Législatives en Tunisie : les drôles de calculs de l’Isie
À la veille du second tour des législatives de ce dimanche, le rôle et les méthodes de l’instance chargée de la surveillance et de la supervision du scrutin font polémique. On l’accuse en particulier de fausser le taux de participation.
Le deuxième tour des législatives tunisiennes se tient ce 29 janvier et le taux de participation sera scruté de près par tous les observateurs. Au premier tour, le 17 décembre 2022, on avait d’abord annoncé une participation de 8,2 %. Un chiffre officiellement porté, après un décompte minutieux, à 11,2 %. Des résultats très en-deçà de ce qui était escompté au regard des 72,2 % de suffrages qui ont permis à Kaïs Saïed de remporter la présidentielle de 2019. Trois ans plus tard, la donne a visiblement changé et l’enthousiasme des Tunisiens à l’égard du modèle politique que le président veut imposer paraît émoussé.
Ce dimanche électoral va aussi, une nouvelle fois, braquer les projecteurs sur l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie). Une autorité de plus en plus controversée à laquelle beaucoup reprochent d’avoir largement outrepassé ses prérogatives. Au cours du processus électoral, déjà inhabituel, l’Isie a tout géré, préparant, édictant et faisant appliquer des règles élaborées sans consultation. Et donnant parfois des résultats sidérants, comme dans le cas du comptage des voix et des suffrages exprimés.
Farouk Bouasker, le président de l’instance électorale désigné par le président Saïed, a ainsi annoncé que le taux de participation du second tour serait établi en fonction du nombre d’électeurs inscrits « volontairement ». Une formule qui fait référence aux citoyens ayant, pour s’inscrire sur les listes, effectué une démarche spécifique auprès des guichets de l’Isie. Eux seront pris en compte dans le calcul mais, a priori, pas les autres électeurs, ceux qui se trouvent automatiquement inscrits sur les listes électorales lorsqu’ils atteignent l’âge légal.
Quelle participation ?
« Cette proposition est indigne pour un parlement qui représente tous les Tunisiens », tempête Aïda, une ancienne collaboratrice de Marsad, un observatoire de l’Assemblée. Concrètement, l’idée ne semble avoir pour unique finalité que de gonfler un taux de participation qui risque de ne pas être beaucoup plus élevé qu’au premier tour. Sachant qu’il était impossible aux électeurs de s’inscrire sur les listes entre les deux tours et que le président Saïed a, de son côté, déclaré que « le taux de participation ne se mesure pas au premier tour, mais aux deux tours ».
La campagne de l’entre deux tours s’est en tout cas déroulée dans une totale indifférence. Avec l’adoption d’un système de listes uninominales dans lequel les candidats ne peuvent pas se réclamer ouvertement d’un parti politique, les électeurs sont le plus souvent appelés à voter pour des inconnus.
Quant aux observateurs du processus (côté international, seule une délégation de l’Union africaine a finalement été agréée pour observer le déroulement du scrutin), ils dénoncent ouvertement les libertés que prend l’Isie. « On cherche à augmenter le taux de participation par tous les moyens. En se basant sur les électeurs inscrits volontairement, le taux du premier tour aurait été de 17 % », explicite le secrétaire général de l’association Atide, Moez Rahmouni, qui dit n’avoir « jamais vu une chose pareille ». Du côté de l’opposition, on n’hésite plus à dénoncer une Isie jugée « aux ordres » du pouvoir.
Débat impossible
L’organisation du débat entre candidats qui devait clore la campagne alimente aussi la polémique. Ahmed Driss, directeur de l’École politique de Tunis, dénonce à ce propos une atteinte au principe d’égalité. C’est encore une fois l’instance qui avait décidé de l’organiser – sans consulter l’Instance de contrôle de l’audiovisuel, la Haica –, mais, comme un débat entre 262 candidats représentants 131 circonscriptions est physiquement impossible, l’Isie a proposé d’effectuer un tirage au sort pour déterminer qui serait présent sur le plateau d’Al Wataniya, la chaîne de télévision nationale.
« On a plus parlé de l’Isie et des précédents qu’elle crée que des candidats et de leur programme, s’ils en avaient un », réagit un ancien député. Ahmed Driss va plus loin : il estime que la mise à disposition d’un temps d’antenne sur une télévision nationale revient à un financement indirect de la campagne des candidats qui peut être assimilé à un financement public, lequel est expressément interdit par la loi électorale. Il ajoute que l’idée même d’un débat général semble difficile à envisager, les programmes des candidats ne concernant que la circonscription dans laquelle ils se présentent et n’ayant aucune portée nationale. « On dirait des municipales plutôt que des législatives », déplore Ahmed Driss.
« À un moment, conclut avec fatalisme un observateur, il va bien falloir qu’ils rendent des comptes, surtout que l’Isie est censée être indépendante. » Dans l’immédiat, la principale pression qui pèse sur les épaules des membres de l’instance semble être d’afficher un taux de participation acceptable au lendemain du second tour et de faire mieux que les 1 025 418 votants enregistrés au premier tour sur un corps électoral comptant plus de 9 millions d’inscrits. La composition du futur parlement paraît, en comparaison, presque accessoire. Les résultats préliminaires devraient être proclamés au plus tard le 1er février et les résultats définitifs, au plus tard le 4 mars, après épuisement des recours.
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