Syrie : la déchirure
De mieux en mieux armés, financés de l’extérieur, les insurgés syriens veulent à tout prix en finir avec le régime de Bachar al-Assad. Lequel rend coup pour coup.
La crise syrienne a franchi un pas supplémentaire vers la guerre civile. Entré en vigueur le 12 avril à l’initiative de Kofi Annan, envoyé des Nations unies et de la Ligue arabe, le cessez-le-feu est aujourd’hui à l’agonie. La présence de deux cents observateurs onusiens, qui devraient être trois cents à la fin de mai, a quelque peu contenu les violences, mais elle est très loin d’y avoir mis un terme. Les intenses combats, comme ceux qui ont détruit des quartiers entiers de Homs (Centre), en mars, sont moins nombreux, mais les affrontements quotidiens se poursuivent dans tout le pays.
Si les violences échappent à tout contrôle, la bataille pour Homs – avec ses représailles sanglantes – pourrait n’avoir donné qu’un simple aperçu des horreurs à venir. Les passions confessionnelles sont vives et, pour le moment du moins, aucun camp n’est disposé à baisser les armes. Au contraire. De mieux en mieux armés et financés de l’extérieur, plus déterminés que jamais à renverser le président Bachar al-Assad, les combattants rebelles se sont engagés dans une véritable guérilla urbaine. Ils rejettent tout processus de négociation qui pourrait se solder par le maintien du président au pouvoir. Ces dernières semaines, des dizaines, voire des centaines de djihadistes les ont rejoints, affluant du Liban, d’Irak et de Jordanie. Beaucoup soupçonnent certains de ces combattants, plus ou moins affiliés à Al-Qaïda, d’avoir exécuté les attentats-suicides qui ont semé la terreur. Les plus meurtrières des onze opérations majeures recensées à ce jour se sont produites le 10 mai à Damas, faisant 55 morts et près de 400 blessés. Plus personne n’est à l’abri, aucun endroit n’est sûr, et le moral de la population est au plus bas.
L’irruption violente des djihadistes, en accréditant la thèse du régime, qui dit combattre des « bandes terroristes », ne fait certainement pas le jeu de l’opposition. Elle tend même à pousser la « majorité silencieuse », mais très angoissée pour sa sécurité, du côté du gouvernement. Elle alarme aussi certains des soutiens occidentaux de l’opposition.
"Tuer ou être tué"
Le régime est sous pression. Il lui est de plus en plus difficile de traquer et d’éliminer les groupes très mobiles de rebelles qui mènent des attaques éclairs audacieuses. Malgré sa supériorité militaire, l’armée régulière n’est ni entraînée ni équipée pour affronter une guérilla urbaine. Les pertes militaires vont croissant, nourrissant la soif de revanche. « Tuer ou être tué », voilà comment les durs du régime résument la situation. Dans la mesure où l’armée et les forces de sécurité sont restées loyales au pouvoir en place, celui-ci ne semble pas près de s’effondrer. C’est donc l’impasse. Des actes de violence extrême sont perpétrés de part et d’autre, et chaque camp sait que le vainqueur sera impitoyable avec le vaincu.
Des dizaines de djihadistes ont rejoint la rébellion, affluant du Liban, d’Irak et de Jordanie.
Parallèlement, le conflit s’est exporté au Liban, notamment à Tripoli, ville majoritairement sunnite devenue une base arrière de l’opposition armée syrienne. Des combats ont éclaté entre pro-Assad et anti-Assad, et Beyrouth n’a pas été épargné. Aussi impitoyables soient-ils, ces accrochages locaux sont éclipsés par une double confrontation régionale et internationale pour le contrôle de la Syrie : l’une oppose l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe à l’Iran, l’autre, les États-Unis à la Russie. Ajoutons l’affrontement sous-jacent entre l’Iran et la Turquie qui résulte de leur ralliement à des camps opposés : l’Iran est le principal allié régional de la Syrie, quand la Turquie est le premier soutien externe de l’opposition syrienne et abrite le Conseil national syrien (CNS), l’Armée syrienne libre (ASL) et un grand nombre de réfugiés.
L’incohérence de la politique américaine devient alarmante. Washington soutient le plan de paix de Kofi Annan… en faisant tout pour s’assurer de son échec. Alors qu’Annan s’évertue à faire respecter le cessez-le-feu, préalable indispensable à des négociations intersyriennes, les États-Unis cherchent le renversement d’Assad, sous la pression de l’État hébreu, d’un Congrès pro-Israéliens et des faucons républicains. Objectif principal de la politique américaine et israélienne : isoler et affaiblir l’Iran et couper ses liens avec le mouvement de résistance chiite libanais, le Hezbollah. Israël souhaiterait abattre l’ensemble de « l’axe de la résistance » Téhéran-Damas-Hezbollah, qui est devenu, ces dernières années, le principal obstacle à sa domination régionale. Par une curieuse ironie du sort, en s’opposant au régime syrien, les États-Unis se retrouvent dans le même camp qu’Al-Qaïda, qu’ils combattent à mort en Afghanistan, au Yémen, en Somalie et ailleurs !
Urgence
Washington soutient activement les rebelles, dont les islamistes, en leur fournissant des renseignements et des équipements de communication sophistiqués, tout en pressant le Qatar et l’Arabie saoudite d’accroître leur aide. Les États-Unis coordonneraient les transferts de fonds et d’armes aux insurgés. Un article de Karen DeYoung et Liz Sly paru dans le Washington Post du 15 mai – fondé semble-t-il sur des fuites – cite des fonctionnaires américains qui ont affirmé que « les États-Unis et d’autres se mobilisent pour intensifier la coordination du renseignement et de l’armement des forces rebelles ». Des personnalités de l’opposition ont déclaré être en relation avec des membres du département d’État « afin de désigner des rebelles dignes de recevoir des armes et d’indiquer des lieux de stockage ». Comment peut-on décemment appeler à un cessez-le-feu tout en armant les insurgés ?
Mais il y a tout de même des limites à ce que les États-Unis sont prêts à faire pour déboulonner le régime syrien. Ils n’envisagent pas d’engager leurs propres forces – ni troupes au sol, ni frappes aériennes sur des cibles syriennes – et ne risqueront pas une confrontation ouverte avec Moscou, qui pourrait avoir des répercussions néfastes sur les intérêts américains ailleurs dans le monde.
Comment peut-on décemment appeler à un cessez-le-feu tout en armant les insurgés?
Les États-Unis ne sont pas les seuls à s’être rendus coupables d’incohérence : il n’est certainement pas dans l’intérêt des Arabes et des musulmans d’aggraver la déchirure multiséculaire entre sunnites et chiites, ni de faire de l’Iran un adversaire. Seuls leurs ennemis communs en tirent avantage. Les États du Golfe feraient donc mieux de rester à l’écart des querelles israélo-iraniennes ou américano-iraniennes. Voisins séparés par une étroite langue de mer, l’Iran et les pays du Golfe partagent de nombreux intérêts stratégiques et commerciaux. Ils sont faits pour être partenaires et non rivaux.
L’histoire tragique de l’Irak et du Liban rend évidente la nécessité urgente de prévenir la chute de la Syrie dans les abysses d’une guerre confessionnelle et civile à grande échelle, aux conséquences potentiellement désastreuses pour la région. Déjà, le tissu social syrien est en lambeaux. Il faut démilitariser le conflit, donner au plan Annan une chance de réussir et déployer tous les efforts nécessaires pour résoudre la crise syrienne par la négociation avant qu’il ne soit trop tard.
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