Maroc : dans la roue de Renault
Le Maroc souhaite profiter de l’élan donné par le démarrage de l’usine du constructeur français Renault. Mais, si l’emploi est au rendez-vous, les fournisseurs locaux restent encore peu sollicités. Enquête à Tanger et Casablanca.
Automobile : l’Afrique dans la course
Le 14 mars, un navire a traversé le détroit de Gibraltar avec à son bord les 2 500 premières voitures fabriquées au Maroc par Renault Tanger. Six ans après l’annonce du projet par le PDG Carlos Ghosn, la grande usine low cost de Renault au Maroc est opérationnelle depuis le début de l’année, avec plus de 3 000 salariés à pied d’oeuvre sur le site de Melloussa, à 25 km de Tanger et 12 km du port. Elle aura coûté 950 millions d’euros à Renault et devrait produire 340 000 véhicules par an dès 2014.
Dirigé par le Turc Tunç Basegmez, un ancien cadre de l’usine de Bursa, au sud d’Istanbul, Renault Tanger a obtenu le 27 janvier l’accord de la direction de la qualité du groupe pour la fabrication de son premier véhicule : le Lodgy, un monospace économique conçu sur la base de la Dacia Logan. Depuis, le rythme s’accélère. Les chaînes de production, qui fabriquaient dix véhicules par heure en janvier, avaient triplé leur cadence début avril. « Nous sommes en train de roder notre outil industriel, notre logistique et nos relations avec les fournisseurs. C’est remarquable, nous n’avons pas connu plus de problèmes qu’une usine expérimentée ! » se réjouit Tunç Basegmez.
L’industrie marocaine dans le sillage de Renault
Au-delà du démarrage de Renault Tanger, c’est un pan entier de l’industrie marocaine qui espère être entraîné dans son sillage. Les autorités ont fait de l’automobile l’un des piliers du plan Émergence industrielle, en raison de la ramification étendue du réseau local de fournisseurs. Le secteur pèse déjà 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel – soit dix fois plus qu’en 2002. Avec la nouvelle usine, l’Association marocaine pour l’industrie et le commerce de l’automobile (Amica) espère faire progresser ce chiffre de 35 % par an.
Pour le moment, même si Renault Tanger se targue d’acheter au Maroc la majorité des pièces non mécaniques (moteurs et boîtes de vitesses) du Lodgy (50 % en valeur, 85 % en volume), ce sont essentiellement les grands groupes internationaux – et leurs filiales marocaines – qui ont profité de ses commandes. « Nous avons d’abord consulté les membres du panel Renault, la liste des fournisseurs homologués par le groupe, tout en testant certains équipementiers locaux, explique Christophe Gontard, chef de projet achats. Nous avons analysé les offres des fournisseurs selon nos critères qualité-coût-délai. Parmi les Européens retenus, plusieurs nous ont proposé de s’installer à proximité de l’usine pour être compétitifs, en particulier pour les pièces les plus volumineuses. »
L’espagnol Antolin (équipements intérieurs) et le français Treroc (acoustique) étaient déjà sous-traitants pour l’usine d’assemblage des Logan à Casablanca (Somaca), avant d’être retenus pour le Lodgy. « Mais d’autres se sont installés pour la première fois au Maroc à l’occasion du démarrage de Renault Tanger », ajoute Éric Buchot, qui dénombre dix-sept fournisseurs au Maroc… dont seulement deux sociétés à capitaux marocains, Tuyauto et Socafix.
« Après le choix de Renault de venir s’installer à Tanger, nous avions tous l’espoir de décrocher des marchés », se souvient Adil Rais, qui dirige les équipementiers marocains Plastex et Siprof, installés à Tanger et à Casablanca. « Je fabrique du matériel de freinage. J’ai naturellement proposé mes produits à Renault. Une équipe d’acheteurs du constructeur est venue visiter une fois notre usine… Ils n’ont fait aucune remarque, puis n’ont plus jamais donné de nouvelles », regrette celui qui est aussi vice-président de l’Amica. Il ajoute : « Je comprends les exigences élevées d’un constructeur, mais on ne nous a même pas expliqué pourquoi nous n’avions pas été retenus. Cela nous aurait aidés à nous améliorer pour être compétitifs sur les prochains appels d’offres… »
Le low-cost selon Renault
Pour le chef d’entreprise, si Renault a favorisé les groupes internationaux, c’est par « peur du risque », mais aussi en raison du modèle low cost choisi pour le Lodgy : « Ils ont privilégié leurs sous-traitants européens travaillant pour l’usine de Pitesti, en Roumanie. Cela leur a évité une validation de nouveaux fournisseurs… et surtout permis de faire des économies d’échelle sur des pièces utilisées dans plusieurs modèles », affirme-t-il.
Larbi Belarbi, ancien patron de la Somaca, conseiller du directeur de la région Euromed de Renault et président de l’Amica, est plus patient : « On ne devient pas fournisseur automobile du jour au lendemain. Un équipementier a moins le droit à l’erreur en travaillant avec Renault Tanger, qui fonctionne en « juste-à-temps » et doit produire à terme 400 000 véhicules par an, qu’avec la Somaca, qui en assemble 70 000 », assure-t-il. Adel Ben Khaled, directeur général de la filiale marocaine de l’équipementier allemand Leoni (9 000 employés), est confiant : « En Espagne ou en Turquie, ce sont les équipementiers allemands et français qui ont formé leurs sous-traitants locaux… Avec l’expérience, certains d’entre eux ont monté d’un niveau et sont devenus leurs concurrents. Au Maroc, c’est le même processus qui est en cours », affirme-t-il.
Si l’expertise industrielle n’est pas encore dans des mains marocaines, sur le front de l’emploi, l’arrivée de groupes internationaux a déjà eu un effet bénéfique. Renault estime à 12 000 le nombre d’emplois créés à ce jour. On est encore loin des 36 000 escomptés par le gouvernement, mais c’est un bon début. « Après l’annonce de l’arrivée de Renault, quatorze équipementiers internationaux se sont installés ou agrandis au sein de la Tanger Free Zone [TFZ, zone franche de Tanger, NDLR], se félicite son directeur commercial Hicham El Aloui. Les fournisseurs de Renault, tels Inergy [mécanique], Viza [armatures de siège], Valeo [éclairages], Takata [volants] et Snop [emboutissage] ont créé entre 2 500 et 3 000 emplois dans la TFZ. »
Impulser les "pôles auto"
« Nos pièces sont volumineuses, il était impensable d’être trop éloignés de l’usine alors que des camions font la navette sept fois par jour. Chaque année, nous ferons venir 21 000 tonnes de tôle par Tanger Med, il était essentiel pour nous d’être à côté du port », explique Tajeddine Bennis, directeur général de Snop Tanger. Le groupe, qui a investi 30 millions d’euros dans les installations industrielles, a recruté et formé 250 salariés.
Casablanca et Kenitra, les deux autres « pôles auto » du plan Émergence, ont aussi profité du démarrage de Renault Tanger. « Avec l’inflation des salaires sur certains profils d’ingénieurs et techniciens dans le nord du royaume, des industriels ont préféré s’implanter à Casablanca, où le recrutement est moins onéreux », révèle Adil Rais. C’est notamment le cas de Leoni Maroc, dont les produits sont peu volumineux, qui a étendu ses installations de Berrechid et d’Aïn Sebaa, dans la banlieue de Casablanca. Son concurrent japonais Yazaki a quant à lui ouvert une nouvelle usine à Kenitra, en plus de ses installations de Tanger. « Avec ce tissu industriel plus étoffé qu’avant, d’autres équipementiers allemands songent à venir s’installer à Casablanca, du fait notamment de la stabilité politique au Maroc », indique Adel Ben Khaled.
Renault va étendre le réseau des fournisseurs
L’industrie automobile marocaine doit toutefois s’aventurer sur de nouveaux créneaux pour augmenter le taux d’intégration locale de Renault Tanger. « Il y a ici un potentiel pour les segments de moyenne technicité comme la plasturgie, l’électronique, la petite tôlerie », indique Tunç Basegmez, qui envisage d’étendre son réseau de fournisseurs marocains dans ces domaines. « J’ai du mal à trouver des professionnels dans les métiers de la prestation de services comme la chaudronnerie, la mécanique de précision et la maintenance industrielle, ajoute le patron de Renault Tanger. Des sociétés marocaines peuvent se développer là-dessus… et le chiffre d’affaires à la clé n’est pas négligeable. »
Évidemment, le tissu industriel se renforcerait plus vite avec l’annonce de l’arrivée d’un nouveau constructeur automobile. Sur ce plan, Renault est toujours bien seul. Si Hicham El Aloui indique la visite « récente » de Toyota et de Volkswagen au sein de la TFZ, aucune annonce n’a encore été faite. La morosité des économies européennes, marché naturel d’exportation du Maroc, pousse à la prudence. Quant à Nissan, partenaire industriel et commercial de Renault, il n’a pas confirmé qu’il s’implanterait sur le terrain qui lui a déjà été alloué, à Melloussa… Les Marocains espèrent que le succès de Renault Tanger entraînera la concrétisation de ces projets.
Arlésienne algérienne
Maintes fois annoncé par les autorités, le projet d’une usine Renault en Algérie – son premier marché africain, avec 75 042 voitures écoulées en 2011 – n’a jamais été confirmé par le groupe. La construction d’une usine d’assemblage pour répondre à la demande locale lui permettrait notamment d’augmenter ses marges, en évitant les taxes douanières. Renault a évoqué cette possibilité avec Alger dès février 2010. Mais l’accord pour une coentreprise avec la Société nationale des véhicules industriels (SNVI), plusieurs fois annoncé par le ministre de l’Industrie, n’a jamais été signé. Les discussions achoppent sur le volume de véhicules à fabriquer (entre 50 000 et 100 000) et sur le lieu d’implantation de l’usine. D’abord partantes pour Rouïba, dans la banlieue d’Alger, les autorités ont finalement préféré Jijel, 360 km plus à l’est, pour une question d’aménagement du territoire. Une proposition qui n’est pas du goût de Renault, qui préférerait rester proche d’un bassin de clientèle et d’une zone industrielle. C.L.B.
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