Palestine : Hani Zurob, l’exil et la demeure
Depuis six ans, le peintre d’origine palestinienne Hani Zurob a trouvé refuge en France. Victime des frontières, il s’en affranchit grâce à ses créations.
Hani Zurob exilé en France, c’est un point de plus pour Israël dans l’interminable conflit qui trouble le Moyen-Orient. Pendant trente-cinq ans, le peintre gazaoui a d’abord subi la tyrannie du territoire : celui où l’on se réfugie, celui où l’on est bloqué, celui d’où l’on est chassé. Il cherche désormais à s’en rendre maître dans ses tableaux. La bibliothèque de sa maison dans le camp de Rafah (bande de Gaza) fut la première d’une série de geôles. Il a 10 ans lorsque éclate la première Intifada, en 1987. Couvre-feu. « Il faisait noir parce que l’on devait fermer les deux rangées de volets, raconte Zurob en balançant légèrement la tête, le front plissé. La bibliothèque était sécurisante. Je recopiais les illustrations des livres. Je crois que c’est là que je suis devenu artiste. »
Aujourd’hui, il travaille en résidence dans un atelier de Bobigny, au nord-est de Paris. Il peint à l’Espace Che Guevara, au son des tramways qui empruntent le boulevard Lénine. Voilà qui plairait à son père communiste, qui l’a toujours encouragé. Depuis 2010, Zurob réalise une série de tableaux intitulée Flying Lesson. Appuyées au mur, deux toiles représentent son fils de 4 ans, Qoudsi (« le Jérusalémite »), ignorant l’hélicoptère qui le domine ou la passerelle d’avion qui s’étend vers lui. Zurob s’intéresse aux moyens de transport depuis que son fils lui a demandé pourquoi il n’accompagnait jamais sa mère, qui se rend tous les six mois à Jérusalem. Elle y est contrainte par les lois israéliennes pour ne pas perdre sa maison, quand son mari n’a pas le droit d’y aller. Comme tous les réfugiés, il porte des « documents de voyage » jordaniens. On lui a bien suggéré de devenir apatride pour faciliter ses démarches, mais il a refusé. La nationalité est aussi un territoire dans lequel on s’inscrit. Celle de Qoudsi est « indéterminée », bien qu’il soit né à Paris…
Second territoire clos dans la vie du peintre : la Cisjordanie. Naplouse, où il étudie les arts plastiques à l’université An-Najah à partir de 1994. Aucun musée, aucun étudiant étranger, pas encore d’internet. Ramallah, où il s’installe et expose pour la première fois en 2001, est une cage plus dorée. Pendant cinq ans, en peignant à l’huile ou à l’acrylique, il devient « le jeune artiste palestinien » invité dans de nombreuses manifestations. Son travail quitte alors la symbolique classique de la résistance pour devenir plus conceptuel. « Ma première exposition à l’étranger ? Je ne m’en souviens pas, puisque je n’ai jamais eu le droit de me déplacer. » Pour vivre, Zurob illustre des manuels scolaires et enseigne l’art. Un soir de 2002, il découvre un autre enfermement dont il n’a « pas très envie de parler ». L’armée israélienne saccage son appartement et emprisonne les artistes qui le partageaient. Il est incarcéré pendant cinquante-cinq jours, sans explication ni excuses. En 2004, il commence la série Siege, des toiles colorées et agitées où il représente son corps désarticulé. « Je me peins non par narcissisme, mais parce que ma biographie ressemble à celle de tous les Gazaouis… »
Hani Zurob rejoint Paris en 2006. La Cité internationale des arts lui offre son premier atelier. Il découvre des matériaux et des artistes auxquels il n’avait jamais eu accès. « Cette fucking occupation gâche les talents, soupire-t-il. Elle prend la terre mais aussi la vie. » Depuis, il vit de la vente de ses toiles (entre 3 000 et 12 000 euros). Il a exposé à Dubaï, en Corée du Sud, au Sénégal, en Suisse… « C’est quelqu’un de sérieux, ambitieux mais modeste », dit de lui son compatriote l’artiste Taysir Batniji. « En France, j’ai progressé beaucoup plus vite et j’ai pu devenir un artiste international », explique le frêle Zurob, qui décline les expositions associatives au profit exclusif d’un univers professionnel et critique.
Depuis la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes en 2006, il ne peut plus retourner en Cisjordanie. « L’exil, c’est la continuation de la stratégie israélienne de 1948 », dit-il. Dans un court texte qui présente sa démarche, il évoque « une vie de déplacements » qui, une fois peints, n’ont plus ni date ni contexte politique mais tendent à l’universel. « En exil, explique Batniji, nos oeuvres deviennent un nouveau chez-nous. Un espace pour compenser l’absence du pays. »
Mais Zurob dispose tout de même d’un territoire où il est bien : un rare sourire apparaît lorsqu’il évoque Sabreen, épousée à Ramallah en 2005, sans sa famille, cadenassée à Gaza. Pour elle et Qoudsi, il veut obtenir la nationalité française. Ce sera plus facile pour se rendre dans leur pays… et réparer les blessures. « Après trois heures à retracer tout ça, mon coeur est brisé… »
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