Africanistan
La déferlante islamiste qui a succédé aux révoltes arabes pourrait ne pas surprendre dans une région travaillée par le démon de l’orthodoxie et soumise à l’influence des Frères musulmans depuis près d’un demi-siècle. Mais tel n’est pas le cas de l’Afrique subsaharienne, dont les coutumes millénaires et l’islam confrérique ont servi jusqu’ici de rempart contre l’idéologie intégriste. Hélas, ce qui se passe actuellement dans le nord du Mali n’augure pas le meilleur pour le sud du continent. Les soldats d’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique), rejoints par des rebelles extrémistes, jurent de laver l’Afrique de ses « hérésies » et de la mettre sur le droit chemin de l’islam. Ils oublient que les premières conquêtes musulmanes n’ont été victorieuses que grâce au respect des coutumes locales et des richesses culturelles des terres convoitées. Mais les djihadistes des temps modernes, au panache factice et à l’intolérance chevillée au corps, n’ont rien des compagnons du Prophète.
Au Mali, où l’urgence consiste à endiguer la pauvreté, l’analphabétisme et la sécheresse, ces don Quichotte en djellaba ont choisi de commencer par la tournée des bars, avec pour divine mission la destruction des réserves d’alcool. Sur les écrans de télévision du monde entier, ils ont brandi en guise de trophées des bouteilles de bière qu’ils ont cassées aux cris d’« Allah Akbar ! ». Quelle prouesse ! Quel héroïsme ! Après quoi ils ont réitéré l’exploit des talibans – qui avaient commis l’infâme en détruisant les bouddhas de Bamiyan -, s’en prenant aux statuettes de divinités africaines millénaires. Puis ce fut le tour des amulettes et des grigris, avant la profanation des tombes et des mausolées.
Purificateurs
Les djihadistes ne cessent de prôner l’esthétique de la laideur et la culture de la mort.
Rien n’empêche désormais ces purificateurs de brûler les manuscrits de Tombouctou, qu’ils jugeraient « hérétiques ». Et pourquoi pas remplacer le bambara et le songhaï par l’arabe ? Pourquoi pas sortir de la tête des enfants les contes de griots et interdire les palabres sous prétexte qu’elles brouilleraient le message de la charia ? Entre-temps, les salafistes s’emploieraient à couvrir les Africaines de la tête au pied. Enfermez-moi donc toutes ces graines du diable qui s’obstinent à se faire de jolies nattes et à gambader comme des gazelles ! Brûlez-moi ces tissus en bogolan et ces boubous en basin. La musique ? La voix du muezzin remplacera la kora et le n’goni. Fêter les récoltes au pas du soumou ? Vous plaisantez ? Les danses masquées ? Vous savez bien que le seul masque qui vous sied est le tchador !
Ainsi serait l’Afrique d’Aqmi et d’Ansar Eddine – dont le nom signifie « défenseurs de la religion », mais qui, en réalité, en sont les pires détracteurs. Plutôt que de se souvenir, comme le clame l’adage, que « Dieu est beau et aime la beauté », les djihadistes ne cessent de prôner l’esthétique de la laideur et la culture de la mort. Alors, le jour où l’Afrique sera l’Africanistan, on y perdra non seulement l’âme du continent mais la mémoire du monde. Et l’on parlera, à raison, du plus grand crime contre l’humanité.
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