France : Philippe Ebanga, républicain au long cours

Natif de Douala, Philippe Ebanga, a commandé le deuxième plus grand navire de guerre de la flotte française. Il est le nouveau porte-parole de la marine.

Philippe Ebanga (France-Cameroun), capitaine de vaisseau dans la marine française, porte-parole du SIRPA Marine. A Paris le 13.04.2012. © Vincent Fournier/J.A.

Philippe Ebanga (France-Cameroun), capitaine de vaisseau dans la marine française, porte-parole du SIRPA Marine. A Paris le 13.04.2012. © Vincent Fournier/J.A.

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 17 mai 2012 Lecture : 4 minutes.

Avec ses subordonnés, Philippe Ebanga porte le masque du capitaine de vaisseau : traits durs et ton ferme, presque autoritaire. Dans la marine, son rang équivaut à celui de colonel dans l’armée de terre. Pourtant, dans l’intimité de son bureau, sourire éclatant et regard espiègle, il se laisse parfois aller à quelques facéties…

Son visage de métis est désormais celui de la marine française. Le 2 mai dernier, il en est devenu le porte-parole. La nouvelle n’est pas passée inaperçue dans cette institution réputée conservatrice qui est surnommée, souvent avec ironie, la Royale. « Un officier noir bientôt porte-parole de la marine », a ainsi souligné Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialiste des questions militaires, sur son blog. De quoi agacer quelque peu l’intéressé. « Quand je suis entré à l’École navale, en 1983, la question des minorités et de l’égalité des chances n’intéressait personne. Au cours de mon parcours, j’ai passé des concours anonymes très sélectifs. Donc, je suis très tranquille à ce sujet. » On l’aura compris, sa promotion n’a rien à voir avec sa couleur de peau, héritée de son père camerounais. Non pas qu’il soit fâché avec ses origines : cet homme de 46 ans est pétri d’un idéal républicain à la française.

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Son enfance et son adolescence, au Cameroun, n’ont d’ailleurs pas exactement ressemblé à celles de tous ses camarades de classe. Les vacances du jeune garçon, c’était la Vendée, département d’origine de sa mère (« une bonne française typique », s’amuse-t-il) et ancien bastion, sur la côte atlantique, des plus fervents royalistes pendant la Révolution française. Son père, qui avait bénéficié, enfant, d’une bourse pour entrer au collège en France (à l’époque où le Cameroun était encore une colonie), y a terminé ses études de lettres, à la Sorbonne, pour devenir professeur d’histoire. Mais c’est bien entre Douala (sa ville natale), Nkongsamba et Yaoundé que Philippe Ebanga a grandi, au gré des mutations paternelles. Ebanga parle de « tatouage invisible » pour qualifier ses liens avec la terre natale. Indélébile, mais secret.

En débarquant en classe préparatoire, au Prytanée militaire de La Flèche (centre-ouest de la France), l’adolescent, attiré par le commandement, a dû « s’ajuster », selon ses termes. « Quand on est l’élément exogène, explique-t-il avec son vocabulaire froid, on doit un peu faire l’effort. Pas forcément se renier, mais s’intégrer au groupe déjà constitué. » Pour réaliser son rêve, il a donc fait le choix, symboliquement fort et indispensable pour devenir officier, de renoncer à sa nationalité camerounaise.

C’est donc exclusivement en tant que militaire français qu’il sera envoyé, à plusieurs reprises, sur le continent. Ainsi, en 2009, lorsqu’il entre dans le port de Douala, c’est à bord du porte-hélicoptères Tonnerre, le deuxième plus grand navire de la flotte (après le porte-avions Charles de Gaulle), dont il est alors officier en second. Devenu commandant du navire, il devait s’y rendre à nouveau, en octobre 2010, avant d’être redirigé vers Abidjan, où la crise postélectorale menace. « J’avais été au même endroit, et presque avec les mêmes protagonistes, au début de l’histoire, en 2002, lorsque je commandais la frégate aviso Commandant Birot », sourit-il.

À peine de retour dans son port d’attache de Toulon, fin février, son navire repartait au large de la Libye pour lancer ses aéronefs contre les troupes de Mouammar Kadhafi. Comme à Abidjan, il n’a pas participé à l’épilogue de l’opération, mais assure n’en garder aucune frustration. « Vous ne pouvez pas le savoir, mais je sais que notre travail en amont a eu un rôle décisif dans le dénouement de ces crises », lâche-t-il sans préciser.

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À l’heure où l’on commence à mesurer, dans le Sahel, les effets collatéraux de l’intervention française, le militaire de retour à Paris a-t-il des états d’âme ? « Non. C’est simple : je ne fais pas de politique. C’est un peu comme le chirurgien qui accomplit un geste technique avec détachement, pour se protéger de la compassion. On me dirait d’aller le faire au Baloutchistan, ça ne changerait rien. »

Esprit de corps, égalitarisme, rejet de la distinction… Philippe Ebanga paraît tout à fait à l’aise dans l’uniforme français. Aux États-Unis, où il a servi dans la Navy pour un échange de trois ans (au cours desquels il est intervenu après l’ouragan Katrina), il a pourtant découvert une autre façon de faire. « Là-bas, j’ai été frappé par le fait qu’on célèbre les différences de manière tout à fait officielle : un jour la culture hispanique, un autre l’histoire des Noirs… Mais le pendant de cela, explique-t-il l’oeil brillant, c’est qu’ils se rassemblent autour de cet indescriptible amour du drapeau américain. Il y a toutes les couleurs de peau, même au plus haut niveau de commandement. Et ça ne les empêche en rien d’être efficaces. »

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