Pourquoi le choix de Sultan Ahmed Al Jaber pour présider la COP28 émiratie fait polémique

La nomination à la tête de la prochaine conférence sur le climat de celui qui cumule déjà les casquettes de ministre émirati de l’Industrie et de patron du géant pétrolier ADNOC inquiète les défenseurs de l’environnement, qui soulignent ses nombreuses déclarations en faveur des énergies fossiles.

Sultan Ahmed Al Jaber, patron de l’ADNOC et président de la COP28 émiratie, aux côtés de John Kerry, envoyé spécial de Joe Biden pour le climat, lors d’un forum sur l’énergie, à Abou Dhabi, le 14 janvier 2023. © KARIM SAHIB/AFP

Sultan Ahmed Al Jaber, patron de l’ADNOC et président de la COP28 émiratie, aux côtés de John Kerry, envoyé spécial de Joe Biden pour le climat, lors d’un forum sur l’énergie, à Abou Dhabi, le 14 janvier 2023. © KARIM SAHIB/AFP

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Publié le 1 février 2023 Lecture : 5 minutes.

À 49 ans, Sultan Ahmed Al Jaber est une personnalité en vue dans son pays, les Émirats arabes unis, où il cumule plusieurs casquettes, en politique comme à des postes à responsabilités dans l’industrie de l’énergie. Pourtant personne n’aurait parié sur sa nomination à la tête de la COP28, qui va être organisée à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023.

En effet, l’actuel ministre émirati de l’Industrie et des Technologies avancées est avant tout PDG du géant pétrolier national, ADNOC (Abu Dhabi National Oil Company), depuis 2016. Pas forcément le profil idéal, sur le papier du moins, pour porter une conférence mondiale entièrement tournée vers la lutte contre le changement climatique et la réduction des émissions polluantes.

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À la tête de l’ADNOC, Al Jaber a rapidement transformé l’entreprise, améliorant sa performance globale et sa rentabilité. Ce n’est d’ailleurs pas sa compétence commerciale qui inquiète ses détracteurs mais bien ses positions radicalement pro-énergies fossiles régulièrement réaffirmées, lesquelles envoient le mauvais message. Une impression renforcée par le fait que, selon la Banque mondiale, son pays était le quatrième plus grand pollueur par habitant au monde en 2019.

Autant dire que le choix de placer Al Jaber à la tête de la COP28 fait grincer des dents du côté des militants écologistes. Il paraît toutefois cohérent avec la politique des Émirats, désignés pour accueillir la conférence. Une politique que résume ainsi le principal intéressé au lendemain de sa nomination, le 12 janvier dernier : « Les politiques visant à se désinvestir des hydrocarbures trop tôt, sans alternatives viables adéquates, sont autodestructrices. Nous apporterons une approche pragmatique, réaliste et axée sur les solutions. »

En mettant en avant cette idée de « solutions » , Sultan Al Jaber fait probablement allusion à une de ses autres casquettes – qui sont nombreuses –, celle de fondateur de Masdar, une entreprise publique d’énergies renouvelables basée à Abou Dhabi qui a investi dans plus d’une quarantaine de pays depuis sa création en 2006. Son objectif : faire progresser l’énergie durable dite « propre », en investissant dans des projets d’infrastructures à travers le monde, notamment en Afghanistan, aux Tonga et aux Seychelles.

Masdar City, utopie écologique ou mirage ?

Poussant encore plus loin son concept, l’entreprise est par ailleurs à l’origine de Masdar City, un projet urbain de 6 km carrés à faible émission de carbone, situé à 20 km du centre-ville d’Abou Dhabi. La ville durable, qui a recours à la fois à des pratiques d’urbanisme et d’architecture durables et à des technologies et matériaux de construction écologiques, abrite un campus géré en partenariat avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT).

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Véritable vitrine « verte » des Émirats et preuve de l’engagement écologiste d’Al Jaber, le projet aura coûté pas moins de 2 milliards de dollars. Problème : dix-sept ans après le lancement du chantier, Masdar City tient plutôt de la « ville fantôme », peu attractive et souffrant de plusieurs dysfonctionnements. Loin de l’utopie écologiste promise dans les spots publicitaires, Masdar City pourrait n’être, assure ses détracteurs, qu’un coup de marketing.

C’est pourtant en grande partie l’image de Masdar qui a permis aux Émirats d’accueillir la COP28. Comme l’a révélé le Washington Post, l’entreprise a passé un contrat avec la société de communication mondiale BCW pour « s’engager dans des activités de communication stratégiques pour soutenir les EAU dans leur rôle de pays hôte en 2023 pour la COP28 ».

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Lors de la campagne organisée pour promouvoir la candidature d’Abou Dhabi, l’agence internationale de relations publiques a mis en avant deux arguments principaux : le rôle essentiel qu’a joué Al Jaber dans la décarbonisation d’ADNOC et les différents projets du pays (représentant des investissements de 50 milliards de dollars) dans l’énergie renouvelable à l’international.

L’entreprise BCW tient à préciser : « Cet engagement [avec Masdar, NDLR] a pris fin le 23 décembre 2022 ». BCW serait « en train de mettre à jour son enregistrement FARA pour refléter la conclusion de cet engagement conformément aux délais de dépôt supplémentaires. »

Lobby des énergies fossiles

Dans un contexte où chaque nouvelle édition de la COP voit croître l’influence des lobbyistes du secteur pétrolier et gazier, beaucoup d’écologistes considèrent le choix d’Al Jaber, qui est à la tête de l’un des leaders mondiaux de l’industrie des combustibles fossiles et ne manque pas une occasion de plaider pour les hydrocarbures, comme une provocation. En novembre dernier, lors de la COP27 organisée à Charm el-Cheikh, plusieurs observateurs avaient déjà souligné la présence accru de lobbyistes des hydrocarbures et voient ainsi leurs soupçons confirmés.

D’après l’ONG Global Witness, la délégation nationale la plus importante présente en Égypte était celle des Émirats arabes unis. Et sur ses 1 070 membres, 70 étaient, selon elle, des acteurs clés de l’extraction des énergies fossiles. D’autant plus inquiétant que le bilan de la COP27, tantôt qualifié de « mitigé », tantôt de « décevant » par les scientifiques, n’a pas réussi à faire progresser la réduction des émissions de gaz à effet de serre afin de maintenir l’objectif de limiter le réchauffement de la planète.

ADNOC a financé les études d’Al Jaber

Le choix d’Al Jaber inquiète donc, dans la mesure où il est à la fois le représentant officiel de la politique écologique de son pays et du projet commercial à long terme de la compagnie pétrolière dont il tient les rênes, l’ADNOC. On peut même ajouter que ce qui ressemble déjà à un conflit d’intérêts majeur ne s’arrête pas là. Sultan Ahmed Al Jaber doit en effet beaucoup à l’ADNOC à titre personnel. Sa formation américaine (baccalauréat en génie chimique de l’Université de Californie du Sud, puis MBA de l’Université d’État de Californie), a été financée par une bourse de la compagnie pétrolière nationale. Un parcours académique complété par un doctorat en commerce et économie à l’Université de Coventry.

Le patron de la COP28 est également membre du conseil d’administration de la chaîne d’information en continu Sky News Arabia, qui promettait en 2012 de « changer la carte médiatique dans le monde arabe », propriété de Cheikh Mansour Ben Zayed Al Nahyan, frère du président émirati Mohammed Ben Zayed Al Nahyan (MBZ). Parallèlement, il est président du Conseil national des médias des Émirats arabes unis, l’agence publique responsable des activités médiatiques, membre du conseil d’administration d’Emirates Global Aluminium Company et patron du port d’Abou Dhabi.

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