La crise de l’euro, calamité ou opportunité pour l’Afrique ?
L’Union européenne peine à résoudre les problèmes liés à la dette grecque et voit sa monnaie se déprécier face au dollar. Deux économistes, Vera Songwe et Ludovic Subran, en analysent les conséquences pour les pays d’Afrique de l’Ouest et centrale membres de la zone franc CFA.
Les yeux continuent d’être rivés sur la Grèce, ses multiples renflouements et son plan de participation du secteur privé (private sector involvement, PSI) visant à effacer une partie de sa dette, sur le risque de contagion et celui de rupture de croissance due aux (très) nombreuses mesures d’austérité des pays de la zone euro. Pourtant, à la veille du sommet du G20 de juin, et au lendemain d’un coup d’État militaire au Mali, il semble évident de parler de l’avenir macroéconomique de l’autre zone euro.
Du Sénégal au Gabon, la zone franc CFA est composée de deux unions monétaires – l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) – qui rassemblent quatorze pays. Depuis leur indépendance, ceux-ci ont en commun une monnaie fixe par rapport au franc français puis à l’euro – la fixité du taux de change nominal et la convertibilité illimitée sont garanties par le Trésor français en contrepartie de l’ouverture totale du compte de capital vis-à-vis de la France (donc de la zone euro) et de la centralisation de 50 % (au moins) des réserves de change de chaque banque centrale à travers un compte d’opération géré par le Trésor français.
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Vera Songwe est directrice des opérations pour la Banque mondiale en Afrique de l’Ouest et Ludovic Subran est chef économiste et directeur de la recherche chez Euler Hermes. (© World Bank/Euler Hermes)
Malgré l’existence de deux banques centrales, leur politique monétaire se joue donc à Francfort. Quelles conséquences la crise de la dette souveraine en zone euro peut-elle avoir pour eux ? Quelles opportunités recèle-t-elle pour la zone français.
Le resserrement des conditions de crédit compromet le développement du secteur privé
À court terme, trois principaux canaux de transmission inquiètent. Le premier est le commerce extérieur. L’Europe est la destination de plus d’un tiers des exportations de la zone, et la contraction de la demande sur le Vieux Continent commence déjà à se faire sentir sur les revenus d’exportations de ces pays. Le deuxième concerne les transferts de fonds de migrants : la consommation atone et les hausses records du chômage (notamment en Espagne) devraient réduire significativement les montants expédiés. Or, au Mali par exemple, ceux-ci représentent jusqu’à 10 % du PIB ; deuxième source de financement externe derrière l’aide publique au développement et devant les investissements directs étrangers, ces transferts sont essentiels à l’équilibre de la balance des paiements.
Enfin, une autre courroie de transmission est à l’oeuvre à travers les nombreuses banques françaises présentes dans la zone : le resserrement des conditions de crédit et l’augmentation de son coût se font déjà sentir, compromettant le développement du secteur privé, déjà limité par la faible disponibilité du crédit.
La menace de la dette
Même si l’euro se revigore à chaque accord conclu sur le dossier grec – ce qui d’ailleurs laisse chaque fois un peu moins de marge de manoeuvre à la zone euro comme à la zone franc -, il a vu son cours chuter de près de 15 % par rapport à celui du dollar entre avril 2011 et mars 2012. Du fait de l’arrimage du franc CFA à l’euro, 80 % des réserves de change des pays de la zone sont déposées dans le compte d’opération géré par le Trésor français, et une dépréciation de l’euro pourrait entraîner une dépréciation réelle de ces réserves. Elle pourrait compromettre la couverture des importations de biens et services par ces réserves, qui s’élevait à environ six mois en 2011, soit trois fois plus qu’en zone euro.
Par ailleurs, la dépréciation de l’euro rehausse la dette extérieure des États, souvent peu diversifiée et dont, pour un pays comme le Cameroun par exemple, près de la moitié est libellée en monnaies étrangères autres que l’euro (dont le dollar, le yuan ou le yen, devises qui se sont toutes appréciées par rapport à l’euro sur un an), ce qui alourdit mécaniquement le service de la dette des pays de la zone, déjà élevé. Un service de la dette d’autant plus menacé que le risque d’appréciation des taux offerts aux bonds (obligations) des pays de la zone franc CFA s’intensifie, avec des bonds européens qui s’échangent à des taux très élevés.
Gagner en compétitivité
En parallèle, et malgré le ralentissement économique mondial, les prix des matières premières peinent à se replier ; de nouvelles accélérations pourraient alourdir davantage la facture pétrolière et énergétique des pays de la zone qui sont importateurs nets d’or noir et de produits céréaliers, comme le Sénégal ou la Centrafrique. La flambée des prix alimentaires de 2007-2008 a eu des conséquences désastreuses sur le solde courant des pays et sur l’inflation (multipliée par quatre en 2008).
Mais les pays de la zone franc peuvent voir dans la contraction de la demande européenne et la dépréciation de l’euro une occasion de relancer leur compétitivité à l’export et de diversifier leurs exportations, en termes de destinations mais aussi – pourquoi pas ? – de produits. L’élasticité-prix de leurs exportations est en effet très forte (du fait de la nature primaire des produits concernés) ; la dépréciation de l’euro leur permettrait donc d’accroître (en niveau et en part) leur commerce vers les États-Unis et la Chine, qui représentent chacun entre 20 % et 30 % des exportations de la zone.
Cette crise pourrait être également l’occasion d’accroître la part des échanges intrazone, très faibles dans les deux espaces : 5 % pour la Cemac et 10 % pour l’UEMOA (contre 70 % dans l’Union européenne). Un appel à l’intégration régionale, pas au protectionnisme.
Tendanciellement, et malgré la parité fixe avec l’euro, la part des exportations absorbée par l’Union européenne a baissé de plus de 10 points en dix ans. L’augmentation de la part des pays émergents s’explique malheureusement plus par un effet demande (leur croissance étant plus forte) que par un effet compétitivité.
Des réformes sont nécessaires
Pour bénéficier des gains de compétitivité résultant de la dépréciation de l’euro, les pays de la zone franc CFA devront, au-delà de la mise à jour des infrastructures, entreprendre les réformes nécessaires sur le marché du travail, dans l’environnement des affaires et concernant la gouvernance des institutions.
La chute du cours du franc CFA pourrait stimuler les exportations vers les États-Unis et la Chine
Malgré une main-d’oeuvre abondante, la rigidité du marché du travail et les coûts salariaux engendrent des coûts significatifs à l’exportation. En moyenne, il est deux fois plus difficile d’embaucher un travailleur en zone franc que dans les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ; le délai d’exportation y est huit à dix fois plus long et le prix d’un conteneur deux à trois fois plus élevé que dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ces disparités sont importantes et rappellent celles observées entre pays de la zone euro ; par exemple, le coût unitaire du travail est 30 % plus élevé en Grèce ou en Italie qu’en Allemagne.
Ces contraintes, en particulier les rigidités flagrantes du marché du travail, conduisent au même dilemme en zone franc qu’en Grèce : il aura été plus facile (mais tellement plus coûteux !) d’importer l’efficacité allemande que d’entreprendre des réformes lourdes mais qui changent la donne à long terme. C’est certainement ce qu’il convient de résoudre dans cette crise-ci, et la plus grande convergence des marchés (celui de l’emploi inclus) aidera certainement à la mise en oeuvre plus rapide de ces réformes de fond, y compris en zone franc CFA.
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