À Tunis, à quoi rime la fermeture du musée du Bardo ?
Depuis le 25 juillet 2021, le plus grand musée de Tunis, qui se trouve dans le même périmètre que l’Assemblée, dont l’activité a été suspendue, est fermé. Une situation absurde à laquelle les autorités ne semblent pourtant pas pressées de mettre un terme. La société civile, elle, se mobilise.
L’élégante clôture de fer forgé qui entoure le musée du Bardo semble le ceinturer, le tenir à l’écart des visiteurs. Depuis 550 jours, le deuxième musée d’Afrique, aux collections de mosaïques aussi rares qu’inestimables, est plongé dans le silence. Il est la victime collatérale du gel de l’Assemblée consécutif au coup de force institutionnel du président Kaïs Saïed, le 25 juillet 2021. Le tort du musée, classé monument historique depuis 1985, est d’être situé au mauvais endroit : les 217 députés du Parlement siégeaient dans un bâtiment mitoyen faisant partie, comme le musée, de l’ensemble palatial édifié par différentes dynasties régnantes, dont les Husseinites, qui en avaient fait au XIXe siècle un pôle du pouvoir.
C’est dans l’un des palais de ce site que les autorités coloniales ont créé, en 1888, le premier musée Alaoui, qui deviendra Le Bardo. Le nom de ce lieu, étymologiquement proche de celui d’un autre musée, le Prado de Madrid, évoque la promenade et l’insouciance, ce que semblent avoir oublié les autorités. « Que ce soit un oubli ou non, la situation est inextricable », commente un guide habitué des lieux. Depuis deux semaines, la société civile ou plutôt des amis de la culture se sont mobilisés pour réclamer la réouverture du Bardo, ou du moins convaincre les autorités que cette fermeture devient pour le moins absurde.
En effet, beaucoup de choses ont changé depuis l’instauration de l’état d’exception le 25 juillet 2021. Une nouvelle Constitution a été adoptée, des élections législatives sont en cours pour renouveler le Parlement et, surtout, l’ancienne classe politique a été considérablement affaiblie par la mise à l’écart des partis.
Dans ce contexte, la fermeture du musée du Bardo n’a pas lieu d’être, au contraire. « Elle est un signe de défiance à l’égard des citoyens, c’est comme s’il y avait le pouvoir d’un côté et le peuple de l’autre », estime un sociologue. Pourtant, le slogan de campagne de Kaïs Saïed en 2019 était « le peuple veut ».
Campagne sur les réseaux sociaux
Trois ans après, il semble que le souhait populaire de rouvrir le musée soit inaudible, même si la campagne lancée sur les réseaux sociaux bat son plein. Les internautes mettent chacun en ligne une photographie d’un artéfact ou d’une salle particulière pour ses collections. « Cette campagne est élitiste et ne s’adresse qu’à des francophones », critique une professeure habituée à encadrer des visites scolaires.
Il n’empêche, les publications sont vues et commentées. « Elles sont là pour attirer l’attention, pour sensibiliser à l’importance d’un musée », précise Habib Ben Younes, ancien directeur des musées et des monuments à l’Institut national du patrimoine (INP), à l’origine de l’initiative.
Comme le grand public, il ne comprend pas que la fermeture, qui pouvait se justifier par mesure de sécurité en juillet 2021, s’inscrive dans la durée sans raison et surtout sans explication aucune du ministère des Affaires culturelles. Indifférence ou omerta ? Il n’en demeure pas moins que cette situation, qui coïncide, tout à fait par hasard, avec celle du musée de Carthage, lui même fermé pour rénovation et réaménagement, représente un manque à gagner pour l’Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle (AMVPPC).
Une vraie perte pour les ressources censées contribuer au financement du patrimoine. En 2017, 80 000 visiteurs, dont de nombreux collégiens, avaient fourni de substantielles recettes à l’Agence, lui permettant de couvrir les salaires de ses employés et de financer les recherches de l’INP.
La situation actuelle est sans précédent, comme le souligne le professeur et guide culturel Abdelkarim Touati : « Même durant les années de réfection du Bardo, le musée était ouvert. » Seule exception à cette règle tacite qui veut que le patrimoine, en tant que bien commun, soit accessible à tous : les fermetures consécutives à la révolution, puis à l’attaque terroriste perpétrée au musée en 2015.
Gros manque à gagner
Le musée est en passe de devenir un symbole de l’absence de volonté politique. « Le silence du ministère du Tourisme est assourdissant », relève un agent de voyage, qui témoigne du dépit des touristes trouvant portes closes au Bardo et à Carthage. Il est pourtant dans l’intérêt de la Tunisie, qui a accueilli près de 6,4 millions de visiteurs en 2022, de consolider et de faire évoluer le flux touristique, temporairement perturbé par le terrorisme puis par le Covid.
« Offrir toutes les prestations de services et permettre l’accès à des lieux publics est la moindre des choses », regrette une Parisienne de passage à Tunis. Elle se souvient qu’au plus fort de Mai-1968 le Louvre avait fermé très peu de temps, alors qu’une aile du palais abritait le ministère de l’Économie et des Finances. Mais Paris n’est pas Tunis, où les choses semblent toujours plus compliquées. « Qui décide de la réouverture ? La ministre de tutelle ou le président, qui avait donné l’ordre de boucler le Bardo en juillet 2021 ? », s’interroge un riverain, qui se demande aussi ce qu’il y a à craindre : « Il n’y a que dans les pays en guerre où on ferme les musées. »
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