La justice, bras armé du pré carré français en Afrique

Et si les poursuites judiciaires engagées dans l’Hexagone contre de hauts responsables politiques du continent avaient contribué à nourrir le ressentiment de certains Africains à l’endroit des Français ?

Le Palais de justice de Paris. © RICCARDO MILANI/Hans Lucas via AFP

Adrien Possou
  • Adrien Poussou

    Ancien ministre centrafricain de la Communication et expert en géopolitique.

Publié le 1 février 2023 Lecture : 7 minutes.

L’appareil judiciaire et policier français est-il au-dessus des juridictions africaines ? Si oui, qui a délivré le brevet de supériorité ? Au nom de quel principe moral les juges français se croient-ils obligés d’engager des poursuites judiciaires contre certains hauts responsables politiques africains ? Le besoin de justice et la nécessité d’équité doivent-ils servir de prétextes à la liquidation des institutions africaines ?

Sherpa et Survie

Si de telles interrogations peuvent paraître brutales, elles n’en soulèvent pas moins une hypothèse sur les raisons du ressentiment que de nombreux Africains nourrissent à l’égard de la France. Épargnons-nous arguties et arguments juridiques qu’il serait fastidieux de recenser ici. Faisons néanmoins remarquer que c’est en mars 2007 que les associations françaises Sherpa et Survie, ainsi que la Fédération congolaise de la diaspora, ont déposé une plainte auprès du procureur de la République de Paris pour des faits de recel de détournement de fonds publics contre Omar Bongo alors à la tête du Gabon, contre les président congolais Denis Sassou Nguesso et équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema, contre l’ancien président burkinabé Blaise Compaoré, sans oublier le défunt président angolais José Eduardo dos Santos.

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Cette première plainte des associations Sherpa et Survie, qui visait également les proches de ces chefs d’État, a été classée sans suite au motif que « l’infraction était insuffisamment caractérisée ». Mais comme les voies de la justice sont aussi impénétrables que celles du Seigneur, l’action engagée par ces organisations a fini par prospérer à la suite d’une décision de la Cour de cassation, tranchant uniquement la question dont elle a été saisie, à savoir la possibilité pour Transparency International France de se constituer partie civile.

La France continue de leur marcher sur les pieds

Il faut rappeler qu’en dépit du fait que la plus haute juridiction française n’a pas eu à statuer sur la question de la compétence de la loi française concernant les faits allégués prétendument commis sur des territoires des États étrangers par des ressortissants étrangers, au préjudice de ces mêmes États étrangers, pour lesquels la justice française n’est nullement compétente, l’affaire est confiée à un juge d’instruction.

Aussi, dans le volet concernant Malabo,  les juges français ont-ils tiré « les conséquences logiques de l’absence d’infraction de détournement de fonds publics commise au préjudice de la Guinée équatoriale, pour refuser à cette dernière la qualité de partie civile, faute de préjudice ». Les mêmes juges se sont abstenus de tirer les « mêmes conséquences » pour abandonner leur enquête sur les mêmes faits qu’ils admettent pourtant comme « non établis ».

Insignifiance crasse

Ce qui fait dire à de nombreux Africains au Sud du Sahara que la France continue de leur marcher sur les pieds. Ces derniers ont le sentiment, parfois justifié, que l’éléphant France appuie de tout son poids sur leur poitrine afin de les écraser et de les maintenir dans une sorte d’insignifiance crasse, alors qu’ils ont désormais une seule exigence à la bouche : être respectés, quoi qu’il en coûte.

Des enquêtes dans le droit fil de la politique de « guerre à l’Afrique »

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Pour certains, tout est fait par Paris pour maintenir les dirigeants de son “pré carré” sous la menace de poursuites judiciaires savamment montées de toutes pièces afin de les contraindre à être dociles et à céder facilement aux pressions des multinationales qui ont besoin des matières premières indispensables au fonctionnement de l’économie de notre monde digitalisé. Tout cela « précédé d’une mise en condition médiatique basée sur l’indignation et peu soucieuse des conséquences sécuritaires, humanitaires et géopolitiques » sur les pays visés. D’autres sont persuadés et n’en démordent pas que les enquêtes ouvertes en France contre certains chefs d’État africains s’inscrivent dans le droit fil de la politique de « guerre à l’Afrique » qui, depuis plus de 150 ans, réprime et normalise, soumet les États dans un système de dépendance.

Sinon, estiment-ils, certains, en France, n’auraient pas récemment désigné un chef d’État en fonction, en l’occurrence celui du Congo Brazzaville, parmi les probables bénéficiaires du siphonnage de fonds publics, simplement parce que les douaniers français auraient retrouvé l’inscription « PR » dans le tableau de comptabilité d’un obscur ancien directeur financier d’une société certes dirigée par un proche du régime. Ce que l’on constate, c’est qu’il n’est jamais venu à l’idée de ceux dont la profession est de pourfendre le président congolais sur la place de Paris que cette inscription « PR » peut aussi désigner « Patrick-Robert » et que là-bas, chez lui, il est d’usage de l’appeler par ses initiales, DSN, pour Denis Sassou N’Guesso.

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Confort douillet

Il est donc curieux d’observer que les membres de l’appareil judiciaire et policier français préfèrent rester à Paris – les mauvaises langues auraient dit dans le confort douillet de leur bureau parisien – pour mener leur enquête au lieu de se donner la peine (seulement 6 heures d’avion) de descendre dans les pays dont les responsables sont visés par leurs enquêtes pour se confronter au réel, recueillir les avis des gens au nom et pour le bonheur desquels ils affirment agir. Souvent, trop souvent, ces gens refusent obstinément d’y aller, même lorsqu’ils sont invités, pour croiser leurs thèses et hypothèses avec les informations de leurs collègues juges officiant au sein des juridictions nationales.

En clair, l’appareil judiciaire et policier français donne l’impression de ne s’être jamais senti concerné par les évolutions, voire les révolutions, en cours, qui ne sont pas censés l’impacter, mais qui auront forcément une répercussion sur lui. À titre d’illustration, son indépendance, dont on nous rebat les oreilles, ne saurait être préservée que si la France maintient son rang dans le monde ; or il se trouve que l’Afrique apporte un supplément de puissance dont la France a besoin, et que les Africains supportent de moins en moins le snobisme arrogant de la justice française à l’égard de leurs responsables politiques de premier plan.

Puanteur des « biens mal acquis »

Voilà pourquoi, au sujet de ces enquêtes, l’appareil judiciaire et policier français a réussi le tour de force de réconcilier – au moins temporairement – les dirigeants africains avec tous ceux (hormis quelques responsables d’ONG en mal de publicité) dont la principale activité est de vitupérer contre eux sur les réseaux sociaux en les accusant de tous les noms d’oiseau.

La corruption n’est pas l’apanage des seuls dirigeants africains

D’abord, parce que les contempteurs des régimes africains ne comprennent pas que l’appareil judiciaire et policier français considère que seul l’argent des dirigeants africains exhale la puanteur des « biens mal acquis » alors qu’au même moment, les émirs du Golfe, région la moins démocratique au monde, s’offrent, sur le territoire français clubs de football, appartements de luxe, hôtels particuliers, châteaux de haut standing à grand renfort de pétrodollars.

Là, il n’existe aucune bonne âme pour s’émouvoir, ni vu ni connu. Pour preuve, l’ancien émir du Qatar – dont la population est loin d’être la plus heureuse au monde –, Cheikh Hamad Ibn Khalifa Al Thani, s’est permis l’extravagance de sponsoriser jusqu’en 2022, le Prix de l’Arc de Triomphe à Paris, la plus chic des courses équestres, sans qu’un juge français ne daigne lui demander l’origine des fonds, sans qu’il soit accusé d’avoir détourné de l’argent public. La corruption n’est pas l’apanage des seuls dirigeants africains.

D’ailleurs, il est juste d’indiquer que ces dirigeants africains parmi lesquels certains ont souvent, hélas, la réputation de confondre les caisses de l’État et leurs propres poches, dépensent leur argent en France ; leurs comptes bancaires garnis par les supposés « butins de la rapine et des détournements de fonds publics » sont logés dans les institutions financières françaises, leurs progénitures sont scolarisées dans les meilleurs établissements d’enseignement de l’Hexagone. Dans le rôle du cocu qui paie la chambre, les hauts responsables africains sont bien servis par l’appareil judiciaire et policier français.

Au-delà des cris d’orfraie

Finalement, c’est peu de dire que le temps est venu pour les Africains de se prendre en charge. Comme dirait l’écrivain Alain Mabanckou, depuis les « Soleils des indépendances », depuis le refrain de la chanson du Grand Kallé, « Indépendance cha cha », beaucoup d’Africains sont restés sur les quais de gare, bernés, leurrés, laissant à d’autres le soin de décider à leur place.

Or, le respect, dit-on, ne se décrète pas, mais s’inspire. C’est dire qu’au-delà des cris d’orfraie et des indignations plus ou moins sincères, les dirigeants africains seraient inspirés de dénier à l’appareil judiciaire et policier français toute légitimité, en refusant de se faire représenter devant ses instances. Car se défendre devant lui, même par l’office d’un avocat, revient implicitement à reconnaitre sa prééminence sur les juridictions nationales.

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