Présidentielle égyptienne : élection à plusieurs inconnues
Qui du candidat de l’ancien régime ou de celui des Frères musulmans sera le prochain président de la République ? Les citoyens égyptiens trancheront les 16 et 17 juin. Non sans avoir l’impression de devoir choisir entre un mal et un moindre mal.
Les Égyptiens vont donc devoir choisir entre ce que certains présentent comme la peste et le choléra. Avec 24,78 % des voix, le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, est arrivé en tête du premier tour de la présidentielle des 23 et 24 mai. Il est talonné par l’ancien Premier ministre de Moubarak, Ahmed Chafiq, qui a obtenu 23,66 % des suffrages exprimés.
À peine les deux finalistes ont-ils eu le temps de savourer cette première victoire qu’ils ont dû repartir en campagne pour le second tour de la présidentielle, prévu les 16 et 17 juin, forts de leurs impressionnantes machines électorales. « L’ancien régime a su reconstruire ses réseaux, et les deux candidats profitent du système d’allégeance clanique », analyse Ashraf el-Cherif, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire. Ce qui explique la prédominance de Morsi dans les régions défavorisées de la Haute-Égypte, connues pour ses tensions confessionnelles, et celle d’Ahmed Chafiq dans la région du Delta, dans les alentours du Caire.
Plusieurs partis libéraux et de gauche se sont également abstenus de donner une consigne de vote.
Difficile de dire lequel des deux hommes est le mieux placé pour l’emporter tant la course semble serrée. « Si les élections sont transparentes, les deux candidats sont à chances égales », estime Ashraf el-Cherif. Mais pour le blogueur The Big Pharaoh, Chafiq est favori : « Il va récupérer les voix d’Amr Moussa. Et les électeurs qui ont voté pour Hamdine Sabahi pour contrer les islamistes, ainsi que ceux qui ont été déçus par l’action des Frères musulmans au Parlement vont également voter pour lui. »
Concessions
Amr Moussa et le nassérien Hamdine Sabahi ont cependant fait savoir qu’ils ne voteraient pour aucun des deux finalistes. Plusieurs partis libéraux et de gauche se sont également abstenus de donner une consigne de vote. Quant à Abdel Moneim Aboul Foutouh, l’islamiste « libéral », s’il n’a pas clairement appelé à voter pour Morsi, il a enjoint ses électeurs de ne pas choisir un cacique de l’ancien régime. Le candidat des Frères musulmans peut également compter sur le soutien de certains prorévolutionnaires dont le pire cauchemar serait de voir un responsable de l’ère Moubarak revenir au pouvoir.
Sondages biaisés
La surprise du premier tour de la présidentielle est venue des instituts de sondage et des médias égyptiens, dont les pronostics ont été largement déjoués. Ni Amr Moussa ni Abdel Moneim Aboul Foutouh, présentés comme les favoris du scrutin, ne sont présents au second tour, alors que le poids du candidat des Frères musulmans Mohamed Morsi et du nassérien Hamdine Sabahi avait été le plus souvent minimisé. « Les sondages ne sont pas scientifiques, les échantillons interrogés, trop faibles et loin d’être représentatifs de la population, que ce soit au niveau social ou du point de vue de la répartition géographique », explique le professeur de sciences politiques Ashraf el-Cherif, qui, comme beaucoup, estime que « ce biais » est dû à la volonté des médias d’influencer l’opinion publique pour qu’elle vote en faveur de candidats réputés « modérés ».T.G.G.
Mais, pour gagner, les Frères devront accepter de faire certaines concessions. Lors d’une conférence de presse organisée le 29 mai, Morsi a ainsi promis de démissionner de son poste de secrétaire général du Parti de la liberté et de la justice (PLJ) en cas de victoire. Il a également assuré que son vice-président serait choisi hors des rangs de la confrérie, indiquant que ce dernier pourrait même être chrétien, et qu’il avait prévu de nommer des chrétiens à des postes clés de la présidence. Mais la parole des Frères musulmans a perdu de son crédit. « Depuis le référendum de mars et jusqu’à la présidentielle, les Frères perdent des voix. Et c’est en partie dû à de nombreuses promesses – ne contrôler ni l’Assemblée nationale ni la Constituante, ne pas présenter de candidat à la présidentielle – qui n’ont pas été tenues », analyse Bassel Adel, député libéral rattaché au parti des Égyptiens libres.
Entre-temps, les appels au boycott du scrutin se multiplient, et nombreux sont les électeurs qui envisagent de bouder les urnes. Car pour certains, les deux candidats ne diffèrent pas tant que cela l’un de l’autre. « Ils représentent deux faces d’une même médaille. Que ce soit une dictature militaire ou une dictature religieuse, c’est la même chose. Ils sont là uniquement pour représenter les intérêts d’un groupe particulier. Chafiq est là pour les militaires, Morsi pour les Frères musulmans », déplore le blogueur The Big Pharaoh.
Troisième voie
Un des enjeux de ce second tour est donc le taux de participation. « Après un premier tour à 46 % de participation, je pense que l’on va chuter à 30 %, 35 % », met en garde Samer Souleimane, professeur d’économie politique à l’Université américaine du Caire, qui précise que certains citoyens ne veulent pas choisir entre Chafiq et Morsi, un mal et un moindre mal : « Le prochain président sera élu avec un nombre limité de voix, et cela va fortement entamer sa légitimité. »
Une lueur d’espoir subsiste cependant dans les cercles révolutionnaires. Elle est incarnée par Hamdine Sabahi. Troisième homme de l’élection avec 20 % des voix, ce militant de longue date pourrait devenir le chef de file de l’opposition. Le 28 mai, lors d’une interview à la chaîne de télévision privée ONTV, Sabahi a assuré aux Égyptiens qu’il existait une troisième voie entre « le cauchemar islamiste et le cauchemar de l’ancien régime ». Le 31 mai, son équipe de campagne a d’ailleurs annoncé la création du Courant du rêve égyptien, qui a pour ambition d’unifier laïcs et révolutionnaires afin de concrétiser les objectifs de la révolution.
De nombreux Égyptiens croient en cette troisième voie. À eux deux, Sabahi et Aboul Foutouh ont récolté pas moins de 38 % des suffrages. « On a un troisième pôle en construction : c’est un fait nouveau dans la vie politique égyptienne, dominée depuis toujours par une opposition binaire entre le parti unique et les Frères. Ce pôle n’a pas de cohérence idéologique, mais il est lié par son rejet de l’ancien régime, des Frères musulmans, et son attachement à la liberté et à la justice sociale », explique Issandr el-Amrani, journaliste et auteur du blog The Arabist.
Pour Bassel Adel, « il est essentiel que ce troisième pôle définisse son rôle. Les différents courants qui croient en la démocratie, en un État moderne et civil doivent constituer une opposition unie et forte », martèle le député. Car les libéraux ont brillé par leurs divisions ; au vu des résultats enregistrés par les cinq candidats qui s’en réclament, les forces révolutionnaires auraient pu se qualifier pour le second tour si elles s’étaient unies autour d’un seul nom. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir été prévenus : sur une des élégantes façades haussmanniennes du centre-ville du Caire, un tag adresse un message sans ambiguïté : « Unissez-vous ou mourez. »
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