Le Maroc consacre le football féminin

Le Maroc a lancé un vaste programme de développement et de professionnalisation du football féminin. Une évolution souhaitée par Fouzi Lekjaâ, le président de la fédération, qui espère faire de son pays un exemple pour l’Afrique.

L’équipe nationale marocaine lors de la CAN féminine 2022, au Maroc. © MAP

Alexis Billebault

Publié le 30 janvier 2023 Lecture : 5 minutes.

Fouzi Lekjaâ, le président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), s’est mis en tête de faire de son pays une des places fortes du football africain. Celui qui est également un membre influent de la CAF et de la FIFA, et accessoirement ministre délégué chargé du budget du royaume, a eu la satisfaction de voir le Wydad Casablanca et Berkane remporter respectivement la Ligue des champions et la Coupe de la CAF en 2022, quelques semaines après la qualification des Lions de l’Atlas pour la Coupe du monde au Qatar. Mais le dirigeant, réélu à la tête de la FRMF pour quatre ans en 2022, a également décidé de consacrer d’importants moyens au football féminin.

Le Maroc a ainsi obtenu l’organisation de la CAN féminine 2022 et l’accueillera de nouveau en 2024, les FAR Rabat ont terminé à la troisième place de la première édition de la Ligue des champions féminine de la CAF, et la sélection des moins de 17 ans s’est qualifiée pour la Coupe du monde 2023 qui aura lieu en Inde. Le royaume chérifien s’est aussi doté d’un championnat féminin professionnel (Division 1 et Division 2) en 2021, un an après le lancement du plan Marshall destiné à promouvoir et à développer le football féminin.

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« En 2013, lors d’un discours à Skhirat, Sa Majesté le roi Mohammed VI avait déclaré que le sport devait constituer un des leviers de développement pour la jeunesse marocaine. Le président de la FRMF a donc décidé de mettre en application ce plan Marshall, avec des objectifs bien précis », explique Omar Khyari, le discret conseiller de Lekjaâ.

La D1 et la D2 professionnelles depuis 2021

Jusqu’à ce changement de politique, « le football féminin marocain était exclusivement amateur. Le championnat avait été créé en 2008. Depuis, plusieurs clubs féminins ont vu le jour », rappelle Wafae Bekkouch, la secrétaire générale de la Ligue nationale de football féminin (LNFF). Désormais, la D1 et la D2 sont professionnelles et régies par la LNFF et la fédération. Celle-ci a multiplié par dix le budget annuel alloué au football féminin (hors sélections nationales), qui atteint désormais 6 millions d’euros par an.

« La fédération verse tous les mois, directement aux joueuses et aux membres des staffs techniques, un salaire minimum (350 euros en D1 et 260 euros en D2 pour les joueuses, alors que le SMIC au Maroc est de 260 euros par mois). C’est aux clubs de trouver, via les subventions des villes ou des régions, ou le sponsoring privé, le reste de l’argent pour donner un complément de salaire, verser des primes et assumer les autres charges, comme les déplacements », explique Mouad Oukocha, président du Sporting Club de Casablanca. La FRMF a également fourni un bus à chaque club professionnel, et offre tous les ans 5 000 euros d’équipements (maillots, ballons…).

Pour percevoir ces aides, les clubs doivent s’engager notamment à nommer une femme entraîneur adjointe si le coach est un homme, et à créer des équipes de moins de 17 et de moins de 15 ans. « La FRMF aide les clubs, lesquels doivent évidemment suivre le contrat d’objectif, reprend Khyari. On sort de plusieurs années où le football féminin était amateur. Aller vers le professionnalisme demande des efforts de tous. » La fédération s’est fixé pour objectif d’atteindre les 90 000 licenciées à l’horizon 2024. À ce jour, un peu plus de 10 000 Marocaines seraient détentrices d’une licence.

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« C’est un objectif ambitieux. Nous en sommes encore loin, et personnellement, je ne pense pas que nous pourrons l’atteindre. Cela prendra plus de temps. Et puis même s’il y a la possibilité pour les joueuses professionnelles d’avoir un salaire correct, il y a encore des retards dans leur versement car certains clubs, notamment en D2, ont des ressources limitées, malgré les aides de la FRMF’, souffle une actrice du football marocain sous couvert d’anonymat.

Mais le développement du football au Maroc attire également des joueuses venues d’Afrique subsaharienne. Dans cette partie du continent, le football féminin est presque exclusivement amateur, et les conditions salariales proposées favorisent l’afflux de Camerounaises, de Nigérianes, de Maliennes ou de Sénégalaises, et même de Tunisiennes. « Le championnat marocain est un tremplin pour les meilleures joueuses locales et étrangères vers les championnats européens », poursuit Mouad Oukocha.

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« Une évolution des mentalités »

Afin d’atteindre cet objectif, la FRMF multiplie les initiatives pour que le football féminin se développe dans tout le pays. Avec la LNFF, l’instance mène une campagne de communication active, tout en mettant en place plusieurs initiatives, comme ces journées de découverte organisées dans les écoles, y compris dans les zones les plus reculées du royaume. Car, comme l’explique Mouad Oukocha, « le poids des traditions est encore bien présent dans certaines familles, mais on perçoit une évolution des mentalités. C’est plus le cas dans les zones urbaines que dans les zones rurales, où on a parfois du mal à accepter que des filles fassent du sport avant un certain âge, vers 16-17 ans. Aujourd’hui, le but est qu’elles commencent beaucoup plus jeunes, pour bénéficier d’une meilleure formation. »

Ces initiatives commencent à porter leurs fruits, « puisqu’on constate qu’il y a de plus en plus de filles qui s’orientent vers le football, comme joueuses ou pour devenir formatrices », reprend Wafae Bekkouch. La pratique du football peut déboucher, à terme, sur l’exercice d’une profession désormais rémunérée, permettant de bénéficier d’une sécurité sociale et des autres avantages liés au salariat. Des arguments de poids qui font leur chemin et finissent par convaincre des familles initialement réticentes de laisser leurs filles s’engager dans cette voie.

Aujourd’hui, l’intérêt pour le football féminin au Maroc est croissant. Les matches de la CAN ont attiré un nombre assez conséquent de supporteurs et le brillant parcours de la sélection marocaine, championne d’Afrique en 2022 et qualifiée pour la Coupe du monde 2023 en Australie et en Nouvelle-Zélande (20 juillet-20 août) pourrait contribuer à le rendre plus attractif.

Cela pourrait, à terme, se répercuter sur l’affluence lors des matches de championnat, dont certains sont retransmis par la télévision nationale mais qui, pour l’instant, n’attirent au mieux que quelques centaines de spectateurs. Il reste encore du chemin à parcourir, mais Wafae Bekkouch se veut optimiste. « En 2024, nous ferons un premier diagnostic, et procéderons à des mesures d’ajustement, mais les efforts ne se relâcheront pas. »

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