Algérie : Belkhadem à quitte ou double
Sous le coup d’un retrait de confiance déposé par des cadres du parti, le secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem, jouera son va-tout le 15 juin devant le comité central. Itinéraire d’un homme politique algérien à qui le destin a souvent souri.
Djelfa, 4 septembre 2003. Abdelaziz Belkhadem ne le sait pas encore, mais son avenir politique se joue dans cette ville des hauts plateaux algériens. Alors ministre des Affaires étrangères, il quitte Alger pour assister à la réunion constitutive du « mouvement de redressement » du Front de libération nationale (FLN). Sa participation s’est décidée à la dernière minute. Une instruction venue « d’en haut ». Belkhadem devient le 22e membre du groupe des « redresseurs ». Ces cadres du FLN, dont une grande majorité de ministres en fonction, ont deux objectifs : évincer le secrétaire général, Ali Benflis, et récupérer « l’appareil du parti » pour le mettre à la disposition de son rival, le président Abdelaziz Bouteflika, en vue de sa réélection pour un second mandat.
Au terme de la réunion de Djelfa, Belkhadem est désigné coordinateur du mouvement. Là encore, la décision a été prise en haut lieu. Une décision mal accueillie par la majorité de ses pairs. Qui se souviennent du discours qu’il a prononcé quelques mois plus tôt pour féliciter Ali Benflis à l’occasion des travaux du 8e congrès ordinaire du FLN. Ils le revoient encore applaudir longuement leur adversaire lors de la cérémonie d’intronisation. Les redresseurs n’oublient pas non plus l’insolente neutralité affichée par Belkhadem au plus fort de la confrontation avec les membres de la nouvelle direction. Pas une seule déclaration contre Benflis, ni même en faveur de Bouteflika. Amar Tou, Saïd Barkat, Saïd Bouhadja, Taïeb Louh, Rachid Haraouibia et Amara Saïdani – tous prétendants au poste de coordinateur – ont, discrètement, fait part de leur étonnement à Abdelkader Hadjar, chargé du suivi des actions du « mouvement de redressement ». Mais le grand gourou du FLN, artisan du « coup d’État scientifique » contre Abdelhamid Mehri, répondra qu’il n’y pouvait rien. Belkhadem est sorti premier d’un casting dirigé par Abdelaziz Bouteflika en personne.
Le parcours de l’actuel secrétaire général du FLN est une succession de coïncidences, de concours de circonstances et de hasards.
Le parcours de l’actuel secrétaire général du FLN est une succession de coïncidences, de concours de circonstances et de hasards. Une vie politique marquée par le mektoub, le « destin ». Né en novembre 1945 à Aflou, petit village niché au coeur du djebel Amour, dans la wilaya de Laghouat, Abdelaziz Belkhadem a étudié à l’école franco-musulmane de Tlemcen. Bon élève, il montre un intérêt particulier pour la langue arabe. Selon sa biographie officielle, il est titulaire d’un diplôme de lettres et d’un diplôme en sciences financières. Au lendemain de l’indépendance, il débute son parcours professionnel en tant qu’inspecteur des finances. Il s’oriente ensuite vers l’enseignement et devient instituteur en langue arabe.
La famille Belkhadem partage sa vie entre Aflou et Sougueur, gros bourg agricole situé au sud de Tiaret. C’est dans cette région que le destin du jeune Abdelaziz va basculer. En 1972, à l’occasion d’une visite de Houari Boumédiène, il est chargé de lire un texte au raïs. Ce dernier, surpris par sa parfaite maîtrise de la langue arabe, le nomme sur-le-champ à la direction des relations internationales de la présidence de la République. Grâce à son bagout, le petit instit de campagne se retrouve propulsé au palais d’El-Mouradia. Première étape d’une ascension fulgurante.
Bio express
8 novembre 1945 Naissance à Aflou (wilaya de Laghouat)
1964 Inspecteur des finances
1972 Entre à la présidence, à la direction des relations internationales
1977 Élu député
1984 Fait voter le code de la famille
1990 Président de l’Assemblée nationale
2000-2005 Ministre des Affaires étrangères
2005 Secrétaire général du FLN
2006-2008 Premier ministre
2008 Ministre d’État
2010 Reconduit à la tête du FLN
"Barbéfélène"
Abdelaziz Belkhadem découvre Alger et ses personnalités politiques, dont l’hyperactif ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika. Il découvre aussi le FLN et le pouvoir. Au lendemain de la promulgation de la Constitution de 1976, il est investi par le FLN – alors parti unique – aux élections législatives. En mars 1977, il est élu député de Sougueur, sa ville d’adoption. Débute alors une longue carrière de parlementaire. Discret et efficace : c’est ainsi que le qualifient ceux qui ont eu à le côtoyer au sein de l’hémicycle de l’Assemblée populaire nationale (APN).
Lors de son second mandat, il contribue activement à faire passer le très controversé code de la famille, texte qui réduit les droits fondamentaux des femmes. Belkhadem apparaît sous son vrai visage lors de la phase d’étude puis de l’adoption de cette loi : un conservateur acquis aux thèses islamistes. Il devient l’archétype du responsable « barbéfélène », un terme inventé par les militants de gauche du FLN. Ses positions se radicalisent dès son troisième mandat de parlementaire. Vice-président de l’APN, il prend la tête de l’institution parlementaire en 1990 après la démission de Rabah Bitat. À 45 ans, il est déjà au sommet de l’État ; l’article 84 de la Constitution de 1989 stipule que le président de l’APN assume la charge de chef de l’État en cas de démission du président de la République.
L’homme connaît parfaitement la situation politique que traverse alors le pays avec la montée en puissance du Front islamique du salut (FIS). Il sait que le président Chadli Bendjedid ne tiendra pas longtemps face aux pressions conjuguées des islamistes et des militaires. Belkhadem choisit son camp. Il se rapproche ouvertement des islamistes et multiplie les contacts. Lors de la grève insurrectionnelle du FIS, il reçoit à l’Assemblée une délégation conduite par Abassi Madani, alors l’un des chefs du mouvement islamiste.
À la veille des élections législatives de 1991, il rencontre l’ambassadeur d’Iran à Alger. Le président de l’APN rassure le représentant des mollahs quant à l’issue favorable du scrutin. Pour lui, « les Algériens ont choisi la solution islamiste ». Mais l’affaire tourne au scandale. Le Matin, quotidien indépendant, reçoit une copie de l’enregistrement entre le parlementaire et le diplomate iranien. Les propos sont reproduits in extenso. Dès lors, l’étiquette « islamiste » colle plus que jamais à la peau de Belkhadem. Qui n’atteindra jamais son objectif de succéder à Chadli Bendjedid, lequel démissionne après la fin de la troisième législature de l’Assemblée. L’arrêt du processus électoral en janvier 1992 met un terme définitif à sa carrière de parlementaire.
S’il parvient à se maintenir, il sera presque assuré d’être investi pour la présidentielle de 2014.
L’affaire Macias
L’Algérie sombre dans la violence terroriste. Abdelaziz Belkhadem se fait plus discret. Mais il continue à agir au sein du FLN en qualité de membre du bureau politique. Il soutient Abdelhamid Mehri, alors secrétaire général du parti, dans son engagement en faveur du projet de « sortie de crise » parrainé par la Communauté de Sant’Egidio. Mais l’initiative visant à réhabiliter le FIS, dissous sur décision de justice, tourne court. Belkhadem essuie un nouvel échec. Il quitte brutalement le FLN après l’arrivée, en 1996, d’un nouveau secrétaire général, Boualem Benhamouda. Sa traversée du désert sera cependant relativement courte. Tout juste quatre ans. Il revient sur le devant de la scène médiatique… grâce à Enrico Macias. En 1999, Abdelaziz Bouteflika, fraîchement élu à la magistrature suprême, décide d’inviter le chanteur constantinois à visiter l’Algérie. Étrangement, Belkhadem monte au créneau pour dénoncer l’initiative présidentielle.
La venue de Macias est finalement annulée pour des « raisons techniques ». Quelques mois plus tard, Belkhadem entre au gouvernement en qualité de ministre des Affaires étrangères avec rang de ministre d’État. Fort de ce statut, il n’a de comptes à rendre qu’au chef de l’État. Sa nomination est plutôt mal vue par l’institution militaire. Mais Bouteflika résiste et en fait son homme de confiance. Son profil d’islamiste conservateur cadre parfaitement avec le projet de Réconciliation nationale que le président de la République veut imposer dès l’entame de son second mandat. De même est-il utile à Bouteflika pour contrer l’imprévisible Ahmed Ouyahia, son « allié » du Rassemblement national démocratique (RND).
Dernière épreuve
Secrétaire général du FLN, chef du gouvernement, ministre d’État, représentant personnel du président… Belkhadem a été récompensé en conséquence. Sa carrière politique a été relancée grâce à Bouteflika. À qui il doit tout. Mais cela ne l’empêche pas de caresser l’espoir de lui succéder en 2014. Donné grand perdant aux législatives du 10 mai 2012, il se retrouve à la tête d’un FLN ultra-majoritaire à l’Assemblée. Mais Belkhadem a de nouveau rendez-vous avec son destin. Sous le coup d’un retrait de confiance engagé par des cadres du parti, son avenir politique se jouera le 15 juin devant les membres du comité central. S’il parvient à se maintenir, il sera quasiment assuré de devenir le prochain candidat du FLN à la présidentielle de 2014. Et misera sur un nouveau coup de pouce du mektoub.
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