 hommes. Les deux autres mousquetaires: Alhaji Ag Gamou est de l’autre côté de la frontière nigérienne et Ould Meïdou se trouve à Nema, en Mauritanie. Ils disposent chacun de 1000 soldats… © Emmanuel Daou Bakary

Le colonel Didier Dakouo (45 ans) n’a jamais quitté le front. Basé à Gao, il a opéré un repli tactique sur la base opérationnelle de Sévaré. À la tête de 2 000 hommes dotés d’une dizaine de blindés, il se prépare pour le grand jour. Le moral de la troupe ? « Excellent, répond l’officier, qui ne doute de rien. Nous n’avons pas besoin des troupes de la Cedeao pour libérer nos territoires. Un soutien aérien serait le bienvenu, mais nous pouvons nous en passer. Mes hommes trépignent d’impatience et attendent les ordres de Bamako. »

Quant à Alhaji Ag Gamou (52 ans), il s’est replié en territoire nigérien avec l’ensemble de son bataillon. Encerclé à Kidal au début de l’offensive rebelle, il s’est servi de son origine touarègue pour ruser en annonçant une fausse reddition. « Quand il a déclaré son ralliement au MNLA, les chefs rebelles lui ont demandé de nous livrer, témoigne l’un de ces soldats aujourd’hui à Bamako. Il a refusé, prétendant que nous étions « ses » prisonniers de guerre. Arrivés au Niger, nous avons été démobilisés, mais il nous a demandé de le rejoindre au premier signal pour reprendre la lutte. Depuis, nous attendons cet appel pour repartir au front. » Bien qu’en exil, Alhaji Ag Gamou est en contact permanent avec le commandement, resté à Bamako. Il affirme pouvoir mobiliser au sein de sa seule communauté, les Imghad, jusqu’à 1 000 hommes « prêts à mourir pour le Mali ».

L’espoir de reconquête repose en partie sur ces 4 000 hommes. Leur détermination et leur combativité nourrissent les certitudes du capitaine Sanogo, qui peut également compter sur différentes milices d’autodéfense. Il s’agit notamment du Ganda Iso (« Les enfants de la terre »), héritière du Ganda Koye (« Les propriétaires de la terre ») qui avait combattu les rebelles touaregs dans les années 1990. « Cette contre-offensive se fera en coordination avec la Cedeao et avec un appui logistique international. Mais à une condition, assène l’homme fort de Kati, que les opérations se fassent sous commandement malien. » Toute la question est de savoir qui assure ce commandement malien.

Trois hommes forts

Lieutenant-colonel Sidi Alassane Touré

L’agent

« Le renseignement ? C’est ma vie », reconnaît ce natif de Niafunké, issu d’une famille originaire de Tombouctou. Directeur général de la sécurité d’État (DGSE) depuis avril, Sidi Alassane Touré, 42 ans, est également un enfant du prytanée de Kati qu’il a intégré en 1983. Avant le putsch, il dirigeait la sécurité militaire et avait tenté, en vain, d’attirer l’attention du pouvoir sur l’éventualité d’un « coup d’État spontané ». Celui qui fut patron de la cellule antiterrorisme dispose d’un excellent réseau international et jouit d’une bonne réputation auprès de ses homologues africains et occidentaux. Il a été formé à l’école américaine du renseignement. Sa mission aujourd’hui : « Anticiper, prévenir, suggérer, mais ne jamais décider. » Son chef : « le président de la République, la DGSE étant sous la tutelle de Koulouba ».

Capitaine Amadou Haya Sanogo

La tête brûlée

Les mutins du 21 mars sont venus le chercher chez lui pour qu’il prenne la tête de la junte. Pourquoi lui ? « Parce qu’il a toujours défendu les sans-grades, et ce jour-là ce sont des sans-grades qui ont marché sur le Palais », explique un adjudant-chef. Ce « syndicalisme forcené » lui avait valu du retard dans l’avancement. Il surfe désormais sur sa popularité dans les casernes pour garder un peu de pouvoir.

Colonel Moussa Sinko Coulibaly

L’éminence grise

Ce Bamakois pur jus habite toujours dans son quartier de Sogoniko. Issu de la même promotion que Sanogo (1984), il a 18 ans quand il est admis aux classes préparatoires de l’école militaire de La Flèche, en France, l’incontournable étape avant Saint-Cyr, qu’il quitte en 1995. Une année plus tard, il revient en France pour une spécialisation dans le génie militaire avant d’enchaîner des missions onusiennes et différents postes de commandement. Éminence grise de l’armée, il est nommé, en août 2010, directeur d’instruction de l’École de maintien de la paix de Bamako. Le 21 mars, il se met au service de son camarade d’enfance, le capitaine Sanogo, qui en fait son directeur de cabinet. Il est ensuite nommé ministre de l’Administration territoriale. Sa mission : organiser les prochaines élections.

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