Algérie : dessins de guerres
À l’occasion du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’ancienne colonie française, plusieurs bandes dessinées reviennent sur la lutte pour la libération. Et évoquent également les nombreux conflits dans lesquels les Algériens furent embarqués. Tour d’horizon.
Rarement anniversaire aura provoqué telle flambée éditoriale ! Sous toutes les formes et dans tous les formats, le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie envahit les librairies françaises, preuve s’il en est qu’entre l’Hexagone et son ancienne colonie l’histoire est loin d’être terminée. L’on pouvait évidemment s’attendre au fait que les historiens mènent le bal avec force essais et enquêtes. Ce qui est plus étonnant, c’est la floraison de bandes dessinées qui, page après page, disent sur un mode sensible les relations tourmentées des frères ennemis. Opportunité commerciale ? Sans doute. Mais opportunité aussi, pour les deux pays, de faire progresser un dialogue difficile grâce à un média qui, en étant facile d’accès, peut restituer toute la complexité d’un passé lourd à digérer. Sélection.
La question harkie
Si Daniel Blancou a choisi le sujet le plus difficile qui soit, ce n’est pas tout à fait un hasard. Il s’en explique dans l’introduction de l’ouvrage : « Depuis mon enfance, j’entends parler du camp de harkis de Saint-Maurice-l’Ardoise, sur la commune de Saint-Laurent-des-Arbres. Pendant neuf ans, mes parents y ont exercé leur métier d’instituteur. C’est là qu’ils se sont rencontrés, se sont mariés. Quelques mois après sa fermeture, je naissais. »
Dessinateur inspiré par les travaux d’Emmanuel Guibert, Étienne Davodeau et Guy Delisle, Daniel Blancou a donc longuement interrogé ses parents sur leur expérience, tout en complétant les informations qu’ils lui transmettaient par d’autres entretiens et des recherches historiques. « Je voulais montrer comment l’on peut passer à côté d’événements importants sans en prendre la mesure, explique-t-il. Montrer le cheminement de mes parents et leur prise de conscience politique. » Aidé par une ligne épurée et un fin sens du cadrage, Blancou raconte le quotidien d’un camp de harkis cinq ans après la fin de la guerre d’Algérie. Un village de préfabriqués entouré de grillages et de fil de fer barbelé, placé sous commandement militaire et rassemblant ces familles que la France ne sait « où caser » au fin fond des Cévennes.
« Et tu n’avais pas vu les miradors et le reste ? » demande Daniel Blancou à son père. « Si, mais comment te dire… Je les avais vus, mais je ne les avais pas regardés. » L’isolement, l’exil, les blessures de la guerre, la révolte et la démolition finale du camp : l’auteur exprime avec justesse une réalité complexe trop souvent réduite à la caricature. « Avec la bande dessinée, on peut plus facilement être dans le non-dit grâce à ce que l’on montre des décors ou des personnages, explique-t-il. On peut laisser le lecteur arpenter ces lieux sans être dans l’action. » Cinq ans de travail lui ont été nécessaires pour parvenir à ce résultat étonnant d’équilibre et de sensibilité. « Le sujet m’a conduit à être très précis, notamment dans la reconstitution des lieux, dit-il. Il le fallait, par respect pour les quelques auteurs qui auraient vécu dans ce camp. » De ce camp, il ne reste aujourd’hui plus que quelques dalles de béton, des barbelés rouillés et une stèle abandonnée à une nature qui a repris ses droits… De l’histoire de ceux qui y ont vécu, il reste aujourd’hui un livre profondément humain.
Alger à la dérive
Sur une plage d’Alger, un couple est retrouvé assassiné dans la position du missionnaire. L’homme a été émasculé, le tueur a placé ses testicules dans sa bouche et, sur son dos, il a écrit au couteau les lettres OAS… Au départ, Alger la Noire est un roman de Maurice Attia, publié par les éditions Actes Sud en 2006. Le dessinateur Jacques Ferrandez a choisi d’en réaliser l’adaptation graphique. N’est pas Tardi qui veut, mais malgré un dessin souvent approximatif, l’intrigue policière séduit et l’ambiance délétère de la fin du conflit est rendue avec intensité.
Violence, sexe, perversions, racisme, extrémisme se mélangent pour donner d’Alger une image de ville à la dérive où l’on tue pour un idéal politique comme pour les revenus d’une prostituée. Et dans cette atmosphère morbide, les personnages inventés par Attia et croqués par Ferrandez tentent de survivre avec leurs blessures ouvertes, constamment sous la menace, entre Éros et Thanatos. L’espoir est-il permis ? Pas sûr : « L’Algérie est bientôt indépendante, les pieds-noirs sont en marche pour l’exil… Le pays est plongé dans une guerre fratricide et une haine définitive entre les communautés. Alger la Blanche est devenue Alger la Noire. »
D’un conflit l’autre
Auteur reconnu (Le Gone du Chaâba) et homme politique à géométrie variable – ministre du gouvernement Villepin de 2005 à 2007, il a été proche de François Bayrou (MoDem) avant d’appeler à voter François Hollande en 2012… -, Azouz Begag signe avec Leçons coloniales un scénario classique : une jeune institutrice pétrie d’idéaux républicains débarque à Sétif avec la ferme intention d’enseigner à tous, sans distinction d’origines, comme le stipule le décret du 27 novembre 1944. L’intrigue se déroule en 1945, alors qu’en Europe la Seconde Guerre mondiale s’achève. À Sétif, la tension s’accroît entre colons et Algériens, jusqu’à exploser le jour même de la victoire alliée sur les nazis, le 8 mai. La révolte qui secoue la ville est réprimée dans le sang…
Mêlant évolution politique et histoire(s) d’amour, Begag parvient à créer une jolie galerie de personnages tout en donnant une idée juste des tensions qui finiront par déboucher sur la guerre. Peu aidé par un dessin un tantinet daté, il ne parvient néanmoins pas à surprendre.
Tirailleurs de Constantine
Avant la guerre d’Algérie, avant la Seconde Guerre mondiale, il y a eu la boue, les tranchées, le gaz moutarde, les pluies d’obus… Un enfer que les tirailleurs algériens ont vécu pour défendre le drapeau tricolore. En racontant l’histoire d’Alouache Ahmed Saïd Ben Hadj, incorporé en 1912 au 11e régiment des tirailleurs algériens, les auteurs de cette bande dessinée originale reviennent sur un aspect trop souvent passé sous silence de la Première Guerre mondiale. Surnommés Turcos par les Russes – à cause de leur uniforme – pendant la campagne de Crimée (1854-1856), les tirailleurs algériens et tunisiens sont, avec les zouaves, parmi les plus décorés de l’armée française. En s’attachant au destin d’un homme « tué à l’ennemi le 20 juillet 1918 », les auteurs donnent de la chair aux dates qui figurent sur le drapeau du 11e régiment : Artois 1915, Champagne 1915, Verdun 1915, Soissonnais 1918… Le trait et la narration ne sont pas toujours à la hauteur du défi, mais peu importe : il s’agit avant tout de rappeler la dette (de sang) de la France envers ses ex-colonies.
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