Présidentielle égyptienne : la bataille de l’image

Lors de la campagne présidentielle précédant le scrutin du 23 et 24 mai, les candidats ont multiplié apparitions et spots télévisés pour mieux se faire connaître du grand public. Une grande première.

Amr Moussa et Abdel Moneim ont débattu en direct pendant plus de quatre heures. © Gianliugi Guercia/AFP

Amr Moussa et Abdel Moneim ont débattu en direct pendant plus de quatre heures. © Gianliugi Guercia/AFP

Publié le 23 mai 2012 Lecture : 5 minutes.

L’époque où l’ancien dictateur Hosni Moubarak prenait la parole à la télévision pour des discours creux est désormais révolue. Quelques jours avant l’élection présidentielle, dont le premier tour a lieu les 23 et 24 mai, les Égyptiens ont connu leur premier débat télévisé entre candidats. Les deux favoris du scrutin, Amr Moussa, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, et Abdel Moneim Aboul Foutouh, ex-cadre de l’influente confrérie des Frères musulmans, se sont ainsi affrontés pendant plus de quatre heures le 10 mai.

Mais ce débat sans précédent ne représente qu’un jalon de plus dans la campagne présidentielle, officiellement lancée le 1er mai. Depuis plusieurs mois déjà, la bataille fait rage sur le petit écran. Avec un taux de pénétration de près de 90 %, la télévision reste le principal moyen de communication des candidats pour atteindre les électeurs. S’il n’y a pas en Égypte d’instruments de mesure d’audience, les talk-shows politiques, qui se comptent par dizaines, sont très populaires, et leurs présentateurs sont considérés comme de véritables stars.

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"Les médias jouent un rôle essentiel"

« Les gens ne lisent pas les programmes électoraux. C’est la télévision qui permet aux citoyens de découvrir un candidat et ses idées », explique la célèbre blogueuse Zeinobia. C’est donc sans surprise que les candidats se pressent sur les plateaux pour se faire connaître du grand public. « Les médias jouent un rôle essentiel », confirme Mavie Maher, responsable de campagne de Hamdine Sabahi, candidat nassérien. D’après la jeune femme, « les apparitions télévisées de l’ancien militant ont eu un grand impact, surtout ces deux dernières semaines. On le ressent quand on va à la rencontre des gens ». Une opinion partagée par Naila Hamdy, professeure de journalisme et de communication à l’université américaine du Caire. « Khaled Ali, populaire chez les ouvriers et les jeunes révolutionnaires, était presque inconnu du grand public. Il a été interviewé sur une chaîne privée et il a plu à beaucoup de téléspectateurs qui l’ont découvert à cette occasion », explique-t-elle. Selon Naila Hamdy, les prestations médiatiques des candidats ne vont pas faire changer d’avis ceux qui ont des convictions bien arrêtées, mais elles vont aider les indécis à faire leur choix. « Ce sont eux que les candidats visent en priorité », conclut-elle. Les indécis restent particulièrement nombreux, puisque, d’après un sondage publié le 10 mai par le quotidien indépendant Al-Chourouk, 33,6 % des Égyptiens ne savent pas encore pour qui ils vont voter.

Autre phénomène nouveau, les clips de campagne, que les téléspectateurs ont découverts entre deux publicités pour des marques de lessive. « Ces spots sont très importants », insiste Bassem Sabry, blogueur et journaliste. « Un candidat peut être invité sur un plateau télé, et faire des erreurs. Mais un clip de campagne, long de deux, trois minutes et rediffusé en permanence, lui permet de figer son message et son programme », affirme-t-il.

Le candidat de l’ancien régime, Ahmed Shafiq, met ainsi l’accent sur le chaos et le désordre qui règnent dans le pays depuis la révolution. Quant à Abdel Moneim Aboul Foutouh, il fait preuve de créativité avec un clip inspiré d’une opérette de marionnettes du célèbre compositeur égyptien Sayed Mekkawy. Le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, s’efface totalement pour céder la parole aux citoyens, alors qu’Amr Moussa, qui se prévaut de sa qualité d’ex-ministre des Affaires étrangères, entame un dialogue avec des électeurs représentatifs de la « diversité égyptienne ». « En tant que femme musulmane libérale, je n’ai pas aimé le spot de Shafiq, confie Naila Hamdy. Il insiste sur le fait que le pays a besoin d’un homme. Je n’ai pas aimé non plus celui de Mohamed Morsi, qui ne montre que des femmes voilées. J’ai préféré le clip de Moussa, qui met en scène un dialogue. Inconsciemment, ce clip véhicule l’idée qu’il va écouter les citoyens et leur donner la parole. »

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Mais tous les candidats ne sont pas logés à la même enseigne. Si la haute commission chargée de l’organisation de l’élection présidentielle supervise le temps d’antenne de chaque prétendant sur les chaînes étatiques, elle n’est pas en mesure de le faire sur les centaines de canaux satellitaires. Sur les douze candidats, quatre seulement sont parvenus à monopoliser l’attention des médias : les deux favoris, Moussa et Aboul Foutouh, mais aussi le candidat des Frères, Mohamed Morsi, et enfin celui de l’ancien régime, Ahmed Shafiq. Arrivent ensuite les candidats « révolutionnaires », à qui l’on donne la parole presque de manière symbolique : Hamdine Sabahi et Khaled Ali, populaires auprès des ouvriers et des jeunes. S’y ajoute Mohamed Selim al-Awa, qui se décrit comme un « intellectuel et penseur musulman ». Quant aux cinq autres candidats, ils sont quasi inconnus du grand public. « Les médias se concentrent sur les favoris des sondages. Ce sont ainsi ceux que l’on voit le plus », observe Omar Shoeb, ancien producteur de la très populaire émission politique Baladna bel Masry (« notre pays »).

Logiques économiques

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De son côté, Bassem Sabry estime que les choix sont aussi fonction de logiques économiques. « Les chaînes invitent les candidats importants, dont la présence est susceptible d’attirer les téléspectateurs, et donc les investissements publicitaires », analyse le blogueur, qui indique cependant qu’il aurait souhaité « qu’un débat au moins soit organisé entre ces candidats pour que l’on sache qui ils sont ».

Autre problème avec lequel doivent composer les électeurs : le manque d’objectivité d’un bon nombre de présentateurs et de journalistes vedettes. S’ils sont nombreux à avoir déclaré ne pas vouloir révéler leur choix personnel, il n’est jamais difficile de deviner leur préférence. « La subjectivité est devenue une règle générale, déplore Omar Shoeb. On le voit aux questions qui sont posées. Au début de la révolution, les gens s’en plaignaient. Mais aujourd’hui, ce n’est même plus le cas tant cette subjectivité a été intériorisée par les téléspectateurs. Alors que nous sommes à un moment où nous avons plus que jamais besoin d’objectivité ! » Un manque d’objectivité qui s’explique peut-être par la complicité entre la classe politique, le monde médiatique et la sphère économique. « Les Frères musulmans ont leur chaîne de télévision, beaucoup de chaînes privées appartiennent à des hommes d’affaires proches de l’ancien parti de Moubarak », regrette Zeinobia.

Quant à Hoda Zakareya, professeure de sociologie politique à l’université de Zagazig, elle ne peut s’empêcher de relever une certaine lassitude chez les téléspectateurs. « Les gens suivent l’élection présidentielle, mais ils attendent impatiemment qu’elle ait lieu pour passer à autre chose, explique-t-elle. Les médias parlent de Constitution, de droit, de charia, alors que les citoyens veulent avant tout un président à même d’apporter une solution à l’insécurité et de restaurer le prestige et l’autorité de l’État. » 

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