Quel rôle pour les agences de notation régionales africaines ?

Youssouf Carius est le directeur et l’économiste en chef pour les analyses économiques et boursières de l’agence de notation Bloomfield Investment Corporation, basée à Abidjan.

Youssouf Carius. © Bloomfield Investment

Youssouf Carius. © Bloomfield Investment

Publié le 6 décembre 2013 Lecture : 4 minutes.

Le contexte économique africain actuel suscite l’intérêt des investisseurs internationaux, qui considèrent de plus en plus le continent comme une « valeur refuge » face au ralentissement des économies les plus avancées. Pourtant, le manque d’information sur les marchés africains ne permet pas aux différents intervenants de juger de façon fiable de la contrepartie du retour sur investissement espéré. Cela représente un frein à l’attractivité financière du continent.

En réponse à l’opacité relative des marchés financiers africains, les agences de notation régionales africaines apportent des opinions et analyses indépendantes à la fois sur la qualité de crédit des emprunteurs mais aussi sur l’environnement politique et socio-économique susceptible de perturber le marché.

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Cette démarche de transparence concerne au premier plan les acteurs financiers et les entreprises, mais pas seulement. La ville de Dakar par exemple suit le même processus. Dakar est devenue la première collectivité locale de la zone CFA (Uemoa / Cemac) à se faire noter. La collectivité territoriale sénégalaise s’est inscrite dans une politique de transparence dès 2008 avec l’audit PEFA (évaluation de la gestion des finances publiques municipales, une première en Afrique francophone.

Dakar est devenue ainsi la première collectivité locale de la zone CFA (Uemoa / Cemac) à se faire noter.

La ville a surtout continué sur la même lancée en sollicitant une notation financière en 2013. L’agence de notation Bloomfield Investment Corporation lui a attribué la note BBB+ à long terme et A3 à court terme, lui ouvrant ainsi un accès au marché des capitaux ouest africain.

L’utilisation de cette note pour accéder au marché des capitaux lui permettrait de renforcer son autonomie financière et de potentiellement réduire le cout global de ses emprunts. Cela illustre une des vertus principales de la notation financière : elle facilite aussi l’accès au marché financier à des entités jusque là absentes du marché des capitaux bien que capables de tenir leurs engagements.

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La Transparence financière dans la zone Uemoa

La zone Uemoa joue elle aussi le jeu de la transparence en introduisant l’obligation de notation dans la réglementation en vigueur, pour les emprunteurs (hors États), pour les garants et pour les sociétés cotées du marché. La volonté de se prêter à l’exercice de notation, quelle qu’en soit l’issue, est en soi une volonté de transparence rassurante pour les bailleurs de fonds.

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Les notes attribuées et réévaluées chaque année mettent en avant les forces et faiblesses de l’entité, de sorte à la maintenir engagée sur le long terme dans une politique de bonne gouvernance. En fonction des notes et des perspectives, l’entité notée améliore les conditions de crédit et renforce sa notoriété auprès des bailleurs. Le simple fait d’être transparent sur son risque lui ouvre des opportunités.

C’est l’exercice auquel se sont prêtés les deux ports ivoiriens notés par l’agence de notation Bloomfield Investment Corporation depuis plusieurs années (le port autonome d’Abidjan et le port de San Pedro s’inscrivent tous deux dans la catégorie « investment grade »). La notation financière, pour les mieux notés, est un argument de poids dans la négociation des conventions de prêt. Les entités dans la catégorie « investment grade » démontrent de façon transparente leur capacité à respecter leurs engagements financiers. Cela leur permet d’être plus exigeantes sur le prix du crédit. Pourtant, aucun pays de l’Uemoa ne s’est encore prêté à l’exercice de la notation financière régionale.

La notation financière régionale, principe et spécificités

Les notes attribuées aux économies africaines par les grandes agences de notation internationales, ne permettent pas aux investisseurs d’établir une cartographie suffisamment hétérogène du risque. Afin de bien saisir le rôle des agences de notation régionales africaines dans le développement des marchés financiers africains, il est important de comprendre l’objet de leur activité et leurs spécificités par rapport aux « Big Three » que constituent Fitch Ratings, Standard & Poor’s et Moody’s, tous basés en Occident, et leur homologue chinois Dagong.

Aucun pays de l’Uemoa ne s’est encore prêté à l’exercice de la notation financière régionale.

Dans l’environnement africain, l’hétérogénéité des économies et les systèmes financiers non encore suffisamment intégrés, font ressortir les manquements des méthodologies de notation utilisées par les « Big Three ».

L’existence d’agences de notation régionales africaines permet de clarifier cette cartographie du risque en adaptant leur méthodologie et leur échelle de notation. Les opinions émises par les agences régionales africaines reflètent la valeur intrinsèque de la qualité de crédit des entités notées.

Cela est dû, en partie, au fait que la spécificité des marchés des pays en développement nécessite une capacité réelle des agences de notation à interpréter les paramètres qualitatifs liés à l’environnement sociopolitique, économique et culturel. Ces paramètres qualitatifs sont très pertinents dans la détermination et le suivi de la note. Leur présence sur le terrain renforce cette spécificité.

Quels enjeux pour les États ?

Certains, comme le Sénégal, le Benin et le Burkina sont notés par les Big Three qui annoncent un risque élevé pour ces pays. Ce risque devrait en principe être relativisé dès lors que les États de la zone empruntent et remboursent dans leur propre devise. Le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Togo empruntent sur le marché financier régional en francs CFA et remboursent dans la même devise. Cela prendrait alors tout son sens de solliciter une notation régionale. De plus, cette initiative irait clairement dans le sens de la volonté de transparence et de bonne gouvernance affichée par les États africains.

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