TSSL : Charles Taylor, un criminel de guerre puni pour la vie

Condamné à cinquante ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Sierra Leone entre 1996 et 2002, l’ancien président libérien, 64 ans, devrait passer le restant de ses jours derrière les barreaux.

Charles Taylor écoute l’énoncé de sa peine, le 30 mai à La Haye. © SIPA

Charles Taylor écoute l’énoncé de sa peine, le 30 mai à La Haye. © SIPA

ANNE-KAPPES-GRANGE_2024

Publié le 6 juin 2012 Lecture : 5 minutes.

C’est fini. Lorsque le juge Richard Lussick lui demande de se lever pour écouter l’énoncé de sa peine, Charles Taylor sait déjà que la sentence sera lourde. Le 3 mai, l’accusation a recommandé de l’envoyer pour quatre-vingts années derrière les barreaux. Ses avocats se sont bruyamment indignés, mais l’ancien président libérien a deviné qu’il n’y a pas grand-chose à espérer. Voilà bien longtemps que le vent a tourné.

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Trois semaines plus tard, à La Haye, il se tient bien droit dans le box des accusés. L’audience est publique, et Taylor costume sombre, fines lunettes rondes et cravate jaune – est décidé à ne rien montrer. Tout juste se laisse-t-il aller à brièvement fermer les yeux tandis que le juge Lussick l’informe de la décision du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) : cinquante ans de prison pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis dans ce pays entre 1996 et 2002. Taylor est autorisé à se rasseoir. Nous sommes le 30 mai, et l’accusé vient, bien malgré lui, d’entrer dans l’Histoire en devenant le premier chef d’État condamné par la justice internationale à une peine de prison qui, compte tenu de son âge (64 ans), s’apparente à la réclusion à perpétuité.

En échange de diamants, continue le président du tribunal, Taylor a fourni des armes, des vivres, des médicaments, du carburant et du matériel aux rebelles sierra-léonais du Front révolutionnaire uni (le RUF de son ami Foday Sankoh, rencontré dans les camps d’entraînement libyens à la fin des années 1980). Il a alimenté et prolongé une guerre qui a fait plus de 150 000 morts. Les victimes, rappelle encore Richard Lussick, ont été tuées, mutilées, terrorisées, brûlées vives, humiliées, et ces crimes sont « parmi les plus haineux de l’Histoire ».

Le souvenir de naomi

Trois quarts d’heure durant, le magistrat samoan insiste. Cette condamnation, dit-il, marque « une nouvelle ère de responsabilité ». Nouvelle ère, oui. Car Charles Taylor n’a pas directement commis les crimes décrits devant la Cour. Il a certes « trahi » la confiance de la communauté internationale, qui comptait sur lui pour peser dans les négociations de paix, mais il n’a pas violé. Il n’a pas forcé de jeunes enfants à tuer leurs parents en leur mettant un kalachnikov entre les mains. Il n’a pas demandé à ses victimes si elles préféraient des « manches courtes » ou des « manches longues » avant de leur trancher poignets et avant-bras. Il n’a pas plongé son couteau dans le ventre d’une femme enceinte pour voir s’il avait gagné son pari et deviné le sexe du bébé à naître… Pour tout dire, Taylor n’a même pas mis les pieds en Sierra Leone entre 1996 et 2002. Non, mais cela ne l’a pas sauvé et, à Paris, Robert Badinter, avocat et ancien Garde des sceaux, s’en est réjoui : « Cela prouve que, dorénavant, les chefs d’État qui ne sont pas eux-mêmes directement les auteurs des crimes n’en sont pas moins les premiers responsables et [qu’ils] doivent être condamnés. C’est là tout l’intérêt de cette décision : on sait maintenant que le chef de l’État n’échappe pas au sort qui est le sien. »

On est loin du personnage au charisme de rock star jadis décrit par l’écrivain Russel Banks.

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Les avocats de Taylor ont annoncé qu’ils allaient faire appel, et leur client devrait encore passer plusieurs semaines dans la prison de Scheveningen. Une fois tous les recours épuisés, il ira purger sa peine au Royaume-Uni, le seul pays qui ait accepté de l’incarcérer. Là-bas, il aura tout le loisir de se souvenir des 115 témoins qui, pendant cinq ans, ont défilé à la barre. De ce jour d’août 2010 où les juges ont fait venir la top-modèle américaine Naomi Campbell pour qu’elle s’explique sur les diamants – « de toutes petites pierres à l’aspect sale » – que Taylor lui avait offerts à l’issue d’un dîner mondain chez Nelson Mandela. Mais aussi de ces trois années où il a cru pouvoir échapper à la justice.

"Superglue"

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C’était entre 2003 et 2006. Toujours président, mais affaibli par d’incessantes rébellions, lâché par les États-Unis, mis en cause par le TSSL créé par les Nations unies et la Sierra Leone, Charles Taylor avait, en échange d’une promesse d’immunité, accepté de quitter le pouvoir et de s’exiler au Nigeria (non sans assurer qu’il reviendrait, « s’il plaît à Dieu »). Dans le confort de sa villa de Calabar, il s’était cru à l’abri.

Finalement arrêté, transféré à Freetown puis bien vite envoyé à La Haye de peur que sa présence ne menace une paix encore fragile, il n’était déjà plus le redoutable chef de guerre qu’il avait été. Il n’était plus cet homme au « charisme et [à] la présence de rock star », dont « émanait un magnétisme sexuel qui le faisait rayonner », que l’écrivain américain Russell Banks avait eu plaisir à décrire dans American Darling. Lui, le métis de père américain et de mère américano-libérienne, issu de la bonne bourgeoisie locale, formé aux États-Unis et un temps surnommé Superglue tant les billets qui lui passaient entre les mains avaient tendance à y rester, allait devoir rendre des comptes. Elle était loin, aussi, l’époque où il avait été élu président avec plus de 75 % des suffrages et ce slogan de campagne : « Il a tué ma mère, il a tué mon père, et je vote pour lui ». C’était en 1997 : cette année-là, Charles Taylor était parvenu à convaincre les électeurs que c’était lui ou le chaos. Ce sera lui et le chaos.

Mais le Liberia n’est pas la Sierra Leone, et Monrovia a préféré tourner la page et sacrifier la justice sur l’autel de la paix retrouvée. Des années plus tard, dans les couloirs de Scheveningen, Taylor a retrouvé l’Ivoirien Laurent Gbagbo et le Congolais Jean-Pierre Bemba. Eux ont été envoyés devant la Cour pénale internationale (CPI), mais sont également mis en cause dans des crimes commis sous leur autorité. On imagine qu’ils ont suivi avec attention les conclusions du TSSL. Tout comme il se murmure, dans la presse anglo-saxonne, que le Zimbabwéen Robert Mugabe a manifesté un intérêt particulier pour le procès de son ancien homologue et qu’il n’y a maintenant plus aucune chance de le convaincre de quitter le pouvoir en échange d’une promesse d’immunité. Justice, pourtant, a été rendue. 

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