À quand un cinéma africain ?

Férid Boughedir est un cinéaste tunisien.

Publié le 7 juin 2012 Lecture : 3 minutes.

Enfin des films africains à Cannes ! Une fois n’est pas coutume, le plus grand rassemblement cinématographique mondial, qui s’est tenu du 16 au 27 mai, en avait – ô miracle ! – sélectionné quatre cette année ! D’ordinaire, les films du continent brillent par leur absence. Mais, hélas, les oeuvres choisies renvoyaient à une vision de l’Afrique bien occidentale. Après la bataille, de l’Égyptien Yousry Nasrallah, traite de l’amour impossible entre un des cavaliers envoyés par l’ex-président Moubarak pour bastonner les manifestants de la place Al-Tahrir et une jeune Égyptienne révolutionnaire. La Pirogue, du Sénégalais Moussa Touré, décrit la tragique tentative d’émigration clandestine de trente Africains partis de Dakar sur une pirogue rudimentaire vers les îles espagnoles des Canaries. Les Chevaux de Dieu, du Marocain Nabil Ayouch, retrace le parcours des auteurs des attentats islamistes de 2003 à Casablanca, depuis leur enfance dans un bidonville à leur conversion au djihad. Enfin, Le Repenti, de l’Algérien Merzak Allouache, suit un jeune terroriste, qui, lors de la politique de concorde nationale, décide de quitter le maquis, mais retombe malgré lui dans la violence de la guerre civile.

De bon niveau technique et plutôt réussis (le plus impressionnant étant La Pirogue, un hymne vibrant à la dignité de l’homme africain), ces quatre films répondent tous par leur propos aux attentes, aux interrogations occidentales sur au moins trois sujets actuels : le Printemps arabe, le terrorisme islamiste, l’immigration clandestine. Et véhiculent parfois les stéréotypes occidentaux sur l’Afrique. De là à dire que, consciemment ou inconsciemment, les réalisateurs africains tendent à « formater » leurs films moins en fonction de leur public national qu’en fonction de celui des festivals européens, il n’y a qu’un pas… Mais ont-ils vraiment le choix quand, en l’absence de structure viable en leur pays, ces festivals deviennent leur seul débouché ? Sans l’apport du Nord, ces films, tous de coproduction majoritairement française, n’auraient probablement jamais existé, comme la plupart des rares films africains sélectionnés à Cannes depuis des décennies… Un apport louable qui a permis de faire survivre l’expression cinématographique africaine, mais, en ces temps de crise économique accrue dans le Nord, jusqu’à quand ?

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Il est à ce sujet assez symptomatique que ce soit à Cannes qu’ait repris corps le projet de Fonds panafricain pour le cinéma et l’audiovisuel lancé – déjà depuis la Croisette – en 2010 à la demande des cinéastes africains, avec l’encadrement logistique de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et le parrainage personnel de son secrétaire général, l’ex-président sénégalais Abdou Diouf. Plusieurs ministres et responsables d’organisations cinématographiques africaines avaient fait le voyage pour concrétiser ce projet. Fondé sur le principe de la solidarité entre les pays du continent nantis économiquement et ceux qui le sont moins, et sur des donations aussi bien africaines qu’internationales, le Fonds doit soutenir à la fois la production d’oeuvres de qualité et l’installation de structures nationales pouvant rendre ces productions viables. Le ministre tunisien de la Culture, Mehdi Mabrouk, a annoncé l’accord de son pays pour abriter dans un premier temps le siège du Fonds et a demandé à l’OIF de mettre sur pied la future fondation habilitée à recevoir les donations.

Le vieux rêve de « coopération Sud-Sud », porté depuis les années 1970 par certains cinéastes africains, n’en finit pas de renaître de ses cendres et correspond à une nécessité réelle… Si bien que l’on se prend à espérer qu’un jour une production interafricaine remporte la prestigieuse Palme d’or en étant enfin totalement libérée, dans son économie comme dans ses choix artistiques, de l’omniprésente « attente » des publics du Nord… 

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