Picard Surgelés à la conquête des cuisines africaines
Depuis une dizaine d’années, les professionnels des métiers de bouche s’intéressent de plus en plus aux recettes de « plats du Sud » parfois ancestraux.
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Téguia Bogni
Chargé de recherche au Centre national d’éducation, au ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation du Cameroun.
Publié le 28 janvier 2023 Lecture : 4 minutes.
Récemment, l’entreprise Picard Surgelés a, en collaboration avec la cheffe Anto Cocagne, mis sur le marché de nouveaux repas : le poulet DG, le mafé au poulet, le poulet yassa et le mandazi à la banane.
Si le groupe français spécialisé dans le commerce de détail de produits alimentaires surgelés veut ainsi conquérir un marché potentiellement lucratif, il y a chez les Africains le désir de promouvoir leurs richesses alimentaires et culinaires. Qu’ont de particulier ces plats prêts-à-manger venus d’Afrique ?
Drapeau national
Apparu au début des années 1980 à Yaoundé, au Cameroun, le poulet DG est un plat urbain composé de rondelles de bananes plantains frites et de poulet frit, le tout légèrement mijoté dans une sauce à base de carottes, de haricots verts, d’oignons, de tomates, de poivrons (souvent vert, rouge et jaune à l’image du drapeau national) et d’épices locales telles que le ndjangsang, le pèbè, le hiomi et l’éssèssè.
Si beaucoup savent que l’acronyme DG signifie directeur général, très peu, en revanche, connaissent les circonstances exactes qui ont conduit à la création de cette spécialité. Au Cameroun, entre 1975 et 1984, le regretté Dakolé Daïssala est le directeur général de la Société de transports urbains du Cameroun (Sotuc). Pour ses pauses-déjeuner, il a coutume de se rendre dans un restaurant où il a ses habitudes culinaires : poulet frit et bananes plantain frites.
Trouvant ces aliments frits un peu trop secs à son goût, le directeur général va alors demander au cuisinier de lui concocter un mouillement, ce qu’il réalisera avec des légumes et des épices du terroir. Chaque fois que ledit directeur général commandait son plat préféré, le service demandait un « poulet DG » aux cuisines ! C’est ainsi que la nouvelle recette s’est répandue, devenant très vite un plat de la haute société, avant de se démocratiser vers les années 2000.
Influences portugaises
La sauce d’arachide est sans aucun doute la sauce la plus répandue au sud du Sahara. Aussi la connaît-on chez presque tous les peuples où elle diffère cependant en fonction des techniques culinaires employées et des ingrédients utilisés. Par exemple, on l’appelle mfiang owondo chez les Éwondo au Cameroun, azi déssi chez les Éwé au Togo ou encore domodaa chez les Mandingue en Gambie.
On ne le sait peut-être pas, mais les cuisines africaines sont traversées d’influences portugaises. En même temps que le commerce des esclaves, les Portugais ont apporté d’Amérique du Sud des produits alimentaires tels que le manioc, le maïs ou encore l’arachide. Le maafé, dont l’ingrédient principal est la pâte d’arachide grillée, remonte probablement à cette époque.
Avant toute chose, il faut savoir que maafé signifie, entre autres, « viande ou poisson ajouté à une sauce » en mandinka, une langue parlée au Mali, mais également chez ses voisins : par exemple, en pulaar, la sauce d’arachide se dit précisément maafé tiga. Le gastronyme tiga dont la graphie varie (mantiga, tiya, tega etc.) selon les langues, et qui signifie arachide, est en réalité la contraction de l’expression portugaise « manteiga de amendoim », laquelle veut dire « beurre d’arachide ». Par la force des choses, maafé est le gastronyme africain le plus utilisé à travers le monde pour désigner la sauce d’arachide.
Du Yassa pour Macron
Originaire de Casamance, le yassa fait partie des plats sénégalais les plus connus au monde. Nul étonnement s’il figurait, en tant qu’unique mets africain aux côtés des mets camerounais, au menu du déjeuner de travail que Paul Biya a offert à Emmanuel Macron, le 26 juillet 2022, lors de son passage au Cameroun dans le cadre de sa tournée africaine. C’est dire si ce plat à base de produit carné, généralement du poulet, mariné à la moutarde ou au citron, d’oignons frits et, éventuellement, d’olives vertes dénoyautées, a conquis les papilles du monde.
Si les ingrédients tels que la moutarde et les olives peuvent évoquer des influences étrangères, c’est le gastronyme yassa qui en apporte la pleine certitude. Comme pour tiga, le gastronyme yassa vient du portugais « assar », par l’intermédiaire du créole casamançais, et signifie « rôtir ». Autrement dit, le yassa désigne le rôti d’un produit carné avec des oignons frits.
Marché juteux
Pour beaucoup, les pâtisseries ne font pas partie des habitudes alimentaires des peuples d’Afrique subsaharienne. Mais à y regarder de près, les peuples de l’Afrique de l’Est, particulièrement ceux qui ont en commun la langue swahilie, ont un rapport séculaire avec les pâtisseries en raison de leurs contacts sur les côtes soit avec l’Europe, en particulier le Portugal, soit avec l’Asie, notamment les Arabes. C’est justement de cette aire dite swahilie qu’est originaire le mandazi.
Mandazi vient du swahili maandasi ou mandasi, pluriel de andasi, et désigne un ensemble de préparations sucrées comme les bonbons, les confitures, les gâteaux, les beignets et les tartes. Dans l’usage, cependant, il renvoie à un beignet généralement triangulaire à base de farine, de levure, de sucre et de lait.
En élargissant sa gamme aux repas africains, Picard Surgelés entend clairement prendre sa part de gâteau dans le juteux marché des cuisines africaines en pleine croissance. Nul doute, dès lors, que l’arrivée de ce géant des produits surgelés va reconfigurer ce segment d’activité, car le choix des quatre plats prêts-à-manger s’appuie à la fois sur leur renommée internationale et leur capacité à trouver un consensus gustatif chez le plus grand nombre de consommateurs.
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