Israël : la chasse aux clandestins est ouverte

Diabolisés par les autorités, les demandeurs d’asile subsahariens sont désormais ouvertement rejetés par une partie de la population israélienne. Qui n’hésite même plus à organiser des expéditions punitives.

Le 23 mai, à Tel-Aviv, les habitants du quartier Hatikva s’en sont pris aux réfugiés africains. © Ariel Shalit/AP/Sipa

Le 23 mai, à Tel-Aviv, les habitants du quartier Hatikva s’en sont pris aux réfugiés africains. © Ariel Shalit/AP/Sipa

perez

Publié le 15 juin 2012 Lecture : 6 minutes.

Voilà bien longtemps qu’Israël n’est plus la terre promise pour les réfugiés subsahariens. Ceux originaires de Djouba peuvent en témoigner : au prétexte que leur pays a accédé à l’indépendance, ils sont les premiers à s’être vu assigner un bon de sortie par le ministère de l’Intérieur. Depuis le 1er avril, moyennant une compensation de 1 000 dollars, les quelque 3 000 ressortissants sud-soudanais sans permis de travail sont priés de se livrer aux autorités dans l’attente de leur expulsion. Une mesure que vient d’approuver à son tour le conseiller juridique du gouvernement, Yehuda Weinstein, malgré l’opposition de cinq organisations israéliennes de défense des droits de l’homme, lesquelles ont déposé un recours devant le tribunal de grande instance de Jérusalem.

En attendant, les travaux d’agrandissement du camp de Ketziot s’accélèrent dans le désert du Néguev. Jadis réservée aux détenus palestiniens, cette ancienne prison s’apprête à devenir l’un des plus grands centres de détention au monde en permettant, à partir de 2013, l’accueil de 11 000 réfugiés. Pourtant, ni cette gigantesque structure de 75 ha au coeur d’un no man’s land de sable, ni l’édification d’une barrière de sécurité le long des 240 km de frontière israélo-égyptienne – qui s’achèvera en octobre – ne semblent dissuader les candidats à l’immigration clandestine. Depuis le début de l’année, environ 8 000 ressortissants subsahariens auraient encore afflué vers le territoire israélien en provenance de la péninsule du Sinaï.

Des députés du Likoud les qualifient de "cancer" ou d’"ennemis infiltrés".

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Livrés à eux-mêmes

« Il y a actuellement 60 000 clandestins en Israël, mais si nous ne faisons rien, ils seront bientôt 600 000, a récemment averti le Premier ministre Benyamin Netanyahou. Ce phénomène est extrêmement grave et menace les fondements de la société israélienne, la sécurité et l’identité nationale. » Ces propos alarmistes sont aujourd’hui une constante du discours officiel, à croire que les « infiltrés d’Afrique » – leur appellation par les autorités – seraient plus redoutables qu’une bombe nucléaire iranienne. Sans surprise, cette rengaine est largement reprise par les ténors de la droite nationaliste. « Ils sont un cancer dans notre corps », s’emporte Miri Regev, députée du Likoud. Son compère Danny Danon en est presque à lancer un appel aux armes. « Israël est en guerre. Un État ennemi d’infiltrés a été établi dans notre pays, et sa capitale est le sud de Tel-Aviv », écrit-il sur Facebook.

Dans un récent rapport sur la situation des réfugiés dans le monde, le département d’État américain fustige la rhétorique « négative » employée par les autorités israéliennes à l’égard des demandeurs d’asile subsahariens. « Des représentants officiels les associent régulièrement à la hausse de la délinquance, des maladies et du terrorisme », constate le rapport, qui relève par ailleurs de graves « manquements » dans le traitement de ces populations. Bien qu’une protection temporaire leur soit accordée, « le gouvernement ne fournit pas de prestations sociales aux demandeurs d’asile, telle que l’assurance maladie ». Cette absence de gestion humanitaire est dénoncée de longue date par les ONG israéliennes. En 2011, sur 4 603 demandes d’asile formulées par des immigrants subsahariens, 3 692 ont été rejetées et 1 seule approuvée. Les autres sont à l’étude. Dans les faits, après avoir procédé à l’identification des clandestins quand ils franchissent la frontière, les autorités n’assument plus aucun rôle. Se laissant dépasser par ce flux migratoire, elles se contentent de les déverser par autobus entiers dans les grands centres urbains du pays.

Ce laxisme a des conséquences désastreuses. Dans les villes de seconde zone comme Beer-Sheva, Arad, et même au sud de Tel-Aviv, où s’entasseraient près de 30 000 réfugiés subsahariens, la criminalité est en hausse vertigineuse. Livrés à eux-mêmes, souvent sans ressources, des groupes de migrants se livrent de plus en plus fréquemment à des actes de violence ou à des agressions sexuelles. Au mois de mai, le cas de deux jeunes Israéliennes violées par des ressortissants érythréens et soudanais a provoqué un vif émoi au sein de l’opinion. Les médias s’en sont largement fait l’écho, alimentant de facto la psychose et les tensions intercommunautaires. En l’espace de quelques jours, pas moins de sept cocktails Molotov ont visé des habitations d’Africains et un jardin d’enfants du quartier de Shapira. Au sein des couches populaires, qui vivent au contact des demandeurs d’asile, la colère est aussi teintée de frustration. Les réfugiés sont accusés de voler les emplois peu qualifiés, et surtout de tirer les salaires vers le bas en acceptant des rémunérations très faibles.

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Franche hostilité

À la méfiance et à la peur succède donc une franche hostilité à l’égard des populations africaines. Le 23 mai, à Tel-Aviv, une marche organisée par les habitants du quartier Hatikva a dégénéré en véritable « chasse aux nègres ». Sur l’artère centrale, rue Etzel, des manifestants ont saccagé plusieurs commerces appartenant à des travailleurs étrangers, avant de caillasser méthodiquement chaque véhicule dans lequel circulaient  des ressortissants subsahariens. « Dehors les Noirs ! » ont scandé certains habitants, avant d’être appréhendés par la police.

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Les réactions d’indignation ont fusé de toutes parts dans la classe politique israélienne, doublées d’appels au calme. « Je demande à nos dirigeants de faire preuve de responsabilité et de ne pas inciter à la haine », a déclaré le ministre de la Sécurité intérieure, Yitzhak Aharonovitch. L’organisation pacifiste Shalom Arshav (« La paix maintenant ») a exigé pour sa part l’ouverture d’une enquête contre plusieurs députés du Likoud et de l’extrême droite, accusés d’avoir encouragé ces violences. Quant à la municipalité de Tel-Aviv, inquiète de ces débordements sans précédent, elle vient d’obtenir le déploiement en renfort d’une compagnie de gardes-frontières. 

Drame humain

Pour tenter d’apaiser les esprits et de lutter contre la stigmatisation des clandestins subsahariens, l’ONG israélienne Mesila, un centre d’aide aux travailleurs étrangers, a pris l’initiative de publier des lettres signées par des réfugiés, toutes adressées au « peuple israélien ». Des hommes et des femmes y racontent leurs histoires, souvent tragiques, espérant ainsi sensibiliser l’opinion sur leur sort. « Ces dernières semaines, nous avons entendu des mots durs qui ont effrayé les gens, écrit Gebrehiwot Tekle, représentant des réfugiés érythréens en Israël. Nous sommes assimilés à des criminels ou à des infiltrés, mais il est important de dire que le viol ne fait pas partie de notre culture. » Koneeh Vayabatee, demandeur d’asile de 35 ans, poursuit : « Je connais personnellement le viol. J’en ai fait l’expérience, puisque des femmes dans ma famille en ont été victimes lors des années de massacres au Liberia. Je suis trop timide pour écrire ou parler aux médias, mais ma conscience me dit qu’il est temps que je prenne la parole. »

Si la plupart des immigrés se disent attirés par le rêve – économique – israélien, ils ont d’abord fui la misère et la guerre.

Ces courriers rappellent la détresse des réfugiés subsahariens en Terre sainte. Si la plupart se disent attirés par le rêve – économique – israélien, ils ont d’abord fui la misère et la guerre. Beaucoup sont arrivés ici au péril de leur vie, échappant, pour les plus chanceux, à la vigilance des militaires égyptiens, qui n’hésitent pas à les abattre. Entre-temps, ces « desperados » ont aussi connu l’enfer des filières de contrebande bédouines, devenues les maîtres du Sinaï depuis la chute de Hosni Moubarak. Fin 2011, un collectif de treize ONG internationales relayait des témoignages accablants au sujet de camps de torture dans la péninsule égyptienne : prises d’otages, viols et trafic d’organes seraient les nouveaux attributs de cette « traite des Noirs ». Bien que confronté à un enjeu démographique majeur, Israël pourra difficilement s’affranchir de toute considération morale. Et du drame qui se joue désormais sur son sol.

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