Madagascar : opposition cherche leader désespérément

La politique a horreur du vide. Comme les anciens présidents sont aux abonnés absents, de nouvelles figures de la contestation malgache apparaissent, dont la turbulente journaliste Lalatiana Rakotondrazafy.

Manifestation contre le pouvoir en place dans les rues d’Antananarivo, le 26 mai. © AFP

Manifestation contre le pouvoir en place dans les rues d’Antananarivo, le 26 mai. © AFP

Publié le 13 juin 2012 Lecture : 5 minutes.

Elle a un visage d’ange, mais, pour les partisans du pouvoir à Madagascar, elle a surtout les traits d’un Judas en décolleté. Quand elle a un micro en main, dans l’intimité d’un studio de radio ou sur une estrade face à des milliers de manifestants, c’est du feu qu’elle crache – du venin, disent ses détracteurs. Lalatiana Rakotondrazafy, une journaliste de 32 ans, « semble n’avoir aucune limite », dit un diplomate en poste à Antananarivo qui l’a côtoyée. Elle se verrait bien, dit-on, maire de la capitale, comme Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana. En quelques semaines, elle est devenue la nouvelle figure de la contestation. Une notoriété subite et peut-être éphémère, mais qui en dit long tant sur l’état de l’opposition, qui apparaît comme anesthésiée, que sur le désenchantement d’une population éreintée par une crise interminable.

Certes, comme le fait remarquer l’analyste politique Denis-Alexandre Lahiniriko, « elle n’incarne pas l’alternative politique ». Il y a trois ans, Rakotondrazafy était la pasionaria d’Andry Rajoelina. Sa première supportrice. Son chien de garde. Sur les ondes de Radio Viva (appartenant à Rajoelina), c’est elle qui appelait à descendre dans la rue pour faire tomber Ravalomanana. L’émission qu’elle animait avec, entre autres, Harry Laurent Rahajason, Anao ny fitenenana (« À vous la parole »), était la plus écoutée du pays. « Cette émission a joué un rôle essentiel lors du soulèvement de 2009 », se souvient un confrère.

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Jeunes et beaux. En décembre 2010, Rajoelina et son épouse, Mialy, posaient encore aux côtés de Rakotondrazafy pour fêter les deux ans de l’émission. Ils étaient beaux, ils étaient jeunes et ils représentaient l’avenir du pays. Elle faisait encore office de conseillère du président. Mais, depuis, une brouille est survenue. La journaliste a continué à dénoncer la corruption, qui n’a pas disparu, loin s’en faut, avec la chute de Ravalomanana. Le président, qui est resté le patron de Viva, lui a demandé de calmer le jeu. Elle a refusé, il l’a virée. C’était en avril 2011. Alors, elle a pris le maquis dans une autre radio, Free FM, qu’elle a montée « avec le soutien de certains politiciens », accuse Harry Laurent Rahajason, devenu ministre de la Communication.

Sur Free FM, Rakotondrazafy a ressuscité Anao ny fitenenana. Chaque jour, elle dénonce les abus (réels ou fictifs) du pouvoir, relaie les rumeurs et permet aux auditeurs de déverser leur colère contre le régime. « C’est très violent, convient un journaliste de la presse écrite. Cela choque un peu les Malgaches. Mais elle surfe sur un mécontentement général. » Car la grogne touche toutes les couches de la société, et pas seulement à Tana. On ne compte plus les menaces de grève dans l’enseignement, la justice ou la santé.

Ils ont aidé Rajoelina… avant de le lâcher !

Lalatiana Rakotondrazafy n’est pas la seule, parmi ceux qui ont joué un rôle dans la prise du pouvoir par Rajoelina, à avoir tourné casaque. Il y eut d’abord Monja Roindefo. Nommé Premier ministre avant même la fuite de Ravalomanana, il avait assuré le leadership de la rue lorsque Rajoelina devait se cacher. Depuis qu’il a été évincé en octobre 2009, il s’est inscrit dans une opposition frontale. Le colonel Charles Andrianasoavina est allé plus loin. En novembre 2010, il a tenté de renverser le régime. Un an et demi plus tôt, il avait pourtant été de ceux qui avaient pris les armes pour imposer Rajoelina. Condamné à la prison à perpétuité, il est hospitalisé en France. Enfin, le vice-amiral Hippolyte Ramaroson, un des officiers à qui Ravalomanana avait remis le pouvoir en mars 2009 avant qu’ils ne le transmettent à Rajoelina, n’a toujours pas digéré son éviction du gouvernement en 2011. L’ex-ministre des Affaires étrangères est soupçonné de soutenir une certaine… Lalatiana Rakotondrazafy. R.C.

La journaliste a également profité du vide laissé par les trois anciens présidents qui menaient l’opposition jusque-là. Albert Zafy, très virulent l’année dernière, a pris du recul depuis sa brouille avec son bras droit, Emmanuel Rakotovahiny. Didier Ratsiraka est hors jeu depuis son retour manqué en novembre dernier. L’amiral pensait être la solution à la crise, mais il s’est rendu compte, durant les trois semaines qu’il a passées dans un hôtel de la capitale, qu’il était parti depuis trop longtemps. Depuis qu’il est rentré en France, ses partisans sont muets. Quant à Marc Ravalomanana, dont la présence en Afrique du Sud indispose de plus en plus Pretoria, il s’est curieusement fait discret ces derniers mois.

En fuite. « La politique est comme la nature : elle a horreur du vide, confie un collaborateur de Rajoelina. Ces derniers temps, il y avait une place à prendre. » Comme en 2008, lorsque Ravalomanana avait fait de Rajoelina (34 ans à l’époque) un martyr en ordonnant la fermeture de sa chaîne de télévision, c’est malgré elle que Lalatiana Rakotondrazafy a endossé ce rôle. Le déclic : son arrestation, début mai, à la suite d’une plainte pour diffamation déposée par un proche du président. Depuis, elle ne cache pas son objectif : faire tomber la Haute Autorité de la transition.

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Pour cela, elle recycle les ficelles de 2009. On la dit en fuite car recherchée ? Elle anime ses émissions depuis un lieu tenu secret alors même que les autorités, qui savent où elle se cache, n’ont aucune intention de l’arrêter. On lui refuse l’extension de la fréquence de sa radio ? Elle crie à la censure et menace de faire descendre les Malgaches dans la rue, « comme en 2009 »…

Le 19 mai, le succès de son appel à manifester sur la place de la Démocratie a surpris le pouvoir autant que les partis d’opposition, qui s’en méfient. Il n’y avait pas plus de 15 000 manifestants ce jour-là dans les rues de la capitale, mais « on n’avait pas vu ça depuis la chute de Ravalomanana », admet un diplomate. Depuis, la mobilisation est moindre, mais l’avertissement a été jugé sérieux par les autorités : l’intervention musclée des forces de sécurité, le 19 mai, a trahi leur inquiétude. Les jours suivants, l’état-major et Rajoelina lui-même ont estimé nécessaire d’intervenir publiquement. Les officiers, pour mettre fin aux rumeurs (exagérées) de dissensions au sein de l’armée. Le président, pour lancer un avertissement à peine voilé à son ancienne groupie, en encourageant les forces de l’ordre à se montrer « sans pitié pour les personnes qui tentent de semer le trouble ».

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