France : Hollande et les Arabes
Gilles Kepel est politologue français, spécialiste de l’islam et du monde arabe
Au cours de sa campagne électorale, François Hollande n’a pas été très explicite sur les enjeux de politique étrangère. S’il a choisi de faire le moins possible de promesses, c’est parce que la conjoncture les rend difficiles à tenir, bien sûr, mais aussi parce que la question des frontières et de la mondialisation suscite de l’inquiétude chez de nombreux Français. Les relations avec le monde arabe se prêtent davantage à une politique publique une fois qu’on est élu qu’à des déclarations préalables qui risquent d’être interprétées dans des sens différents.
Contrairement à l’électorat aisé, qui, lui, en bénéficie, l’électorat populaire pâtit de la mondialisation. Il y a une très grande angoisse liée aux délocalisations et aux pertes d’emplois. Français de souche ou d’origine étrangère, les ouvriers sont tous frappés par le chômage. L’extrême droite considère que les autorités en font trop pour les banlieues populaires – sous-entendu : par crainte que les jeunes immigrés ne cassent des voitures -, alors que rien n’est fait pour résoudre les graves problèmes sociaux dont souffre le monde rural. C’est cette dimension du problème qui a rendu le candidat Hollande prudent, même s’il s’est montré très attentif à la question des banlieues, de l’intégration et de l’ascension sociale.
Et puis, il y a eu l’affaire Mohamed Merah, produit hybride de la salafisation d’une petite minorité et de l’apparition d’une troisième génération de djihadistes inspirés par Abou Moussab al-Souri, l’idéologue d’Al-Qaïda. On sait que celui-ci ne prône plus un djihadisme hiérarchisé, mais un terrorisme de réseau, ou de proximité… Le fait que Merah s’en soit pris, aussi, à des musulmans a empêché toute cristallisation autour de sa personne et a renforcé la volonté des musulmans français de participer à la présidentielle, face à celui qui s’est dressé contre les valeurs de la République. Hollande ne s’est pas exprimé, parce que ses adversaires n’ont tiré aucun profit de cette affaire.
À l’inverse de leurs dirigeants religieux, les musulmans français votent à gauche.
La polémique « halal » a traduit en termes identitaires les peurs des Français et un certain nombre d’enjeux propres à l’islam de France. Avec la montée en puissance de groupes radicaux qui, en pratiquant un halal de plus en plus rigoriste, s’efforcent d’exercer leur hégémonie sur les autres musulmans et de diriger la communauté, on ne sera pas à l’abri, dans quelques mois, d’un nouveau débat sur le halal, car celui-ci conduit, entre autres, à créer une distance entre l’école publique et les enfants de familles musulmanes. C’est un handicap, un obstacle radical à l’intégration et à l’ascension sociale.
Il faut également souligner le décalage entre la majorité des musulmans français, qui votent socialiste, et les dirigeants religieux, ceux notamment du Makhzen marocain, qui ont appelé à voter à droite. Pour les législatives, l’UMP [Union pour un mouvement populaire, NDLR] est mobilisée contre le vote communautaire et ancre sa campagne à droite, sur les questions de l’immigration et du maintien des frontières dans un but protectionniste. Ces situations liées aux bouleversements dans le monde arabe influent indirectement sur la politique française. Elles sont dues à une influence extérieure, sans que la politique étrangère soit concernée.
Si François Hollande a peu parlé des révolutions arabes, celles-ci ont pourtant été très présentes dans la campagne. Le ralliement des Arabes à un jeu politique plus démocratique crée une osmose entre les deux rives de la Méditerranée. On remarque au passage que dix députés de l’Assemblée constituante tunisienne sont nés en France… Et que les drapeaux algériens, syriens, tunisiens ou égyptiens étaient nombreux place de la Bastille, le 6 mai… On peut y voir deux choses. D’abord, que la France de Hollande sera aussi celle des immigrés, avec le risque de renforcer le Front national. Ensuite, que les politiques menées sur la rive sud sont réfléchies par les élections françaises. La présence de l’Europe et de la France est très importante dans les révolutions arabes. Même Ennahdha est soumise, de l’intérieur, à des forces de modernité, alors que les révolutions arabes posent un problème, un an et demi après leur déclenchement, aux pays qui ne les ont pas faites.
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