Le Maroc, un modèle africain de diplomatie sportive
L’organisation d’événements sportifs et la promotion des athlètes sont devenues un « must » pour les pays désireux de soigner leur image et de gagner en influence sur la scène diplomatique. Rabat y excelle.
Quand on parle de l’Érythrée, ce n’est plus seulement pour évoquer son régime tyrannique et ses ressortissants qui fuient l’oppression, mais aussi pour célébrer les performances de ses cyclistes, comme Daniel Teklehaimanot et Biniam Girmay. L’Éthiopie voisine est ébranlée par la guerre dans le Tigré, mais Gudaf Tsegay, Gotytom Gebreslase, Letesenbet Gidey et Tamirat Tola font partie de l’élite mondiale de la course de fond.
De son côté, le Maroc, qui doit gérer un conflit long et coûteux avec l’Algérie à propos du Sahara occidental, jouit d’une réputation autrement plus flatteuse. Il n’en a pas moins fait le choix, sous l’impulsion de Mohammed VI, de se servir du sport pour polir son image et étendre encore son influence, comme le souligne Jean-Baptiste Guégan dans son ouvrage Géopolitique du sport : une autre explication du monde.
Image et influence
Enseignant et consultant en géopolitique, l’auteur considère le royaume chérifien comme le meilleur exemple africain en la matière. Ce pays, note Guégan, se montre particulièrement actif dans le domaine du football, le sport le plus populaire en Afrique. « Le Maroc a l’image d’un pays stable, très touristique et relativement sûr, mais où subsistent beaucoup d’inégalités, estime-t-il. Pour les entreprises étrangères, il n’est pas toujours facile d’y investir. Il n’a ni le potentiel financier de l’Afrique du Sud, première puissance économique du continent, ni celui du Nigeria. Il n’empêche : le Maroc a des idées, et ne veut pas se contenter d’être influent en Afrique du Nord. Il veut l’être sur tout le continent. C’est un rôle que devrait tenir l’Algérie, plus riche que son voisin grâce au pétrole, au gaz et à l’uranium. »
Comme Doha et Riyad, sans les milliards
Le Maroc a donc adapté sa stratégie. Ses moyens, non négligeables, sont toutefois loin d’égaler ceux du Qatar ou de l’Arabie saoudite. « On peut établir une comparaison entre ces trois monarchies. Elles veulent rayonner au niveau régional, puis international : le Maroc, en Afrique ; les deux autres États, au niveau mondial, en achetant des clubs en France (PSG pour le Qatar, Newcastle United pour l’Arabie saoudite). Leurs moyens financiers ne sont pas comparables. On parle de dizaines de millions d’euros pour le Rabat, de milliards pour Doha et Riyad. »
En 2022, le budget du ministère marocain des Sports s’élevait à 180 millions d’euros, et une partie, dont le montant est tenu secret, était consacré à la diplomatie sportive. À titre d’exemple, la Fédération royale marocaine de football (FRMF), dont 85% du budget global (77 millions d’euros) provient de l’État par le biais d’établissements publics, est présidée par Fouzi Lekjâa, ministre délégué au Budget, et, par ailleurs, membre de la Confédération africaine de football (CAF) et de la FIFA. La FRMF a noué des relations avec 44 fédérations d’Afrique subsaharienne dans différents domaines (administratif, sportif…), pour un montant également inconnu, mais qui, de source marocaine, est « tout à fait raisonnable ».
Cette politique, engagée en 2014, permet au Maroc de peser dans une institution comme la CAF, notamment au moment de l’attribution de l’organisation des différentes compétitions. Le pays parie sur la qualité de ses infrastructures – stades, hôtels, transports, communications – pour s’imposer comme un acteur incontournable sur le continent. D’autres disciplines, comme le handball ou le basket-ball, en plein essor en Afrique sans toutefois atteindre la popularité du football, pourraient faire partie de cette stratégie.
Coupe du Monde, puis Jeux olympiques ?
Le royaume ne limite pas son action à son environnement proche. « Il veut être influent en Afrique et dans le monde arabe, mais ne s’interdit rien sur une plus large échelle. Il a organisé le Championnat d’Afrique des nations en 2018, la CAN féminine en 2022 et il accueillera celle de 2024. Il vise aussi la CAN masculine de 2025 », poursuit Guégan.
Surtout, le Maroc s’était porté candidat à l’organisation du Mondial 2026 et avait présenté un dossier solide face au trio qu’avaient constitué les États-Unis, le Canada et le Mexique. Mais ses adversaires, qui avaient obtenu une large majorité des votes africains et le soutien à peine dissimulé de Gianni Infantino, le président de la FIFA, étaient trop puissants. « Ce n’est pourtant pas une défaite pour le Maroc. Il a en effet prouvé qu’il pouvait rivaliser avec trois pays bien plus riches que lui, et on a parlé de sa candidature dans le monde entier. Il apparaît comme un prétendant sérieux, doté d’arguments de poids. Pour son image, c’est essentiel. Il agit avec intelligence et sans dépenser des sommes extravagantes. »
Le Maroc pourrait postuler à l’organisation du Mondial suivant, même si le passage de 32 à 48 équipes (à partir de 2026) va imposer un cahier des charges plus exigeant. « Sa diplomatie sportive et son image de sérieux peuvent permettre au royaume de candidater de nouveau, en montant un dossier avec un ou deux autres pays. Je ne serais pas étonné qu’à moyen terme il soit candidat à l’organisation des Jeux olympiques d’été », conclut Jean-Baptiste Guégan.
Géopolitique du sport, une autre explication du monde, de Jean-Baptiste Guégan, éd. Bréal, 11,90 euros.
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