Le banquier de l’au-delà

Fouad Laroui © DR

Publié le 5 juin 2012 Lecture : 2 minutes.

Ce qui est extraordinaire avec internet, c’est que tout se mélange : les langues, les croyances, les goûts et les couleurs, le scoubidou et Hegel, tout se retrouve mixé dans ce grand magma de mots et d’images qui dégouline de partout, d’ordinateurs enfouis sous les montagnes, de serveurs planqués dans les frigos de l’US Air Force, de câbles triaxiaux ligotant la Terre comme un Gulliver épuisé enfin maîtrisé par les Lilliputiens…

Fatras de bêtises

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J’ai découvert hier un exemple hilarant de ce grand bazar qu’est devenu internet. C’est parti, comme souvent, d’une simple recherche qui s’égare. Quelques clics de souris, et voilà que je débarque sur un site assez sinistre où des prophètes de mauvais augure annoncent la fin du monde pour cette année 2012, en se basant sur je ne sais quel hadith et sur une interprétation assez laxiste du concept de « signe des temps » (‘alamât assa »a, comme on dit dans la langue de Jâhiz). Le site en question est géré par un soi-disant groupe de jeunes Marocains « engagés » qui habitent en Italie. Ce groupe, je le soupçonne réduit à un sombre crétin, son chat et son clavier, mais passons. J’allais – justement – passer mon chemin en haussant les épaules (on nous a déjà fait le coup avec le calendrier maya, Nostramadus, le troisième secret de Fatima, il n’y a que les niais qui croient encore à ce fatras de bêtises…), j’allais donc passer mon chemin, quand mon attention a été attirée par un détail surprenant. Sur cette même page annonçant la fin du monde s’étalaient quelques publicités : eh, me direz-vous, il faut bien gagner un peu d’argent pour pouvoir entretenir un blog ou un webzine ou une page d’information, ou je ne sais comment s’appellent toutes ces calamités. Bref, cette page annonçant zi end of ze weurld était subventionnée par une petite banque locale. Laquelle banquelette proposait à l’internaute échoué sur cette page un placement financier sur quinze ans à 4 % de taux d’intérêt.

Un banquier insubmersible, virtuel, mortel

Ahuri, j’ai fermé puis rouvert les yeux ; et mes yeux écarquillés m’ont de nouveau rapporté ce message dont aucune logique, ni celle d’Aristote, ni celle de Boole, ni même celle de ma grand-mère, ne peut rendre compte : « La fin du monde est pour demain, repentez-vous et, à propos, confiez-moi vos économies, je vous les rends dans quinze ans avec les intérêts cumulés à 4 %. » Mais qui (diable) parle ici ? Belzébuth ? Le Messie ? Un banquier insubmersible, virtuel, immortel ? Le Hollandais volant ? Le Juif errant ? Et n’oublions pas la question fondamentale : tout cela est-il bien halal ? L’intérêt n’est-il pas proscrit en nos contrées ? Et, pour nos amis agnostiques ou carrément athées, 4 %, est-ce vraiment un taux intéressant ? Y a pas mieux sur la page apocalyptique d’à côté ? On nous y promet la fin du monde pour le 25 décembre prochain (c’est les Mayas) mais la Rabobank nous garantit 5,5 % sur dix ans. Que faire? Dans le doute, j’ai envoyé un mail à l’épouvantail qui fait office de webmestre et je lui ai suggéré qu’il me confie toutes ses économies. Si la fin du monde a lieu dans les mois qui viennent, je les lui rends illico avec 1 000 % d’intérêt. Si l’Univers continue son pépère de chemin pendant encore quelques décennies, j’empoche ses picaillons pour me dédommager de ma frayeur. C’est un marché honnête, non ?

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