Gouvernement français : pourquoi Laurent Fabius ?
François Hollande a choisi de nommer au Quai d’Orsay Laurent Fabius, l’un de ses vieux rivaux socialistes, plutôt que Pierre Moscovici, longtemps donné favori. Quelles sont les raisons de ce choix ? Et quelles en seront les conséquences diplomatiques ?
« Je développerai la relation de la France avec les pays de la rive sud de la Méditerranée sur la base d’un projet économique, démocratique et culturel. Je romprai avec la Françafrique en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité. Je relancerai la Francophonie. » C’est en ces termes que François Hollande abordait la question de l’Afrique dans le cinquante-huitième de ses soixante engagements en tant que candidat à la présidence de la République.
Élu le 6 mai et entré en fonction le 15 à la place de Nicolas Sarkozy, qui, lors de son fameux discours de Cotonou, en mai 2006, avait promis, avec le succès que l’on sait, de « construire une relation nouvelle, assainie, décomplexée, équilibrée, débarrassée des scories du passé et des obsolescences qui perdurent de part et d’autre de la Méditerranée », le nouveau chef de l’État a donc lui aussi exprimé son désir de rompre avec le passé. Peut-on croire qu’il réussira là où tant d’autres ont échoué ?
Si la « rupture » promise par Sarkozy n’a pas fonctionné, certains se demandent déjà si Hollande sera en mesure d’appliquer son slogan de campagne – « Le changement, c’est maintenant » – à la diplomatie africaine de la France.
Ancien chef du gouvernement de François Mitterrand
La nomination de Laurent Fabius à la tête du ministère des Affaires étrangères n’a rien, a priori, pour les rassurer. Prisonniers de la cuisine politique interne au Parti socialiste, François Hollande et Jean-Marc Ayrault, son Premier ministre, se devaient de donner à l’ancien chef du gouvernement de François Mitterrand un portefeuille de tout premier plan au sein de la nouvelle équipe. Pour les sujets prioritaires, éducation et économie, le président a préféré placer des hommes dont il se sent proche, Vincent Peillon et Pierre Moscovici, plutôt qu’un Laurent Fabius qui, il n’y a pas si longtemps, déclarait : « François Hollande président ? On rêve. » Ce dernier a donc hérité du Quai d’Orsay, où il risque d’incarner la continuité plutôt que le « changement » annoncé – notamment dans les rapports entre la France et l’Afrique. Fabius a une longue expérience au sommet de l’État. En 1981, il fut ministre délégué au Budget dans le premier gouvernement de Pierre Mauroy, puis ministre de l’Industrie et de la Recherche (1983-1984), avant de devenir, à 37 ans, le plus jeune Premier ministre de la Ve République. Il comptait dans son cabinet le Franco-Béninois Lionel Zinsou, devenu patron du fonds d’investissement PAI Partners, qui dispose de solides relations en Afrique.
Pendant la campagne électorale, Fabius a représenté Hollande à l’étranger. Il n’était donc pas anormal qu’il reprenne à son compte le discours du candidat et appelle à « en finir avec la politique des coups, les effets d’annonce sans suite et les méandres de la Françafrique ». Mais ce fils d’un riche antiquaire parisien, éternel premier de la classe, fait aussi partie de ces ténors socialistes qui, au fil des années, ont tissé nombre de liens sur le continent. Le premier voyage de campagne de Fabius, le 14 février, l’a conduit à Libreville, où il s’est félicité des « excellentes relations » franco-gabonaises et a souhaité « qu’elles se développent dans le futur ».
Cette déclaration a semé le doute sur les réelles intentions du candidat, y compris chez les proches du Parti socialiste. « Avoir choisi le Gabon pour son premier voyage ne témoigne pas, c’est le moins qu’on puisse dire, d’une grande volonté d’en finir avec la Françafrique », avait commenté Jean-Christophe Rufin dans les colonnes de Jeune Afrique. L’association Survie, qui milite pour une remise à plat des rapports franco-africains, s’en était même inquiétée auprès de Hollande. Selon elle, cette visite témoignait d’une « doctrine hésitante » et augurait bien mal de la suite.
Alger d’abord ?
Fabius compte de nombreuses amitiés à Alger. Beaucoup plus qu’à Rabat, ce qui devrait permettre de relancer le dialogue franco-algérien. À tel point que, pour son premier voyage sur le continent en tant que président, il n’est pas exclu que Hollande se rende en Algérie. Au Quai d’Orsay, Fabius jouera-t-il le changement ou le statu quo ? Il est évidemment trop tôt pour le dire, mais ses premiers pas seront examinés à la loupe par tous ceux qui attendent beaucoup de la nouvelle équipe. « C’est pour corriger, ou tenter de corriger, les responsabilités de la France dans la dérive du continent que Hollande est attendu. Il a les hommes et les femmes pour accomplir cette mission », estime par exemple le quotidien malien Le Républicain dans son édition du 17 mai.
Reste que l’Afrique n’est pas la priorité du président. En première ligne sur son agenda figure, bien sûr, la crise européenne, mais aussi le retrait d’Afghanistan. Il a promis de retirer les troupes françaises de ce pays d’ici à la fin de l’année. Ce devrait être l’une de ses premières mesures phare. Est-ce pour cela qu’il a choisi comme conseiller diplomatique Paul Jean-Ortiz ? Depuis septembre 2009, ce dernier est à la tête de la direction Asie et Océanie du ministère des Affaires étrangères. Passionné par la civilisation chinoise, il « accompagnera François Hollande dans ses contacts internationaux », précise le communiqué annonçant sa nomination.
Ce choix n’est nullement anodin. Il fournit une indication quant aux futures priorités de la diplomatie française et témoigne d’une indiscutable cohérence avec la désignation de Fabius. À la différence de Pierre Moscovici, dont le nom avait circulé avec insistance pour le Quai d’Orsay, l’ancien président de l’Assemblée nationale s’inscrit dans la tradition gaullo-mitterrandienne d’une France refusant de se plier aux volontés américaines. Il ne fait guère de doute que ses positions seront moins atlantistes que celles du précédent gouvernement. Notamment au Moyen-Orient.
En choisissant comme directeur de cabinet Denis Pietton, fin connaisseur du monde arabe mais aussi des relations transatlantiques, Laurent Fabius a sans doute donné l’une des clés pour comprendre quelle sera sa politique.
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