Israël : personnalités non grata

Critiquer la politique d’Israël n’est pas sans conséquence, comme l’ont appris à leurs dépens, ces dernières années, plusieurs intellectuels et artistes de renom.

L’allemand Günter Grass, le 5 avril à Behlendorf. © Marcus Brandt/AFP

L’allemand Günter Grass, le 5 avril à Behlendorf. © Marcus Brandt/AFP

perez

Publié le 30 mai 2012 Lecture : 4 minutes.

« Pourquoi me suis-je tu aussi longtemps ? Parce que je croyais que mes origines, entachées de crimes à jamais impardonnables, m’interdisaient d’exprimer cette vérité, d’oser reprocher ce fait à Israël, un pays dont je suis et veux rester l’ami. Pourquoi ne dis-je que maintenant, vieux, dans un ultime soupir de mon stylo, que la puissance nucléaire d’Israël menace la paix mondiale déjà fragile ? Parce qu’il faut dire ce qui, dit demain, pourrait déjà l’être trop tard. » Le mois dernier, c’est ce poème de l’écrivain allemand Günter Grass, intitulé Ce qui doit être dit, qui a déclenché les foudres de l’État hébreu. Sombre visionnaire, le Prix Nobel de littérature, âgé de 84 ans, y dénonce les menaces de frappes israéliennes contre les installations nucléaires iraniennes, qu’il interprète comme un projet pouvant mener à « l’éradication du peuple iranien ».

Passe d’armes

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Venant d’un homme ayant reconnu quelques années plus tôt que, adolescent – il avait 17 ans -, il avait rejoint les Waffen SS, cette conclusion a révolté de nombreux responsables israéliens. « Nous souhaitons vivre en paix avec nos voisins dans la région. Nous ne sommes pas prêts à endosser le rôle que Günter Grass nous attribue dans le processus engagé par le peuple allemand pour vivre en paix avec son histoire », répond le porte-parole de l’ambassade israélienne à Berlin, Emmanuel Nahshon. Sauf que Günter Grass n’a rien d’un apôtre du nazisme. Au même titre que des milliers de jeunes Allemands que Hitler voulait sacrifier pour la nation, il avait été enrôlé de force dans la Wehrmacht au moment de l’agonie du IIIe Reich. Il n’empêche, le ministre israélien de l’Intérieur, Eli Yishai, voit dans l’oeuvre du poète une tentative de « nourrir les flammes de la haine envers l’État d’Israël et son peuple ». Le 8 avril, il a déclaré le romancier allemand persona non grata sur le territoire israélien. « Si Günter veut continuer à disséminer ses oeuvres déformées et mensongères, je lui conseille de le faire depuis l’Iran, où il trouvera une opinion qui le soutient », ajoute Yishai.

Par terre, air… et mer!

Il n’y a pas qu’à l’aéroport de Tel-Aviv et dans ses postes-frontières qu’Israël malmène les personnalités qui contestent sa politique. Comme l’ont illustré les deux épisodes de la flottille pour Gaza, notoriété ne rime pas forcément avec immunité. L’écrivain suédois Henning Mankell en a fait l’amère expérience en prenant part, en mai 2010, à la première expédition qui visait à briser le blocus de l’enclave palestinienne. Alors que l’assaut mené contre le Mavi Marmara entraînait la mort de neuf militants turcs, Mankell était appréhendé à bord d’un autre navire de la flottille. « Que se passera-t-il lorsque nous viendrons avec des centaines de bateaux ? Lanceront-ils une bombe atomique ? » avait-il ironisé. Après une brève incarcération, l’intellectuel avait été expulsé du territoire de l’État hébreu en compagnie de huit autres ressortissants suédois. Sa mésaventure ne l’a pas empêché d’appareiller, l’année suivante, dans la seconde « flottille de la liberté ».

Tout en dénonçant la comparaison entre l’Iran et l’État hébreu, plusieurs personnalités allemandes jugent que la polémique autour de Günter Grass a été exagérée. L’intéressé lui-même se repent, quelques jours plus tard, en admettant qu’il formulerait différemment ses propos « pour dire plus clairement qu’ils visaient le gouvernement de Benyamin Netanyahou ». En Israël, le quotidien Haaretz évoque une « réaction hystérique » des autorités, qui n’en sont pourtant pas à leur coup d’essai.

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Tradition israëlienne

En mai 2010, le linguiste américain Noam Chomsky arrive d’Amman au poste d’Allenby, à la frontière israélo-­jordanienne. Après être longuement questionné sur ses positions « anarchistes », il se voit refuser l’accès aux territoires palestiniens, où il était attendu pour donner une conférence à l’université de Bir Zeit, près de Ramallah. « Il s’agissait d’une simple erreur technique », s’est ensuite excusé le ministère israélien de l’Intérieur. Passablement irrité, Noam Chomsky a jugé que l’épisode « prouve que les actions d’Israël sont totalement irrationnelles ».

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Peu de temps avant lui, le célèbre clown espagnol Ivan Prado avait connu le même sort. Après un interrogatoire de six heures à l’aéroport de Tel-Aviv, l’humoriste a été refoulé au prétexte qu’il « entretient des liens avec des organisations terroristes palestiniennes ». L’épisode écorne sérieusement l’image d’Israël en Espagne.

En mai 2008, l’universitaire juif américain Norman Finkelstein, fervent adversaire de l’occupation israélienne et auteur notamment de L’Industrie de l’Holocauste (La Fabrique, 2001), a été renvoyé à Amsterdam après un passage de plusieurs heures dans une cellule de la police d’immigration. Il s’est ensuite vu notifier une interdiction de séjour de dix ans sur le territoire de l’État hébreu. Enfin, en juin 2004, le journaliste britannique Peter Houman a été placé en détention provisoire à son arrivée dans le pays, avant d’être expulsé. Il était accusé d’avoir échangé des lettres avec Mordechai Vanunu – emprisonné par Israël pour avoir révélé l’existence de son programme nucléaire -, en vue de recueillir et de publier dans la presse des informations secrètes. Le journaliste dénoncera un traitement humiliant, dont Israël « devrait avoir honte ».

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Maxime Perez, à Jérusalem

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